La belle destinée de Suzanne..
Un jour après mon billet sur Mon ame par toi guérie, un de ces beaux et rares mélos humanistes que le cinéma français nous a offert au cours du dernier trimestre 2013, parlons désormais de Suzanne, 'un autre drame français sorti un peu plus tard ( le 18 décembre exactement) qui a quelques points communs avec le film de François Dupeyron.
Je veux notamment parler de la même volonté de raconter une belle et ample histoire, tout en proposant un vrai regard de metteur en scène qu'on pourrait résumer par la même propension à mélanger dans un même élan deux versants à priori opposé du cinéma, le naturalisme et le romanesque.
Car, avec Suzanne, son second film présenté en ouverture de la semaine de la critique, la jeune et prometteuse cinéaste Katell Quillévéré tente en effet le défi assez épatant de nous raconter vingt-cinq années de la vie d'une femme et de son entourage.
Mais plutot que nous raconter cela à la manière d'une saga de l'été en plusieurs heures ou meme plusieurs épisodes, la réalisatrice opte pour une durée minimale d'une heure trente maxi, et pour cela choisit d'éluder les évènements les plus marquants, les naissances ou les morts, et de se focaliser sur des scènes a priori plus anodines et moins charnières. Ce choix de raconter une destinée familiale sur 25 ans, montré à travers un enchaînement d’événements et d’époques, mais sans vraiment s’attarder sur chacune d’entre elles, est à la fois ce qui constitue la force et aussi la faiblesse du film.
Ce parti pris constitue évidemment un aout indéniable car le film, en multiplant les éllipses temporelles et factuelles, évite ainsi les passages obligés et les lieux communs et permet au spectateur d'être actif en tentant de remplir lui même les blancs de l'histoire.
Cette narration singulière est notamment illustrée par le fait que la cinéaste choisit de ne pas montrer son personnage principal pendant une longue période et de s'interroger sur les effets de l'absence de Suzanne chez son entourage, sa soeur et son père notamment.
D'ailleurs pour un film qui s'appelle Suzanne, il est surprenant de constater qu'il rend in fine hommage aux personnages du père et de la sœur, dont les portraits en creux sont ceux qui m'ont le plus touchés. Peut-être aussi parce que les acteurs qui les interpretent sont absolument géniaux, avec en figure de proue un François Damiens, tellement éloigné de ses rôles d'amuseur public, qui atteint ici une force émotionnelle très forte avec bien peu de mots, alors qu'Adèle Haenel qui devrait prochainement voir sa carrière exploser, apporte sa précense incroyable en petite soeur indépendante, qui protège la grande et nous offre une composition qui rend son personnage toujours dans l'ombre de sa soeur extrêmement émouvant.
Tandis qu'a contrario, le personnage de Suzanne, plus insaissisable de prime abord, peine à se rendre aimable aux yeux du spectateur, et le jeu très interiorisé (pour le coup à contre emploi total de ses rôles précédents) de Sara Forestier accentue le peu d'empathie qu'on a avec ce personnage, d'autant plus qu'on a du mal à comprendre ses choix, et notamment son choix de faire basculer sa destinée pour partir avec un type aussi peu charismatique ( j'ai un gros problème avec l'acteur Paul Hamy que je trouvais déjà mauvais comme un cochon dans Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot). Il aurait fallu certainement que la cinéaste nous montre plus de scène entre ces amoureux diaboliques pour qu'on puisse vibrer avec eux.
Et c'est peut-être cela qui constitue le revers de la médaille du parti pris de Katell Quillévéré: à force de ne pas montrer les scènes attendues, Suzanne ( le film, et aussi le personnage) a tendance à être un peu trop sec, un peu trop abrupt, et on aurait aimé, au lieu d'essayer de comprendre pendant le film quelle sont les scènes clés qui manquent, de les voir et d'être bouleversé par elles.
Bref, Suzanne est un bien un de ces jolis films français de la fin d'année dernière, mais contrairement à l'enthousiasme de certaines critiques ( notamment celle de Mylittlediscoveries, que j'avais rarement vu aussi enthousiaste pour un film :o), j'avoue avoir été un peu déçu par cette oeuvre qui m'a laissé un peu de côté et ne m'a pas bouleversé autant que je ne l'aurais cru...