La Fileuse de nuit : le kitsungi mémoriel troublant d’Elsa Rozenknop - Théâtre La Flèche (Paris)
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Une légende de la fileuse de nuit sommeille. Elle serait un être surnaturel, une revenante qui occuperait les maisons, passant son temps à filer la laine. N’y-en-a-t-il pas dans chaque maison ? Les fantômes occupent les maisons en attendant que quelqu’un.e vienne leur parler…
Une jeune femme semble entamer ce cheminement. Elle atterrit comme une grotte aux tons bleutés où le nombre de portes sont reliés à ses pensées, même les plus inconscientes et anciennes. Cette grotte peut-elle apporter le savoir comme le prétend l’allégorie de la caverne de Platon ? Pour continuer l’exploration, tous les matériaux sont mobilisés. Elsa Rozenknop ouvre les portes ; les sens se recoupent : une odeur de grenier, une voix familière, une mère dont l’enfant est mort-né, une autre contrainte sous la pression paternelle d’abandonner… Quand l’odeur revient, l’image d’un petit garçon apparaît, enfermé dans ce grenier. Quel lien a-t-elle avec lui ? Sa mémoire la surprend, la bouscule… Les flashs se multiplient, si bien qu’elle décide d’aller plus loin. Les fils d’une pelote emmêlée la mènent vers une autre porte. La découverte de drames familiaux se multiplie et commence à trouver une probable origine : l’arrière-grand-père.
Les secrets sortent un à un, Elsa utilise le fil de la pelote pour les assembler ensemble et retrouver les pistes dans les mémoires de ses ancêtres. Pour plus de clarté, elle arrive à s’extraire de la grotte et entamer sa propre introspection. Elle se mue en intervieweuse dans un débat d’émission de radio qui décrypte le rôle des portes (on ne parle pas de porte au sens propre) ou encore se replonge dans le conte de Barbe Bleue pour mieux brosser son histoire.
L’examen de sa psychè devient rêve et cauchemar ; on ne parvient plus à voir la frontière du réel. Les plaies sont réouvertes et peuvent s’infecter. Les souffrances du passé se transmettraient-elles à travers la lignée familiale ? C’est ce qu’affirme la psychogénéalogie d’Anne Ancelin Schützenberger : nous sommes tous liés inconsciemment à nos ancêtres, qui nous lèguent le poids des secrets, des drames et des deuils qu’ils ont vécus. Dans ce patchwork de tragédies, on perçoit la grande Histoire, celle de la mémoire traumatique de la Shoah et le poids de l’arrière-grand-père destructeur par ses mots.
Le fil rouge du récit se noue, il s’échappe de sa broche ou sa poche ; comme ceux de l’esprit qui finissent toujours par nous rattraper. Ici, faire théâtre de ses sources passe par une plongée onirique et la réparation apparaît comme un kitsungi. La mise en scène est plurielle et furtive dans les changements d’ambiance, la lumière en devient un personnage à part entière de la pièce, tellement son rôle est important !
A la manière d’un kintsugi, Elsa Rozenknop couvre de dorures les fêlures de son histoire familiale. Dans un style très fantastique (des airs d’Alice aux pays des merveilles) qui convoque la psychogénéalogie (on pense à « La Grande musique » de Stéphane Guérin) elle nous invite à creuser l’ambiguïté quitte à troubler.
Crédits photos : Florent Drillon
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La Fileuse de nuit
Écrite et interprétée par Elsa Rozenknop
Mise en scène par Guillaume Ravoire
1h05
Tous les mercredis à 19h
Jusqu’au 12 mars 2025
Théâtre La Flèche (Paris 12ème)
Jade SAUVANET