Rencontre cinéma : Nos Batailles : Interview Guillaume Senez et Romain Duris
"Nos batailles", le second long-métrage du belge Guillaume Senez, est sur nos écrans depuis mercredi dernier et il est plus que temps d'en parler sur Baz'art, tant ce nouveau film d'un cinéaste qui nous avait déjà épaté dans son premier long métrage, Keeper, est formidable à tous les niveaux.
Avec un réalisme incroyable qui donne énormément de crédibilité au récit, "Nos batailles " impressionne tant et tant que nous avons chercher à en savoir plus sur sa genèse, en discutant longuement avec son réalisateur et son acteur principal, l'immense Romain Duris (et nous avons fait quelques jaloux chez les demoiselles en dévoilant notre rencontre sur les réseaux sociaux, forcément) .
INTERVIEW Baz'art
Guillaume Senez et Romain Duris pour le film "Nos Batailles ":
Baz'art : Guillaume, pour ceux qui ont vu votre premier long "Keeper" et vos premiers courts métrages, les questions de filiation et d’abandon, au cœur de Nos batailles, semblent au centre de votre cinématographie. Pourquoi une telle obsession pour ces thématiques précisemment?
Il me restait des choses à exprimer et, contrairement à Keeper où mon protagoniste avait la vingtaine, j’avais envie de parler dans mon film suivant d’un personnage qui a un âge proche du mien.
"Nos batailles " part d'une histoire proche de la mienne et de l’envie de montrer de l'intérieur que c’est d’être père de deux enfants quand on rentre dans la quarantaine.
Baz'art : Et cela vous touche d'autant plus, que,d’après le dossier de presse, le personnage principal d’Olivier dans "nos Batailles", joué par Romain Duris, a quelque chose de profondément autobiographique, n’est-ce pas ?
Guillaume Senez : Tout à fait, Olivier part de résonnances intimes et personnelles : je me suis séparé de la mère de mes enfants il y a maintenant plus de cinq ans.J’étais justement en train de préparer "Keeper", j’avais une vie professionnelle assez intense et je me retrouvais confronté à plein de questions liées à cela: que ferais si la maman décide de partir à l’étranger, comment pourrais-je tenir mes engagements professionnels, mes idéaux, mes valeurs tout en pouvant m’occuper de mes enfants… ?
Et je me suis dit que je n’aurais pas réussi à trouver une stabilité entre ma vie professionnelle et familiale.
J’ai appris, comme Olivier dans le film, à vivre seul avec eux, à les regarder, et à chercher les comprendre et ce fût une période fondatrice pour moi, en tant qu’homme mais aussi en tant que cinéaste.Alors, même si la mère de mes enfants n’est pas partie sans crier gare comme Laura, le personnage féminin de "Nos Batailles", toutes ces réflexions ont nourri intensément le projet de départ.
En même temps, je ne voudrais pas réduire "Nos Batailles" à un film sur l'abandon et à ce mec proche de moi qui se retrouve seul du jour au lendemain. Pour moi, et j’espère que les spectateurs l’appréhenderont aussi de cette manière, "Nos Batailles", c’est surtout un film sur la liberté de la femme de partir du jour au lendemain de chez soi sans être condamnée.
Baz'art : Certes, mais ce qui est formidable aussi dans "Nos Batailles", en tant que spectateur masculin c’est qu’elle met en avant cette figure plutôt rare dans le cinéma contemporain de l’homme plaqué, qu’on retrouve aussi dans "Girls", un autre film belge génial qui sort en ce moment non ?
Non, plus sérieusement, vous avez raison : Nos batailles est avant tout un film sur la paternité : ce sont ses enfants, Elliot et Rose qui vont faire grandir Olivier et en faire un père, l’amener à se poser, à réfléchir à sa vie intime, à ses relations avec le monde et les autres.
Après, c’est assez logique que la femme soit souvent mise en avant lorsqu’on parle de parentalité, puisque c’est elle qui porte l’enfant.Pour ma part, je parle de choses que je connais et je ne peux donc qu’exprimer ce que je peux ressentir du côté de la paternité.
J’éprouvais néanmoins aussi une certain irritation à l’encontre de nombreux récits où quelques clichés avaient la vie dure, notamment envers ces femmes, qui étaient forcément toutes censées avoir l’instinct maternel, comme si ça allait de soi, alors que ce n’est pas toujours le cas.
Baz'art : Mais à ce propos, n’avez-vous pas eu de retours de la part de spectateurs qui ne comprendraient pas comment une mère peut quitter ses enfants sans leur donner signe de vie ?
Guillaume Senez : Ce genre de réactions, on en a eu plutôt à l’écriture, de la part des personnes qui devaient approuver le scénario pour des financements divers.
Pour moi, à la vision du film je pense que ma démarche est assez claire pour éviter justement ce genre de condamnation : je le répète, mais c’est important pour moi, c’est d’abord la liberté de la femme d’abandonner ses enfants que je voulais montrer.
Quand une mère abandonne le foyer, c'est parce qu'elle va en prison ou qu'elle est morte. Quand un homme quitte le domicile, c'est triste, malheureux, mais ça arrive. Une femme, c'est énormément tabou. Je voulais que Laura continue d'exister dans l'absence et qu'on ne la juge pas et cela à mes yeux est très important.
Laura n’est ni morte, ni en prison. Elle est partie et c’est tout, on n’en saura guère plus.
Je ne voulais ni expliquer, ni condamner : on comprend que cette femme ne trouvait plus sa place dans cette maison ou dans sa vie. Laura continue à exister dans l’absence, dans le souvenir des autres.
Baz'art : On note quelque chose en regardant Nos Batailles c'est l'absence de musique qui accompagne le film, sauf dans une sublime scène où les personnages dansent sur le Paradis blanc de Michel Berger...Pourquoi ce parti pris et ce choix de titre précisemment?
Guillaume Senez : En fait, je ne désirais pas d’autre musique ni d’accompagnement. J’adore la musique de film mais je n’en ai pas envie pour les miens.
Je suis mal à l’aise avec l’idée d’ajouter de la musique sur une scène, comme si elle ne se suffisait pas à elle-même. Il faut donc que la musique soit diégétique, justifiée dans la scène par le scénario : parce que les personnages écoutent un morceau, ou l’entendent.
Pour "Paradis blanc" de Berger, je cherchais une chanson qui évoque quelque chose à la fois nostalgique et populaire, qui amène une émotion que tout le monde peut partager.Baz'art : On ne peut pas vous interroger Guillaume sans parler de votre méthode particulière de travail : vous avez pour habitude de ne jamais donner les dialogues de vos films à vos comédiens, alors que vous les avez pourtant écrit de votre côté : comment faire pour arriver à ce qu’au bout d’un moment- vos dialogues et ceux prononcés sur grand écran par les comédiens- se rejoignent ?
Guillaume Senez : Avec du travail, forcément, beaucoup de travail même (sourires).
Mes comédiens ont connaissance de l’histoire et de son traitement mais ils ne reçoivent pas les dialogues. C’est une méthodologie que j’ai adoptée dès le début même dans mes premiers courts métrages, et que je peaufine à chaque nouveau tournage.
Mais quand je dis que c’est du boulot, je n'exagère pas : plus on donne de la liberté aux comédiens, plus c’est contraignant au niveau technique. Mais il y a un travail que j’aime beaucoup d’abord en improvisation, puis, petit à petit, en l’accompagnant au plus près, nous arrivons ensemble aux dialogues.
Et ça met tous les acteurs sur le même pied d’égalité. Avec les enfants cela fonctionne particulièrement bien.Mais c'est vrai que chacun est obligé de donner de sa personne : les comédiens, les ingénieurs du son, les cameramen… Et on essaie de chercher ensemble la meilleure manière de procéder.
C'est un chouette travail collectif. Ils cherchent leurs mots, ils se chevauchent et la spontanéité jaillit : le film devient naturaliste.
Bref pour répondre précisemment à votre question : entre ce que j'ai écrit et le film fini, il y a très peu de différence. Comme l'équipe technique et les comédiens travaillent de la même façon, en se mettant en empathie avec les personnages, cela me semble assez logique.
Baz'art : Et au niveau de la mise en scène, en quoi cette méthode particulière influe sur vos choix de caméras?
Guillaume Senez :Disons que lorsqu'on travaille avec cette méthode on est obligés de tourner caméra à l'apaule, car il est impossible d'avoir des plans fixes : la forme suit forcément.
En fait, je tens toujours vers une recherche de l'émotion et la forme doit aussi y contribuer!
Le film évite de tenir des discours mais montre beaucoup de choses :je n’aime pas quand on dit au spectateur ce qui est bien ou mal, et j’aime au contraire montrer les choses comme elles sont, comme elles existent.
On a beaucoup parlé ensemble de mon premier film, Keeper, de comment j'étais parvenu à cette spontanéité et ça l'excitait de travailler comme ça. Il avait envie de changer sa façon de faire, de sortir des sentiers battus.
Je l'aime beaucoup en tant qu'acteur, il fait des choix très étonnants.
J'ai senti qu'il était capable de beaucoup, que sa créativité allait trouver mon univers. et sincèrement je le dis pas parce qu'il est là mais Romain est quelqu’un qui se montre très généreux et à l’écoute de ses partenaires pendant un tournage.
Baz'art : Romain,puisqu'on parle de vous depuis 5 minutes, vous confirmez que vous avez beaucoup aimé cette méthode? et d'ailleurs, est- ce que vous l’aviez déjà appréhendé dans un autre film ?Romain Duris : Non, c’est la première fois que j’essayais cette méthode.
Je savais que Guillaume l’utilisait et c’est vrai que ça m’excitait pas mal et même temps même si je ne parais pas angoissé comme cela, cela pouvait aussi m’inquiéter un peu (sourires).
En fait, il faut savoir que dans cette méthode qui nécessite beaucoup d’improvisation, tu n'as pas le droit de jouer faux: tu es bien obligé de jouer quelque chose que tu ressens.Quand tout le monde joue le jeu et qu’on a envie de faire croire à quelque chose, même le plus étonnant, le plus aberrant, et bien aussi incroyable que ca puisse paraitre, ça marche.
Baz'art : Et cette façon de faire vous a donné finalement plus de liberté que sur vos autres projets ?Romain DURIS : Plus , je ne sais pas ( sourires) mais ce qui est sûr, c'est à quel point j'apprécie cette méthode parce qu’on construit tous ensemble.
Comme l'a dit Guillaume : ici, plus que jamais, tout le monde est au service et à l’écoute de l’autre.
On imagine, on invente, parfois on se trompe et dans ce cas, il est important d'être recadré. L’important était de rester inventif et de ne pas se restreindre.
Je n’ai jamais été frustré car il me semble avoir fait des propositions quand je l'estimais nécessaire, et Guillaume m’a vite fait comprendre n’était pas grave d’être à côté de la plaque que j'allais très vite être dans le vrai.Mais vraiment on insiste bien là-dessus il y a beaucoup de travail pour arriver à cela, mais dans mes personnages, je n’aime pas forcément qu’on voit les coutures, le travail et ça vaut évidemment pour "Nos batailles".
Après je pense que travailler avec Guillaume va m'aider sur mes tournages d'après, je le vois déjà avec le Vernon Subutex que j'ai tourné à la suite, j'ose des choses que je n'aurais pas forcément tenter sans avoir joué dans Nos Batailles, et cela, c'est vraiment réjouissant ( sourires) .
Depuis le début de ma carrière, je me dis toujours que ça peut s’arrêter demain. et ce n'est pas parce qu'on m'encense avec ce film que je ne vais pas me faire lyncher avec celui d'après.
Baz'art : Ca m'étonnnerait grandement... en attendant cela, tout les spectateurs de ce Nos Batailles seront forcément admiratif devant votre jeu on n'en doute pas une seconde.. Merci à vous deux pour cet entretien et longue vie à ce sublime film pour sa carrière en salles !!
Bande-annonce NOS BATAILLES (sortie le 03 octobre 2018)Nos Batailles, de Guillaume Senez. Avec Romain Duris, Laetitia Dosch et Laure Calamy. Au cinéma depuis le 3 octobre.