Théâtre: Le Maître et Marguerite à la Cartoucherie/ Tempête
Quand il arrive en ville, mieux vaut changer de trottoir. N’essayez pas de le contredire, l’avenir il le connait, c’est lui qui le fait. Et gare à ceux qui oseraient nier son existence, ce sera l’exil ou l’asile. Qui ? un renégat ? un despote ? non, le diable, tout simplement. Dans le roman Le Maitre et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, qu’adapte ici Igor Mendjisky à la scène, le diable débarque à Moscou pour régler quelques affaires courantes qui en disent long de la vanité et de l’orgueil humains.
Fidèle au foisonnement fou de l’œuvre, la mise en scène fait se croiser, se superposer les intrigues et les temporalités avant de les faire se rejoindre et se résoudre au point final.
Ainsi, Ponce Pilate, repenti d’avoir fait condamner à la croix un certain Yoshua prédicateur, le Maitre, écrivain conspué par la Russie des années 30 pour présomption de bigoterie, et Ivan, autre écrivain athée lui, témoin halluciné (et bientôt interné) des pouvoirs du diable, se partagent le plateau dans un changement de scènes d’une dextérité stupéfiante.
Au fond l’écran de projection qui vient prolonger l’imaginaire du plateau est le seul artifice que s’accorde une scénographie sobre et déjà éminemment suggestive. Sur un plateau carré tracé à la manière d’un ring ou d’une scène de crime, encadré par les spectateurs en tri frontal, le metteur en scène pourrait se contenter de faire confiance au texte et aux acteurs (dont il fait partie, jouant chacun deux ou trois personnages) pour nous emmener aux frontières ténues de la réalité, aux abords de la folie et aux limites poreuses du bien et du mal, du vrai et du faux.
En enfer il y aura de la place pour tous : est toujours le méchant de quelqu'un et il y a toujours plus méchant que soi. L’hôte des lieux ne négligeant personne, il accueille tous les déchus sans distinction : « il n’y a pas que les légendes, il y a aussi les faits divers ».
Réécrivant la mythologie manichéiste à l’aune du malin, l’enfer est punitif pour les uns, libérateur pour les autres, Boulgakov vient nous rappeler que les mythes et les légendes ont encore des choses à nous dire, à nous, adultes, à nous, hommes modernes.
Puisant dans le fatalisme de la tragédie antique, dans la didactique des récits bibliques et dans la magie des contes de fées, le spectacle nous fait insensiblement glisser vers un réalisme magique qu’on accepte aisément.
Si Boulgakov puise dans la généalogie théâtrale (c’est Ivan en Faust bravant l’immortel ; c’est Marguerite en Eurydice allant chercher son amant sur les bords des enfers), Igor Mendjisky fait résonner l’œuvre de toute son actualité et ravive sa portée politique (c’est le bal des dictateurs du XXème siècle ; c’est le procès d’intention de l’artiste censuré).
Et pour rendre hommage àce double héritage théâtral et religieux, on ne boude pas son plaisir d'entendre sur scène se mélanger les langues russe et hébraïque. Dans une mise en abîme de l’art, de la littérature et du théâtre ce sont eux les illusionnistes, les prestidigitateurs, les magiciens… les diables en somme : l’auteur et le metteur en scène.
Texte de Mikhaïl Boulgakov ; adaptation et mise en scène Igor Mendjisky ; avec Marc Arnaud, en alternance avec Adrien Melin, Romain Cottard, Pierre Hiessler, Igor Mendjisky, Pauline Murris, Alexandre Soulié, Esther Van den Driessche, en alternance avec Marion Déjardin, Yuriy Zavalnyouk
AuThéâtre de La Tempête – Cartoucherie route du champs de Manœuvre 75012 Paris
du 10 mai au 10 juin
En tournée :
du 6 au 27 juillet à Avignon au 11• Gilgamesh Belleville
du 6 au 9 mars au Grand T à Nantes
les 12 et 13 mars au Théâtre Firmin-Gémier – La Piscine à Antony…