Interview de Michel Leclerc, réalisateur du film Le mélange des genres
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Avec Le Mélange des genres, Michel Leclerc revient à ce qu'il sait faire le mieux- lire la critique ici même
Le réalisateur de La Lutte des classes s'empare d'un sujet de société brûlant d'actualité et le badigeonne aux couleurs de la comédie de moeurs.
Et c’est jubilatoire !
Avec un tel sujet, aviez-vous conscience de manipuler une véritable bombe ?
Oui, on peut dire que j’étais un peu terrifié en l’écrivant. Mais à partir du moment où les comédiens vous suivent , la peur disparaît. Peut-être qu’elle revient au moment de la sortie…
La fiction est là pour exorciser les peurs, depuis la nuit des temps. Le féminisme, #MeToo, les violences faites aux femmes…
Quelque part, j’ai voulu m’emparer de ces sujets sur lesquels je suis le dernier qu’on attend en tant que réalisateur vieillissant. J’ai essayé d’être sincère, d’en faire une comédie où chacun peut s’identifier.
Il y a pas mal de coups à prendre, j'ai l'impression de slalomer au milieu d'un champ de mines, mais mon métier a toujours consisté à rendre des choses potentiellement lourdes plus légères.
L'idée, c'est de faire rire de ce sujet mais, avant tout, d'ouvrir un débat.
Je n’ai pas peur des réactions musclées : j’aimerais que mon film ouvre des débats intergénérationnels qui feraient avancer tout le monde. Ce ne serait pas du luxe car il y a encore du travail pour faire évoluer les mentalités.
Comment éviter les pièges dans l'écriture de ces situations et dans ces sujets à haut potentiel inflammable?
Je n’ai pas envie de faire un film qui délivre un message ; plutôt de faire un film qui exprime un ressenti. C’est pour ça que je fais des films et que je n’écris pas d’articles : en une heure et demie, j’essaye surtout d’être dans la nuance.
Je passe par un film parce qu’à travers la fiction et plusieurs personnages, on peut exprimer des sensations et des points de vue différents.
Et ensuite, c’est à chacun des spectateurs de se sentir plus proche de l’un ou l’autre des personnages.
Et de ce qu’ils racontent. Mon film n’est donc pas une réaction — ça veut dire qu’il est très réactionnaire — et je crois pas qu’il le soit ; au contraire, j’ai envie qu’il ouvre vers le futur.
Le mélange des genres pose plus des questions qu’il donne des réponses — en tout cas, ça finit sur une question : quels vont être les rapports entre les hommes et les femmes après le mouvement. #MeToo ?
C’est la seule chose que le film dise, enfin je pense car on n'est pas là pour être prudent.
Un film doit susciter une discussion, un débat. Si je parviens à ça, j'ai rempli mon contrat.
Et ce sont les personnages plus que les thèmes qui mènent le jeu, non?
Oui, tout à fait... avec Baya (Kasmi sa coscénariste et ex compagne ), notre écriture est quasi exclusivement fondée sur les personnages.
Si vous avez envie de les faire aimer, vous trouvez la ligne de crête de l'histoire que vous voulez raconter.
On peut avoir de bonnes et de mauvaises pensées, dire une chose et son contraire. Je suis comme ça d’ailleurs. J’ai envie de dire que je me comporte bien avec les femmes, moi.
Et d’un autre côté, je dois arrêter de faire mon ouin-ouin : ce mouvement de libération de la parole est plus important que mes petites peurs.
Au montage aussi, on a eu des heures et des heures de débats, pour une phrase qu’on devait laisser ou que je me suis résolu à couper.
La fiction est là pour ça : susciter du débat.
Vous considérez vous même comme un homme déconstruit comme le personnage principal de votre film?
Disons qu'il y a quelque chose que je voulais exprimer en faisant ce film : même pour quelqu’un de ma génération, je n’avais pas du tout comme modèle dès l’adolescence les hommes virils à la Delon, Schwarzenegger ou à la Stallone.
Dès l’adolescence, j’avais l’impression d’avoir comme modèles masculins des hommes qui, s’ils n’étaient pas déconstruits, exprimaient quand même une certaine fragilité .
Moi, j’ai grandi avec des modèles qui étaient des hommes doux. Plutôt Alain Souchon, Laurent Voulzy et Michel Berger que ceux que je viens de citer.
Et j’ai l’impression de connaître autour de moi un paquet d’hommes comme moi.
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Mais vous pour vous cette question de la déconstruction d'un homme, elle est forcément toute nouvelle?
Non pas du tout, on en fait beaucoup une question de génération — en arguant que l’ancienne génération n’était pas déconstruite — alors que j’ai l’impression d’avoir grandi déjà dans cette idée de remise en question de ce qu’était la virilité plutôt de la génération de mes parents, par exemple.
C’est un peu ça que je voulais exprimer. Ensuite, j’ai l’impression, oui, d’être déconstruit, mais peut-être qu’il faudra interroger les femmes autour de moi qui diraient peut-être : « mais pas du tout ! »
J’’aime faire la cuisine, j’aime les fleurs, je ne sais pas si ça suffit. J’aime Vincent Delerm (rires) Voilà.
Il y a une phrase de comédie que je trouve assez juste dans le fond, c’est : « homme au foyer, en fait, c’est comme femme au foyer, on s’emmerde pareil.
C’est bien beau d’être déconstruit, mais il faut quand même que sa vie soit intéressante : avoir un métier intéressant, ne pas avoir l’impression de passer sa vie à la maison, à torcher les mômes.
Si c’est aussi chiant pour une femme, c’est aussi chiant pour un homme.
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Pourquoi ce titre "le mélange des genres "etest-ce qu'il présupposait forcément un mélange dans les genres de film abordés? Car vous slalomez entre les différents genres de comédie : comédie policière, comédie sociale, comédie conjugale?
Oui car j’aime bien l’hybridation. Depuis le début, j’aime les gens qui se mélangent — au-delà d’une formule, c’est vraiment un art de vivre : je n’aime pas la pureté.
Tous mes films, je crois racontent la même chose : l’histoire de gens qui se mélangent.
Le titre est assez proche de ce que je pense.
Alors, ça mélange les genres de cinéma : un peu de polar, un peu de comédie, un peu de film politique…
Ce que j’aime, c’est le bordel. Je n’ai pas envie de bien peigner le film que je fais.
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Vous vous êtes beaucoup documenté pour écrire ce film qui aborde ces thématiques si sensibles?
Je me suis documenté un petit peu, on va dire. Je trouve que c’est un peu poseur de dire : « ah, j’ai fait un an d’enquête, etc. »
Le mouvement #MeToo concerne tout le monde, aussi bien vous que moi.
À partir de là, tout le monde est légitime à en parler et à exprimer un ressenti.
Ensuite, je suis dans une fiction ; je ne fais pas un documentaire ; je n’ai pas besoin d’être réalistement juste.
C’est toute la différence entre le réalisme et la justesse. J’ai envie de faire un film juste — c’est-à-dire qu’il parle d’un endroit qui est ressenti — mais le réalisme n’a jamais été mon propos.
Il y a une séquence où je sors de mon registre : cette scène où une femme qui a tué son mari est interrogée par la femme flic jouée par Léa Drucker.
On me pose souvent la question si la comédie est plus difficile que le drame ; pour moi, c’est beaucoup plus facile en fait, dans une comédie je ne me pose pas la question de savoir si je verse trop dans le pathos, si je pose la caméra au bon endroit ou pas...
Le mélange des genres, à voir au cinéma depuis ce 16 avril