The girls/ California girls : un même- terrible-fait divers, deux traitements différents
J'ai un peu honte de l'avouer, mais l'assassinat de Sharon Tate, la femme de Roman Polanski, par Charles Manson et des adeptes de sa secte, je ne connaissais pendant longtemps rien, ou si peu qu'on peut résumer par les vers de Nicolas Peyrac dans So far away from L.A. : « Pauvre Madame Polanski / D'un seul coup on t'a pris deux vies / Mais qui donc s'en souvient ici ? » (le dernier strophe permettant de me déculpabiliser de mon ignorance"...
Nicolas Peyrac So far away from la
Heureusement, en cette rentrée littéraire, deux romanciers, l'une américaine et l'autre français, ont décidé de rafraichir notre mémoire en revenant sur cette tragédie de l'assassinat de Sharon Tate, par des adeptes du gourou Charles Manson. The Girls, d'Emma Cline et California Girls, deux romans incontournables de cette rentrée littéraire, et deux lectures finalement complémentaires sur un même sujet :
1.The Girls d’Emma Cline, Editions La Table Ronde
"Je commençais à remplir tous les vides qui étaient en moi avec les certitudes du ranch. Le chouette bagou de Russell : plus d'ego, débrancher l'esprit. Capter le vent cosmique à la place. Nos croyances aussi légères et digestes que les petits pains et les gâteaux fauchés dans ne boulangerie de Sausalito, pour nous empiffrer de fécule."
Evie, tout juste 14 ans, rencontre dans un été de désoeuvrement, Suzanne et une bande de filles délibérement hippies, et rejoint vite une secte dirigée par Russel, le sosie littéraire de Charmes Manson trempe une plume vraiment maitrisée dans la psychologie d'une jeune fille de 14 ans aveuglée par son besoin d'exister et incapable de voir la violence des membre de la secte...
Pour son tout premier roman, The girls, qui a fait sensation aux USA, Emma Cline choisit de partir des événements et de la personnalité des membres de la secte pour créer une histoire et des personnages fictifs, bien que leur source d’inspiration parait assez évidente.
Ainsi, Russell, grand gourou séducteur et spirituel, musicien à ses heures perdues , évoque largement Charles Manson, tandis que Suzannre, objet de désir pour la narratrice, Evie, semble totalement inspirée par la plus charismatique des filles Manson, celle présentée comme étant la plus cruelle également : Susan Atkins, dite « Sadie ».
Si les faits sont bien évidemment inspirés des fameux meurtres perpétrés par les acolytes de Charles Manson en 1969, Emma Cline donne l'impression d'utiliser ce contexte plus pour aborder des thèmes assez proche de l'univers d'une Laura Kachiske, à savoir ceux de l'adolescence et de ses tourments.
Etude particulièrement fouillée et profonde sur les troubles et la psychologie adolescente et tout ce que cela induit :l’envie de trouver sa place, la vulnérabilité, la découverte de la sensualité, le manque de confiance en soi, l’envie de plaire, l’éveil à de nouveaux désirs : The Girls est une fort brillante et vraiment magnifique analyse des troubles de l'adolescence.
La plume de Cline, d'une grande puissance évocatrice et d'une forte tension psychologique ausculte avec ce qu'il faut de subtilité et de lyrisme la frontière tellement ténue entre le bien et le mal dans un roman qui laisse de fortes traces durables dans la mémoire et qui est assurément un des plus beaux livres de cette rentrée littéraire.
2 "California girls"; Simon Liberati (Grasset)
"Au moment où Tex allait ranger son arme, deux phares s'allumaient dans la propriété. Le bruit d'un démarreur fatigué fit baisser leur intensité jusuq'à ce que leur moteur leur rendit la flamme. En haut de l'allée qui montait à la maison, les feux d'une voiture éclairaient un petit batiment d'aspect surmonté d'un toit coupé un genre de chalet ou de grange."
Sur le même matériau de départ que l'ample fiction d'Emma Cline, l’approche immersive et paradoxalement distanciée de Simon Liberati est finalement d'une approche sensiblement différente.
D'après ce qu'il peut en dire dans les interviews de promotion du livre, Liberati, choucou des médias intellos parisiens à chacune de ses parutions, s'est interessé à ces filles de manière quasi obsessionnelle tant ce fait divers le passionne depuis l'enfance.
Simon Liberati choisit d'évoquer les jours précédant les meurtres, puis les meurtres eux-même, en totale immersion, nous plonge directement sur les lieux des massacres,et nous fait revivre les derniers instants des victimes
S'appuyant une documentation sérieuse, du type rapports de police et procès verbaux d’interrogatoires de témoins, Liberati fait montre d'une grande précision dans les faits et descriptions macabres.
California Girls possède le grand atout de rendre compte du mode de vie de ses filles et nous montre avec grande minutie, comment vit une horde de hippies dans le début des années 70
Alors que dans le roman de Cline, Les meurtres en eux-mêmes semblent finalement assez peu l’intéresser, étant traités seulement à la toute fin et rapidement, ils sont bien détaillés dans California Girls, qui ausculte les faits dans toute leur horreur, sondant le Mal pour mieux l’exorciser.
Si Liberati parsème de pas mal d' indices les motifs de cette violence latente qui entoure cette secte, le mystère de la psychologie de ses membres reste bien présent à la fin de la lecture. Liberati ne juge jamais ses personnages mais ceux ci donnent parfois l'impression d'être de pantins décervelés assoiffés de violence et de sang.
Par rapport à The girls, le fait divers est traité bien plus frontalement mais, en même temps, ce parti pris de faire une étude quasi clinique des faits empêche malheureusement, et contrairement au livre de Cline, l'émotion d'étreindre le lecteur, qui se sent parfois un peu oppressé par cette description sans concessions de faits particulièrement glauques.
On a en effet l'impression de se retrouve un peu devant un rapport de justice ou de tribunal et cette acumulation de faits documentation sur laquelle s'apuie Liberati possède ses avantages et ses limites.