Critique cinéma : LEAVE NO TRACE de Debra Granik
Le bruit des arbres qui tombent...
Accroupit au milieu des rangées d'arbres, la tête entre les mains, il pleure. Comment ce Robinson de forêt a-t-il pu se retrouver bûcheron de sapins calibrés pour Noël ?
Il a fallut qu'un jour, le jeu de cache-cache avec sa fille Tom au milieu des fougères ne soit plus un jeu. Malgré leur entraînement, la traque des Rangers aura raison de leur liberté.
Avec leurs chiens pisteurs, c'est la société qui les rattrape : celle des maisons en dur, des répertoires administratifs, de travail, de l'école... Il leur faudra donc quitter la tanière longuement aménagée au cœur de l'immense parc de Portland.
Comme importés dans le mauvais décor, les deux êtres déracinés flottent dans leur nouvel environnement. Habitués à faire avec peu, et à l'entourage exclusif des arbres, ils errent aux milieu de ces gens qui ne les comprennent pas, et de toutes ces « choses » qui ne leur appartiennent pas. Pourtant l'adolescente Tom fait peu à peu la découverte du contact humain... qui pourrait bien estomper son regret de la vie sauvage.
Ce lien social que fuit précisément son père, qui redoute les questions et supporte mal ce qu'il vit comme une prison physique et mentale.
Du scénario jusqu'à la direction d'acteur, la réalisatrice Debra Granic mène son film avec une économie juste et précise. Derrière le propos apparemment simple (le passage de la vie sauvage à la « civilisation »), la parcimonie des dialogues et l'épure du jeu des acteurs, Debra Granik dit peu pour signifier beaucoup.
Aucune mièvrerie dans son discours : il n'est pas question de compter fleurette sur la douceur de vivre dans une forêt humide, à manger des racines et à boire de l'eau de pluie.
Si on peut lire en filigrane une critique de cette société qui créé des moules et des marges, ce n'est que suggestion, et sans jamais tomber dans l'ode naïve du retour à la nature et à la vie sauvage.
Malgré la rudesse de ce quotidien atypique, la dureté des événements racontés et la force des épreuves traversées (ruptures, peurs, arrachement...) le film ne laisse aucune place à la violence.
Porté par un écrin de verdure débordante, et des personnages dessinés avec une finesse infinie (la pureté du couple père-fille joué par Thomasin McKenzie et Ben Foster est saisissante), « Leave no trace » n'est que délicatesse et résilience.
La chlorophyle adoucirait-elle les mœurs ?
LEAVE NO TRACE de Debra Granik
d'après le roman My Abandonment de Peter Rock
avec Thomasin Mckenzie, Ben Foster, Dale Dickey, Isaiah Stone...
Sortie le 19 septembre 2018