Avignon Jour #5 : "Mom's", "Comédiens" et "Déglutis, ça ira mieux", trois superbes pièces, dont deux grands coups de coeur...
Allez, on ne va pas s'arrêter sur une si bonne lancée ? On continue avec trois superbes pièces, dont deux grands coups de coeur...
1/ Faites des Mom's ! ou en tout cas, allez les voir !
Sylvie Audcoeur, Violaine Fumeau, Juliette Meyniac, Lucie Muratet et Anlo Piquet. Cinq femmes, cinq mères, cinq comédiennes... Et d'innombrables possibilités ! Ses origines new-yorkaises - la pièce est en effet une adaptation de Mom's The Word, texte de L. Carson, J. Daum, A. Kelly, R. Nichols, B. Pollard et D. Williams - n'empêchent pas le spectacle de nous toucher au coeur grâce au beau travail d'adaptation et de traduction réalisé par Aimée Clark-Langrée et Sylvie Audcoeur, jamais facile sur une création off Broadway contemporaine. Mais qu'on ne s'attende pas à une énième varation autour de Sex & the City ou Desperate Housewives, ici c'est bel et bien la maternité, ses joies, ses affres, et son cortège de questionnements, parfois désopilants, parfois sinistres, qui sont à l'oeuvre, de l'écriture à l'nterprétation des cinq magnifiques comédiennes, en passant par la mise en scène épurée et insolente de Armand Eloi et David Eguren, et les brillantes chorégraphies de Florentine Houdinière.
Vous allez rire, vous émouvoir, avoir envie de danser, de chanter avec ces supers mamans. On vous le conjure, profitez de votre passage avignonnais pour Faire des Mom's ! Vous ne le regretterez pas.
Chronique rédigée par François, potentiel rédacteur en devenir de Baz'art - who knows?!
Tous les jours à midi, au Théâtre des Lucioles, 10 Rue Rempart Saint-Lazare.
2 / Venez voir les Comédiens !
Après un immense succès au Théâtre de la Huchette à Paris, la troupe des Comédiens! mise en scène par l'excellent Samuel Sené, débarque à Avignon, avec plusieurs Trophées de la Comédie Musicale 2018 à son arc : de la Meilleure Comédie Musicale, de la Révélation Féminine, du Meilleur Interprète Masculin, du Meilleur Livret et de la Meilleure Mise en Scène (Whaouh).
Nous sommes à Paris en 1948, dans le célèbre Théâtre de la Huchette (tiens, donc). Un couple d'artistes, Pierre Castel (Fabian Richard), metteur en scène, et Colette Cordier, alias Coco (Marion Preïté) comédienne à la voix d'ange, amoureux comme jamais, se préparent pour la représentation qu'ils vont donner le soir-même du vaudeville Au diable vauvert de Léon Roussin. Mais pas n'importe quelle version de cette histoire vue et revue de mari trompé dans sa propre maison, non, une version musicale, avec de l'improvisation, du jazz et de la musique jouée en live, ce qui était très innovant pour la scène, à l'époque. Aucun doute, le succès sera au rendez-vous ! Les décors se montent doucement, les deux comédiens font leurs gammes, échauffent leur voix et leurs doigts sur le piano en attendant Guy (Cyril Romoli), un ancien camarade du Conservatoire de Coco venu remplacer leur troisième comédien en urgence et chez qui le retard semble être une habitude. L'agacement gagne peu à peu Pierre, non seulement en raison de la désinvolture manifeste du troisième comédien, de sa réticence à faire jouer un comédien perclus de tics et de tocs, mais bien parce que Guy était, comme beaucoup d'autres étudiants du Conservatoire, amoureux fou de Coco, à l'époque... Ainsi, le quatrième personnage du vaudeville, la jalousie, s'invite à la répétition, pour le meilleur et...
Mais quel talent ! Quels comédiens ! Quelle musique ! Tout dans cette pièce dans la pièce, dans cette mise en scène, est prodigieux. Inspiré d'un opéra de Leoncavallo, I Pagliacci (Le Paillasse, en français) inspiré lui-même d'une histoire vraie, Comédiens! est un savant mélange de théâtre dans le théâtre, avec l'intrigue du vaudeville qui se joue sur scène, les relations entre les comédiens qui s'enveniment peu à peu, transformant le Diable Vauvert en Othello -, de conventions théâtrales sur plusieurs époques et plusieurs genres, de comédie et de tragédie. On est complètement emportés dans cette intrigue où le glissement vers le tragique s'opère si doucement dans les deux premiers actes, jusqu'à exploser dans un final qui nous laisse sans voix, anéantis et admiratifs. Les partitions musicales orchestrées par Éric Chantelauze (pour le livret et les paroles des chansons) et Raphaël Bancou (pour la musique) accompagnent avec brio les différents registres de la pièce.
On ne peut que vous encourager à aller voir ces Comédiens!, ces musiciens, ces magiciens ! Bravo !
Tous les jours à 17h30 au Théâtre de l'Oulle // La Factory, 19, place Crillon.
3/ Déglutis, ça ira mieux ! ou le retour d'Andréa Bescond et Éric Métayer
On ne les présente plus, ces deux acolytes qui sèment le succès partout où ils passent. Après Les Chatouilles ou la danse de la colère et son adaptation cinématographique (2018), Andréa Bescond et Éric Métayer présentent Déglutis, ça ira mieux ! au Théâtre du Balcon.
La scène s'ouvre sur Aline (Isabel Otero) se battant avec un standard pour faire résilier son abonnement téléphonique, au milieu d'un appartement vidé de ses meubles. Atteinte d'une maladie dégénérative, elle commence à faire quelques rangements dans sa vie, avant de s'attaquer à un chantier plus délicat : renouer avec sa fille, Nina (Géraldine Martineau) une baroudeuse qui parcourt le monde pour des missions humanitaires pour, on le comprend rapidement, s'éloigner de cette mère immature, complètement à la ramasse qu'est la sienne. Et en effet, comme elle s'y attendait, les retrouvailles sont explosives. Nina, perpétuellement en révolte contre sa mère, fulmine, pensant qu'Aline l'ait fait revenir pour rien, jusqu'à ce qu'elle apprenne la nouvelle et entendre sa demande...
Isabel Otero est lumineuse, émouvante et terriblement attachante dans cette pièce. J'ai été moins convaincue par la prestation de Géraldine Martineau, mais leur duo, sans conteste, fonctionne très bien. Comme à leur habitude, les auteurs-metteurs en scène nous en mettent plein la vue avec un texte drôle, profond, qui nous prend aux tripes et aborde des thèmes aussi durs - et aussi actuels, avec en filigrannes, l'affaire Vincent Lambert - que le droit de mourir dans la dignité, l'euthanasie, le courage, le pardon ; des effets de lumière brillants (signés Jean-Yves de Saint-Fuscien) et une création vidéo (signée Charles Carcopino) qui nous embarquent tantôt dans une boîte de nuit bondée, tantôt sous un abribus la nuit, tantôt dans une chambre d'hôpital.
Voici une pièce qui fait réfléchir, tout en provoquant en nous un tsunami d'émotions contradictoires. Et salvateur. Un grand bravo.
À noter qu'Éric Métayer présente aussi Un monde fou, à La Condition des Soies !
Tous les jours à 22h30 au Théâtre du Balcon, 38, rue Guillaume Puy/