Interview ANTOINE RAIMBAULT, réalisateur du film " Une Intime conviction"
L'affaire Viguier, on en a parlé longuement la semaine passée, puisqu'elle fait l'objet d'un long métrage qui sort en salles ce mercredi, le 6 février, et que j'avais eu la chance de voir dès le mois de septembre dernier, lors de sa première projection publique au festival de Montélimar "de l'écrit à l'écran" .
Le jeune cinéaste ANTOINE RAIMBAULT a réalisé un étonnant premier long métrage d'une justesse et d'une intelligence remarquables, et il nous paraissait alors essentiel de l'interroger dessus pour mieux connaitre la génèse et la portée de ce film..
S'en est suivi un long échange où l'on dissèque longuement les rouages de la justice français et de son corrolaire cinématographique, le film de procès, un genre souvent monopolisé par le cinéma américain avant que Antoine Raimbault ne vienne apporter son grain de sel .
Un entretien long et passionnant à lire plutôt après avoir vu le film dès mercredi dans toutes les salles de cinéma:
Interview ANTOINE RAIMBAULT / Baz’art
autour du film " Une intime conviction"
Baz’art : Vous avez assisté aux deux procès de Jacques Viguier, son premier en 2009 et le second en appel l’année d’après. Est-ce que, dès ce moment-là, vous saviez que vous alliez en tirer un matériau de long métrage, et pourquoi s’est-il déroulé autant de temps entre ces deux procès et la sortie du film en 2019 ?
Antoine Raimbault : C’est une longue histoire. C’est d’abord mon ami le cinéaste Karim Dridi qui me parle en 2009 de Jacques Viguier, un prof de droit, très cinéphile, qu’il a croisé dans des festivals et qui est sur le point de comparaître devant la cour d’assises pour le meurtre de sa femme, disparue neuf ans plus tôt. Je lui réponds que le sujet est délicat, complexe, et qu’on ne fait plus vraiment de films judiciaires en France. Mais Karim persiste, il a lu quelques uns de mes scénarii – toujours des histoires de doute – et il est convaincu que cette histoire va résonner en moi.
Je descends alors à Toulouse pour assister au procès et là je découvre à la fois la justice de mon pays et le calvaire de cette famille. Celui d’un homme accusé sans preuve, mais aussi celui des enfants qui grandissent depuis près de dix ans dans cette terrible équation : « Maman a disparu et papa est accusé de l’avoir assassinée. »
Un rapport de confiance va se construire entre la famille et moi. Sans doute parce que je ne suis pas journaliste, ils se mettent à me parler. Puis je fais la rencontre déterminante d’Emilie, une jeune femme qui n’est pas dans le film mais qui a énormément nourri le personnage de Nora, jouée par Marina Foïs.
Elle a été la compagne de Jacques Viguier après la disparition de son épouse. Elle a vingt ans lorsqu’elle le rencontre sur les bancs de la fac de droit, elle rêve alors d’être juge d’instruction. Puis elle va lui rendre visite en prison, entrer dans la vie de cette famille et y rester pendant neuf ans.
Pendant plusieurs années elle va éplucher le dossier d’instruction et faire de ce combat contre l’injustice un véritable sacerdoce.
L’indignation d’Emilie sur les bancs de la cour d’assises résonne avec mon effarement devant ce que je découvre de notre justice. Pour la famille Viguier le répit est de courte durée. Cinq jours après le premier procès le parquet fait appel.
Car en France le parquet peut faire appel d’un acquittement pour tout recommencer. Et si possible condamner Jacques Viguier puisque l’opinion publique semble convaincue de sa culpabilité.
Je redescends alors à Toulouse pour proposer aux enfants un documentaire sur leur point de vue durant le second procès. Le documentaire ne sera jamais diffusé mais les images nourriront énormément notre fiction.
Et puis, lorsque la famille parle de changer d’avocat pour faire face à cette nouvelle épreuve, dans une drôle de démarche citoyenne je me fais leur émissaire en allant trouver Maître Dupond-Moretti, que je rencontre à cette occasion.
Par la suite, j’ai vécu le procès d’Albi aux premières loges, observant de très près la procédure dans ses moindres recoins.
Baz'art : Mais si vous l'analysez un peu profondément, en quoi cette affaire Vigiuer résonne t- elle de cette façon si criante à vos yeux?
Antoine Raimbault : L’affaire Viguier, si singulière, est symbolique des dysfonctionnements de la justice française. Amener un homme devant les assises pour meurtre sans preuve et sans cadavre, le juger, l’acquitter, le rejuger, l’acquitter à nouveau... Sans jamais parvenir à faire la lumière sur ce qui a pu se passer. C’est un véritable fiasco judiciaire.
Et également, en même temps, c'est une grande histoire de doute. A l’issue de l’appel si riche en rebondissements, l’envie de faire un vrai film de procès s’impose. Et cette idée ne me quittera plus. Raconter la justice au plus près. Donner à voir la cour d’assises aujourd’hui. En rendre la complexité et tenter d’en saisir la puissance dramatique.
Trier et raffiner toute cette matière, trouver un point de vue, une forme, un rythme et un personnage, m’aura pris plus de temps que la moyenne.
Mais ces quelques années passées sur le projet étaient nécessaires pour prendre le recul et trouver l’équilibre entre fiction et réalité.
Baz’art : Si les scènes de procès collent visiblement très fidèlement à la réalité, vous avez tenu à créer autour de cette histoire un personnage de fiction, celui de Nora jouée superbement par Marina Fois-… Est-ce que, dès le départ, il était évident pour vous que ce personnage allait enrichir la partie documentaire du film, et était-ce dans le but d’insuffler une dramaturgie nécessaire ?
Antoine Raimbault :Le réel en soi ne peut pas suffire. Si l’on fait de son sujet – ici l’affaire Viguier – le cœur du film, alors mieux vaut faire un documentaire. Il n’y a pas de cinéma sans le récit d’un personnage.
Un personnage que l’on va suivre en épousant son regard et son émotion. Avec qui l’on va vibrer, trembler, se convaincre et douter… Un personnage pour donner de la perspective et réinterroger le réel.
C’est dans le parcours de Nora, sa transformation, l’évolution de ses rapports avec le ténor, que se situe le film. C’est parce que l’on raconte son histoire à elle qu’on dépasse le fait divers pour interroger le judiciaire au sens large.
Je crois qu’il n’y pas de cinéma s’il n’y pas une dimension universelle.
Baz’art : Mais peut-on dire que Nora est en quelque sorte votre double inversé ? Comme elle, j’imagine que vous avez écouté des heures et des heures d’audience au casque ou vous avez peut-être réveillé Dupond Moretti à des heures indues pour lui faire part de propre votre intime conviction, vous confirmez ?
Antoine Raimbault : Non, absolument pas. Sachez que pPersonne n’a jamais réveillé Eric Dupond-Moretti à 4H du matin. Et heureusement ( rires) !
Ca c’est vraiment de la pure fiction. Je me suis effectivement largement plongé dans le dossier et dans les écoutes, mais uniquement après le procès. Puis j’ai imaginé ce personnage de Nora, une prophane, électron libre dans les coulisses de la grande machine à juger.
Son entêtement à chercher une vérité, sa dérive, ses conflits progressifs avec l’avocat… Tout ça est inventé. L’idée étant de faire dialoguer ce personnage de fiction avec le réel en trouvant la juste distance de sécurité entre elle et la famille.
Lorsque je comprends que la seule distance à rompre est celle qui existe entre elle et le ténor, je structure le scénario autour de l’évolution de leur rapport.
J’ai fait de mon obsession pour l’affaire une obsession de cinéma, qui a engendré un personnage obsessionnel.
La boucle est bouclée. Mais Nora est également inspirée par le combat d’Emilie, ainsi que par de nombreux jurés que j’ai interviewés pendants des années.
Disons le plus sincèrement possible que Nora est une sorte de composite de toutes ces rencontres. Une extrapolation romancée et transgressive de la somme de ces points de vue citoyens sur la justice.
Mais on ne peut certainement pas circonscrire le propos du film à la conviction de Nora, qui va se laisser happer par cette affaire jusqu’à y découvrir sa propre part d’ombre. Au début, elle porte de solides valeurs, elle s’indigne qu’on puisse rejuger cet homme sans la moindre preuve.
Mais à force de creuser, elle va lentement se forger sa propre conviction, et n’aura bientôt de cesse de démontrer la culpabilité d’un autre. Bafouant ainsi elle-même ses principes, Nora finira par devenir le monstre qu’elle pensait combattre, le parfait miroir de l’instruction à charge et de l’acharnement judiciaire.
Nora constitue à la fois un fantasme de figure justicière et une tentative de réflexion sur les dangers de nos certitudes.
Baz’art : Votre film montre de façon très pertinente comment le doute nourrit l’essentiel de la réflexion judiciaire… Était-ce pour vous quelque chose de fondamental de l’affirmer, à l’heure où tout le monde semble perclus de certitudes en tous genres ?
Antoine Raimbault: Effectivement la différence entre l’enquête de police et la justice, c’est le doute. « Le jour où la conviction policière suffira, alors justice est morte et nous irons tous nous coucher. » dit Eric Dupond-Moretti dans sa plaidoirie finale. Bien sûr le besoin de vérité est terriblement humain. Mais dans la procédure française ni la preuve ni la vérité ne sont les enjeux de la défense. Il n’y a que le doute qui compte et qui doit profiter à l’accusé.
Ce qui semble une évidence mais qu’il faut rappeler plus que jamais alors que la présomption d’innocence est foulée au pied chaque jour. Qui plus est à une époque où les réseaux sociaux ont remplacé le café du commerce et où le poison de la rumeur s’insinue partout.
Baz’art : Il est très rare que le cinéma aborde des affaires criminelles aussi récentes, et encore plus celles dont le coupable n’a jamais été condamné. Avez-vous rencontré un certain nombre de contraintes juridiques de l’écriture du scénario ou du tournage du film, et si oui, comment avez-vous réussi à les contourner ?
Antoine Raimbault : Désolé, de le dire comme cela, mais votre question porte une ambiguïté. Malgré le fait que la justice et les médias aient évoqué pendant 10 ans l’hypothèse d’un meurtre, cette affaire est celle d’une disparition. On ne pourrait parler de coupable qu’à condition qu’il y ait un crime et une victime avérés. Or Suzanne Viguier n’a jamais été retrouvée et il n’existe encore aujourd’hui aucune preuve qu’elle soit morte.
Je n’ai rencontré aucune contrainte à proprement parler, si ce n’est celles que je me suis imposées. A savoir : Ne rien toucher de l’affaire. Tout ce que vous voyez et entendez des audiences, des écoutes téléphoniques, des archives radio, télé, mais aussi le dessin des enfants…
Tout ça est vrai. La fiction n’investit que le personnage de Nora et donc aussi les quelques scènes où elle dialogue avec la famille. Et bien sûr avec l’avocat. Le cœur du film est construit sur leur relation. Dès lors qu’on sort des audiences il s’agit donc de fait d’un Eric Dupond-Moretti de cinéma.
J’ai essayé d’imaginer comment il réagirait, lui qui a consacré sa vie à défendre le doute, face à Nora, enferrée dans ses certitudes.
Baz’art : Le thriller judiciaire est un genre quasiment exclusivement anglo-saxon, tant et si bien que le public français aurait tendance à considérer comme acquis certaines procédures qui n’existent pas dans le droit français. Était-ce un de vos défis au moment de vous lancer dans ce projet, celui de « franciser » un genre qu’ Hollywood avait d’une certaine manière confisqué ?
Antoine Raimbault : En fait, il y avait autrefois une tradition du drame de prétoire à la française. Sont restés La vérité de Clouzot, quelques très bons films d’André Cayatte, parmi lesquels Le glaive et la balance avec Antony Perkins et Jean Claude Brialy…
Mais c’est vrai que le cinéma français a depuis un certain temps déserté le genre au profit des anglo-saxon. Lorsque je découvre la cour d’assises, comme la plupart des spectateurs, je me fais la réflexion que je ne connais rien de notre procédure.
En revanche je sais pertinement que suis rompu aux codes judiciaires américains : Interrogatoire. Contre-interrogatoire. Objection votre honneur. Le gros plan sur la goutte de sueur du témoin face à la foule…
Ici rien de tout cela. Les témoins défilent en tournant le dos au public, entretenant un rapport privilégié avec le président qui est à la fois juge et arbitre, battant les cartes à l’audience, portant les mêmes habits que l’accusation et présidant ses jurés jusque dans la salle des délibérés.
Bref, je découvre notre justice inquisitoire qui réclame des jurés une intime conviction, formule symétrique et opposée du « doute raisonnable » requis dans les pays anglo-saxons.
Vous savez, notre intime conviction a quelque chose de religieux : « La loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus. Elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher dans la sincérité de leur conscience quelle impression ont fait sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense. »
L’enjeu, c’est bel et bien leurs impressions. C’est de l’ordre de l’irrationnel. L’intime conviction c’est un sentiment. C’est précisément ce que je veux raconter.
Dans la procédure accusatoire, très représentée par le cinéma américain, la défense comme l’accusation sont agissantes à la manifestation de la vérité. L’idée motrice est que la vérité va émerger de l’affrontement, le plus démocratique possible, de deux vérités.
Chez nous, c’est l’idée très ecclésiastique que la vérité vient d’en haut, qu’elle est presque confisquée au peuple et laissée dans les mains des ‘sachants’.
Sur le fond il se passe rarement quelque chose à l’audience, parce que tout est verrouillé par le dossier d’instruction qui a déjà trié le bon grain de l’ivraie. Chez nous, l’audience d’assises n’est bien souvent que la mise en scène de la vérité policière, qu’on cherche à entériner en vérité judiciaire. Mais heureusement la défense est là pour faire valoir le doute.
C’est à mon avis ces différences de fond entre nos procédures qui creusent un écart dans nos représentations cinématographiques de la justice.
Les films judiciaires américains sont en grande majorité des thrillers parce qu’il y a des rebondissements au cœur de l’audience. Là où souvent chez nous, il ne se passe pas grand chose. Mais justement cette affaire a connu des rebondissements rares dans les annales de la justice française.
C’est précisément parce que Nora s’entête à chercher la vérité depuis les coulisses, que le film a des allures de thriller. On pourrait même théoriser que c’est un ré-examen de l’affaire Viguier, sous l’angle de la procédure anglo-saxonne. Le film ressemble un peu à un Whodunit à l’américaine. Mais qui au lieu d’élucider une vérité, ne trouve que le doute. Pas comme une frustration, mais comme une valeur.Encore une fois, LA valeur cardinale de notre justice.
Baz’art : Est-ce que ces films américains de procès, notamment ceux de Sidney Lumet, Michael Mann ou Alan J Pakula, vous ont néanmoins servi de modèle pour le tournage d’« Une intime conviction », notamment au niveau du rythme des plaidoiries et de la façon de filmer des scènes forcément très bavardes ?
Antoine Raimbault : Vous savez, je n'ai absolument aucun problème avec les films bavards. Des personnages qui dialoguent, ça peut être passionnant et très cinématographiques. Douze hommes en colères et Les hommes du président sont mis en scène avec une précision redoutable.
Certes, la mise en scène se fait discrète mais c’est du très grand cinéma. J’avais déjà une passion pour Lumet et plus largement pour le cinéma politique américain des années 70. J’ai aussi grandi avec les expérimentations artistiques et politiques d’Oliver Stone…
Mais je ne parlerai pas de modèles sur les scènes de procès. D’abord parce que nos procédures étant différentes, les enjeux de mise en scène ne sont pas les mêmes. Et les thèmes non plus d’ailleurs. La boussole pour ce film c’était le réel. Parce que c’est ce réel qui déconstruit le mieux nos représentations judiciaires.
L’enjeu du film, c’était de faire découvrir notre cour d’assises et d’en rendre la complexité. Les influences directes du film sont plus à chercher du côté des grands films d’obsession…
Concernant le rythme du récit, les séquences de montage parallèle et la narration très elliptiques, là je le confesse je suis particulièrement sous influence du cinéma américain.
Mais cette écriture qu’a trouvé le film, c’est ce que j’ai ressenti aux assises. On est en apnée, en tension permanente. Tout va trop vite. C’est une sensation très physique, le rythme cardiaque sur le point d’exploser… Bref, les émotions d’un thriller.
Baz’art : Vous êtes assez proche du clan Viguier, et c’est même vous qui avez mis en relation la famille et l’avocat Dupond-Moretti pour le second procès. N’avez-vous pas eu peur qu’on vous reproche une certaine subjectivité, notamment par ceux qui sont convaincus de la culpabilité de Jacques Viguier ?
Antoine Raimbault : Je ne crois pas à l’objectivité, mais au cinéma. L’objectivité - si elle existe - est l’affaire des journalistes, qui travaillent en surface en écrêtant les faits pour trouver un éclairage équilibré.
Le cinéma se cherche dans les soubassements du réel, en prenant le risque de creuser les zones d’ombres pour raconter tout autre chose. Au final les questions m’importent bien plus que les réponses.
Le film sera probablement perçu comme une injustice par les accusateurs de Viguier. Il n’y a pas de justice sans injustice, l’un est le corollaire de l’autre. Cette affaire n’est qu’une somme de convictions. Celle de la culpabilité de Viguier en était une parmi d’autres, mais qui a intoxiqué l’opinion publique et, plus grave, tout le dossier.
Aujourd’hui, acquitté par deux fois, on ne peut plus remettre en question l’innocence de Jacques Viguier. On attend tous naïvement d’un procès qu’il livre la vérité. Malheureusement, assez souvent, on sort de la cour d’assises avec plus de questions que de réponses. La justice ne produit alors hélas que du doute et il faut s’en contenter.
Baz'art : De manière plus générale, comment le milieu judiciaire dans son ensemble a reçu le film, et dans son projet et dans sa finalité, pour ceux qui ont pu le voir ?
Antoine Raimbault :
C’est encore un peu tôt pour le dire. Ce que je peux vous dire c'est qu'il n'y a eu aucun obstacle à l’horizon lors de la fabrication. Un regard forcément curieux de la hiérarchie à l’égard de notre démarche, mais sans commentaire aucun.
Une fois le film fini nous avons été invité par le barreau de Paris à le présenter devant de nombreux avocats.
J’ai pu débattre avec des pénalistes mais aussi des magistrats. Il semble que le film soit compris par la profession.
Les valeurs qu’il porte - le doute, la présomption d’innocence - devraient résonner chez tout juriste digne de ce nom. J’attends évidemment avec impatience la réaction des magistrats plus directement concernés, qui se sont entêtés aveuglément dans ce procès sans preuve.
Mais je ne me fais que peu d’illusion sur la capacité de l’institution à se déjuger. Et je sais combien l’intime conviction est tenace. C’est le sujet du film.
Baz’art : Est-ce que l’essentiel des séquences de procès que l’on voit dans le film se fondent sur les notes que vous avez prises pendant le second procès ou sur les comptes rendus de l’audience dont vous avez pu prendre connaissance après les audiences?
Antoine Raimbault : Beaucoup de ce qu’on voit aux audiences a déjà été largement raconté dans la presse. Mais pour travailler en profondeur, j’ai recoupé mes propres notes avec celles de nombreux journalistes présents - presse écrite, radio, télé - mais aussi avec celles de Clémence Viguier, qui a elle aussi tout noté consciencieusement.
Le premier travail a été de consolider une retranscription précise des audiences. uelques milliers de pages qui ont constitué ensuite un des matériaux du scénario.
Baz’art : Vous avez dirigé Éric Dupond Moretti dans un court métrage. On sait par ailleurs que l’homme adore jouer, il a été notamment dirigé par Lelouch et sera prochainement sur les planches pour un seul en scène. Avez-vous songé, à un moment ou à un autre de l’aventure, de lui confier son propre rôle ou cela n’était-il jamais envisageable et si oui, pour quelles raisons ?
Antoine Raimbault : Dans mon court métrage j’imaginais Eric Dupond-Moretti dans une situation impossible : à la fois avocat cramponné à ses valeurs et victime terrassée par la douleur. C’était une pure fiction, dans laquelle il avait accepté de faire ses premiers pas d’acteur.
En revanche ici, même si on le ré-invente dans certaines séquences, ça aurait été impensable de lui demander de feindre l’émotion qui était la sienne à l’audience. L’enjeu du film, c’est aussi de casser les clichés sur les avocats bien souvent caricaturés en beaux parleurs, plein d’effets de manche.
J’ai tenté de montrer ce qu’il en coûte d’être avocat, ce que ça représente d’abnégation, de don de soi, et de sincérité. Demander au vrai Dupond-Moretti de se rejouer "pour de faux" aurait mis toute l’entreprise par terre.
Baz'art : Comment avez-vous dirigé Olivier Gourmet, qui n’a pas eu souvent l’occasion de jouer un personnage public bien vivant. A t- il facilement réussi à s’écarter de ce modèle, dont l’image est particulièrement connue du grand public ?
Antoine Raimbault : Olivier n’a pas hésité à jouer ce rôle , mais m’a quand même suggéré de changer le nom du "personnage" qu'il jouait…
Mais sa requête était tout simplement impossible. Un soupçon se serait immédiatement levé sur le film : « S’ils ont changé les noms, qu’on t- ils alors changé d’autre ? »
On n’a pas cherché le mimétisme ni la ressemblance physique. Mais il me semble que Gourmet et Dupond-Moretti sont faits du même bois. Quelque chose de sincère, de frontal, de premier degré, un bon sens presque terrien… Et puis ils sont tous les deux très physiques. Olivier a fait un travail de fond, nourri par ce que je lui donnais à lire, à voir, à écouter… Mais nourri aussi par sa rencontre avec Eric Dupond-Moretti, qu’il a suivi pendant 3 jours d’audiences à Melun.
Lorsqu’il est revenu, il lui avait piqué quelques détails, comme une façon de tenir sa clope, d’être un peu vouté. Mais il a aussi ramené plein de choses à lui, des gestes qui ne sont pas du tout ceux du modèle.
Encore une fois, l’enjeu était de construire un Dupond-Moretti de cinéma. Olivier a réussi ce challenge extraordinaire de nous faire oublier, le temps du film, le vrai Dupond-Moretti.
Baz'art : Mais plus concrètement, comment avez vous réussi à travailler sur cet aspect là avec Olivier Gourmet?
Antoine Raimbault : En fait, en amont du tournage, j’ai mis en place un atelier d’improvisation, ou plutôt d’initiation aux assises, avec tous les acteurs du prétoire. J’ai convié un avocat pénaliste pour leur détailler tout le protocole.
Leur expliquer comment est distribuée la parole, quel rôle a le président, l’avocat général, les avocats de la partie civile qui vont toujours chercher à déminer les questions de la défense avant qu’elle ait la parole…
Puis on a reconstitué la disposition d’une cour d’assises dans des bureaux. J’ai même demandé aux acteurs d’enfiler leur robe. Je leur faisais préparer le PV de tel flic qui viendrait le lendemain et qu’il leur faudrait interroger.
A la barre, je faisais venir des comédiens que j’avais nourris, ainsi que de véritables protagonistes judiciaires comme une commissaire de police ou un psychiatre ayant expertisé Jacques Viguier.
Et chacun leur tour, nos acteurs posait leurs questions, trouvant peu à peu leurs marques dans ce jeu de rôle, et tout s'est mis assez formidablement en route..
Baz'art : Ca c'est certain, et les spectateurs pourront aller le vérifier dès demain en salles..merci Beaucoup Antoine et votre film devrait faire une belle carrière en salles, c'est mon intime conviction..
UNE INTIME CONVICTION Bande Annonce