Critique cinéma: Razzia, de Nabil Ayouch: Casablanca, loin de Bogart et de Bergman
I WANT TO BREAK FREE-
Oubliez Michael Curtiz, Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. A travers cinq portraits (dont on tarde un peu à comprendre le lien), Nabil Ayouch multiplie les prismes et les angles de vue pour rendre à une ville (Casablanca), un pays (le Maroc), et une société toute la violence de leurs contradictions.
Dans Razzia, on découvre la résignation qui peut se cacher derrière la silhouette d'une femme plantureuse, au front haut, robe étroite et cigarette aux lèvres.
On apprend qu 'on peut avoir quinze ans, boire de la vodka au bord de la piscine en flirtant avec le plus beau du lycée, et voir son amie, la petite bonne des voisins, ravie de se marier au même âge avec un homme qui en a le double.
On observe enfin, les injustices se multiplier, les frustrations s'envenimer : celles d'un restaurateur prospère et respecté, renvoyé à sa condition juive et écarté à la première occasion ; celle d'un l'instituteur de campagne, missionnaire du savoir, rattrapé par les forces de l'obscurantisme au fin fond des montagnes berbères ; celle enfin d'un jeune rockeur qui se rêve en Freddy Mercury national, relégué au rang d'amuseur folklorique pour la jeunesse dorée des beaux quartiers...
Autant de visages d'hommes et de femmes, autant de visages de la ville, cette Casablanca dont est fait l'hymne, cette ville-fantasme, ville-monde, ville-tombeau, c'est elle finalement le lien entre Salima, Hakim, Ines, Abdellah, Joseph, Ilyas. Au confinement des appartements (des pièces uniques de la Médina aux villas des quartiers huppés) répondent les plans larges des hauteur de la ville en nocturne ; comme à la promiscuité des villages répond l'immensité des montagnes de l'Atlas.
Anti-manichéiste au possible, Razzia touche durablement et , on pourra largement reconnaître au réalisateur le courage et l'intelligence de sortir des habituelles deux dimensions et du papier glacé de cartes postales pour raconter un Maroc contemporain...
Sans doute qu'en contrepartie, Ayoub veut toutefois trop en dire, sans en dire assez.
La multitude des sujets abordés et des problématiques posées laissent transparaître le trop plein des ressentiments accumulés : les relations hommes/femmes, l'avortement, l'éducation, le chômage, l'islamisme, les inégalités multiples, le poids des convenances...
Il semble que pour le réalisateur comme pour les personnages, il fallait que ça sorte ! Que ça éclate !
La précipitation avec laquelle Nabil Ayouch conclut Razzia n'a d'égale que la rapidité avec laquelle s'embrase la ville qui n'attend que la moindre étincelle pour déverser un trop plein jusque là contenu... le film comee révolte risquant par là de se consumer aussitôt, comme un feu de paille.
Razzia, de Nabil Ayouch (sortie le 14 mars 2018)
avec Maryam Touzani, Arieh Worthalter, Amine Ennaji, Abdelilah Rachid, Dounia Binebine, Abdellah Didane, Saadia Ladib, Younes Bouab