L'homme qui rit : de l'écrit à l'écran...
Comme je vous l'ai dit dans mon article de vendredi dernier sur les débats ciné, ma récente rencontre avec Jean Pierre Améris, le réalisateur de l'homme qui rit, a été très gratifiante, tant cet immense (du moins par la taille) cinéaste a soulevé énormément de pistes de réflexion autour de mon sujet préféré, le cinéma.
Parmi celles ci, il a longuement parlé du travail nécessaire d'une adaptation d'un grand classique de la littérature puisqu'on ne s'attaque pas à un roman de Victor Hugo, qu'on traine en soi depuis près de 40 ans, sans avoir un peu défriché le terrain.
Et la question d'adaptation cinématographique de classiques de la littérature est également un sujet qui m'interesse énormément, puisque j'avais déjà abordé sur ce blog ce sujet il ya quelques semaines de cela.
Bref, l'intervention d'Améris était d'autant plus passionnante que j'avais pu visionner son adaptation filmique juste avant et que j'avais pu comparer car j'étais un des lecteurs du roman d'Hugo, meme si ma lecture n'était pas des plus récentes, elle datait en fait de mes années de fac, soit il y a plus de 15 ans ( ah oui quand même!!!)
Le réalisateur nous raconta qu'il portait ce projet depuis 40 ans, soit exactement l'année 1971, date d'une adaptation de l'homme qui rit en série télévisée, et c 'est avec elle que Jean-Pierre Améris a découvert le roman de Victor Hugo. Un ouvrage de plus de 900 pages, chargés de descriptions et de digressions en tout genre. Il l'a lu quelques années plus tard.
Et l'histoire de cet enfant "monstrueux" a résonné chez ce grand gaillard de deux mètres, complexé par son physique. Devenu cinéaste, il n'a jamais abandonné le projet. Tim Burton l'avait visiblement ardemment voulu, mais c'est Jean-Pierre Améris qui l'a fait : adapter au cinéma le roman de Victor Hugo en faisant le choix du récit initiatique.
Quelles ont été les pistes de départ de son adaptation? Améris nous a tout dévoilé, ou presque : « C’est un roman qui est situé au 17e siècle en Angleterre. Ce que je n’ai pas fait. J’ai tiré cette histoire vers le conte, vers la fable. C’est un roman qui est fait d’énormément de digressions philosophiques, historiques, poétiques. Moi, j’ai tout voulu recentrer sur ce personnage de Gwynplaine auquel je m’étais identifié adolescent. Cela part d’un enfant abandonné comme le Petit Poucet. On va le suivre, recueilli par un bon saltimbanque, puis devenant un acteur célèbre, puis découvrant qu’il était d’un milieu riche, changeant de classe sociale. »
Visiblement, d'après ce que nous a dit Améris, plusieurs producteurs se sont cassés les dents devant la lecture du roman d'Hugo et ont abandonné le projet devant la complexité de ce livre avant qu'un producteur décide quand même de faire confiance au cinéaste, bien que lui non plus n'avait pas tout saisi des subtilités de l'oeuvre d'Hugo.
D'ailleurs, à mes yeux, le roman m'avait paru également un peu trop complexe et avec beaucoup trop de descriptions et de disgressions ( certainement le péché mignon d'Hugo) pour pouvoir entrer totalement dans la lecture. Victor Hugo y mêle en effet grandes envolées lyriques à la comédie. Il multiplie les longues digressions, ce qui peut parfois rebuter. Ses descriptions occupent tout de suite des pages et des pages, devenant parfois redondantes, notamment quant au désespoir de Gwynplaine vers la fin du roman. Son érudition impressionnante n'est pas sans une touche de pédanterie.
L'œuvre a déjà été portée trois fois à l'écran, en 1928 (adaptation en film muet, considérée comme la plus "mémorable"), en 1966 puis donc, dans cette fameuse série télévisée de 1971 qui eut tant de résonnance chez Améris.
Il fallait oser adapter "L'homme qui rit", roman "monstre" que Victor Hugo écrivit durant son exil politique dans les îles Anglo-normandes entre 1866 et 1869. Le projet du cinéaste était donc un challenge à difficile réaliser : réduire une oeuvre littéraire de plus de 900 pages et qui avait jusqu'à présent fait l'objet d'adaptations fleuves en un film d'à peine une heure trente, revenait à faire des choix drastiques.
Car adapter un livre, explique Jean-Pierre Améris, "ce n'est pas l'illustrer. Il faut avoir un parti pris fort". Et c'est ce qui est intéressant dans ce film. Et c'est ainsi que le parti pris d'Améris fut de suivre tout le long de son film Gwynplaine, ce personnage auquel il s'identifie tant, et alors même qu' Hugo s'écartait trés souvent de son héros pendant des dizaines et des dizaines de page, pour mieux le retrouver ensuite.
Ce qui a plu énormément à Améris, c'est que ce roman , écrit au 19ème siècle, est en fait d'une incroyable actualité, car il aborde les thèmes de l'obsession de la beauté ou du chômage. Selon le cinéaste, "le livre a été écrit en 1866, mais on se retrouve encore aujourd'hui dans Gwynplaine, dans Ursus – et sa description de la société était proprement visionnaire. Sur les apparences, le miroir aux alouettes de la célébrité, les canons de beauté qui imposent de ressembler à ceci ou cela...
Lorsque à la fin du film, Gwynplaine interpelle les parlementaires et assène un discours très fort sur la précarité et le fossé social : « C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches… », Jean-Pierre Améris nous a appris qu'il avait gardé l'intégralité des mots de Victor Hugo, et même le mot chomage qui existait dans le texte initial alors que c'est un mot qui parait tellement actuel.
Et le second parti pris fort du réalisateur fut d'assumer le coté conte, fable, onirique, de l'histoire et pour cela d'éviter de tourner en extérieurs et de privilégier le tournage en studio, ce qu'il fit dans des studios de Tchécoslovaquie. Bref ce qui pouvait apparaitre comme un choix budgétaire était selon le metteur en scène un pur choix de cinéaste. Le réalisateur a ainsi créé de toutes pièces un univers qui soit à la hauteur des sentiments qui habitent ses personnages. Champ de foire, château-fort, bord de fleuve, village, tout donne au film un coté baroque et fictif qui peut un peu dérouter, surtout au début.
Cela étant, le travail des décorateurs, costumiers, maquilleurs est assez prodigieux : ils ont réussi à rendre visible le coté grotesque imaginé par Victor Hugo dans son roman, tout en lui apportant une ceryaine modernité, notamment dans le "look" de Gwynplaine.
Malheureusement, malgré tous ces élements en faveur du film, force est de constater que l'ensemble ne fonctionne pas vraiment et que le versant baroque du film donne quand même un coté "carton pate" un peu frelaté au film, la faute sans doute à la pauvreté des effets numériques et plus généralement au manque de moyens financiers ( Améris nous a fait comprendre à demi mots qu'un budget confortable aurait quand même été souhaitable pour un tel projet)
Par ailleurs, l'oeuvre souffre de trop grandes élipses et d'un déséquilibre flagrant entre les deux parties du film, la seconde dans le chateau étant définitivement moins réussie que la première.
Autre problème du film, l'influence énorme de Tim Burton, qui pèse totalement au dessus du film, c'est étrange de savoir que Burton révait en vain de tourner ce film et qu'Améris, au lieu de se différencier de l'univers du créateur d'Edward aux mains d'argent pousse le mimétisme trés loin, notamment en choisisant un compositeur aux mélodies très proche de celles de Dany Elfman, le musicien attitré de Burton.
En revanche, malgré les réserves que je peux formuler devant les récentes incartades de l'homme, je n'ai pu que m'incliner devant la prestation de Gérard Depardieu dans le rôle ( clef dans le roman d'Hugo) d'Ursus. L'acteur campe avec beaucoup de force cet être généreux, lucide, courageux. Sa stature et sa voix sont totalement à la hauteur du personnage, et les anecdotes que nous a raconté Jean Pierre Améris à ce sujet prouve que l'acteur était vraiment motivé pour jouer ce rôle.
Bref, un film inégal et pas totalement réussi, mais un projet qui surprend, dans la production actuelle française, par son ampleur et sa démesure et qui ,de ce fait reste quand même à saluer largement.
Et concernant la question de l'adaptation littéraire, elle a encore de beaux jours devant elle, tant les projets de cinéastes du monde entier voulant adapter un film, comme j'ai pu le voir dans un récent numéro de Lire Magazine, sont légions!!!