Interview cinéma Guillaume Senez pour "Une part manquante" : "Dans mes films, il est toujours question de paternité"
"J’ai été bluffé par Romain Duris et sa maîtrise du japonais"
Rencontre avec le réalisateur Guillaume Senez, dont le film "Une part manquante" est sorti le mercredi 13 novembre dans les salles.
Ce film qu'on a énormément apprécié, nous entraîne au Japon avec Romain Duris, qui incarne Jay, un homme installé à Tokyo, depuis plusieurs années, qui désespère de revoir sa fille depuis sa séparation avec sa femme.
J’étais avec Romain Duris au Japon pour la sortie de «Nos batailles» quand je suis tombé sur cette disposition légale dont j’ignorais tout et qui touche tant de gens: quelque 150000enfants (soit un mineur sur six) sont enlevés chaque année au Japon et perdent tout contact avec l’un de leurs parents.
En 2022, nous avons suivi à Tokyo une manifestation contre les enlèvements d’enfants, et compris que cela concernait des expatriés, mais surtout des Japonais, autant d’hommes que de femmes…
Leur détresse est telle que certains, parmi ceux que l’on a rencontrés, s’approprient le film et y voient une adaptation ciné de leur histoire personnelle.
Mais c’est véritablement un film de fiction, «inspiré de faits réels rendus publics» comme il est indiqué au début.
Dès qu’on a entendu parler de cette histoire, Romain et moi avons senti comme une évidence qu’il fallait en faire un film. Une fois rentré à Bruxelles, il m’a aiguillé vers un article de «Paris Match» et un reportage d’«Envoyé Spécial»…
Très vite, nous lui avons envoyé plusieurs versions de scénario et il me faisait des retours. Il s’est impliqué très en amont dans le processus depuis longtemps, a commencé très tôt à travailler son japonais. Je suis quelqu’un de très fidèle.
Si je donne ma confiance, c’est à vie. A contrario, si je ne m’entends pas bien humainement avec une personne, je ne peux pas envisager de travailler avec elle. Il faut que ce soit quelqu’un avec qui je pourrais partir en vacances, manger au restaurant et faire la tournée des bars le soir. Vous savez, je raisonne ainsi avec tous mes collaborateurs et collaboratrices.
On a découvert cette histoire avec Romain. Il y avait cette envie de refaire un film ensemble sur la paternité. Et je reste quand même un réalisateur européen qui fait un film sur le Japon, qui critique un peu le système. Même si j’ai essayé d’être juste, de montrer les choses telles qu’elles sont.
Après, ce qui me plaisait dans l’idée que ce soit un étranger, c’est qu’en filigrane, ça raconte aussi l’histoire d’un étranger qui essaie de s’intégrer et de combien c’est difficile.
Je me suis dit qu’en fait, ce n’était pas si éloigné de ce qui se passe chez nous.
On a vu plein de films qui prennent le spectateur par la main pour lui montrer comment c’est compliqué pour quelqu’un venant des pays de l’Est ou d’Afrique centrale de s’intégrer chez nous.
Mais ça nous passe sous le nez. C’est comme quand on croise un sans-abri dans la rue, à un moment donné, on finit par ne plus regarder, parce que ça nous culpabilise. Et si on faisait l’inverse ? Si on suivait un occidental au Japon, plongé dans une autre culture, une autre religion, une autre langue ?
Pour montrer combien c’est compliqué. C’est pour ça qu’au début, on voulait qu’il soit plus japonais que bien des Japonais…
Je suis père de trois enfants. Même en tant que spectateur, quand je vois un film ou même une pub, dès qu’il y a des enfants, je suis pris ! Il y a quelque chose qui me bouleverse, c’est viscéral.
C’est assez douloureux et long de faire un film, autant que ce soit pour des choses qui me parlent. J’ai été touché par ces histoires…
Il est toujours question de la paternité, de la parentalité, mais c’est plus éloigné de moi que Keeper ou Nos batailles , qui parlaient de choses plus intimes, que j’avais vécues.
C’était bien de constater que je pouvais aussi faire un film un peu plus éloigné de moi, avec une narration plus classique, mais efficace.
Interview réalisée le 23 octobre dernier
Merci au Pathé Lyon Bellecour et Haut et Court