Entretien avec Geneviève Dulude-De Celles, réalisatrice du film "Une Colonie"
La réalisatrice québécoise Geneviève Dulude-De Celles explore une période charnière, celle du passage de l'enfance à l’adolescence avec "Une colonie", son tout premier long métrage de fiction, qui est sorti en salles mercredi dernier.
Comme on avait beaucoup aimé le film on a eu envie d'en savoir plus avec sa réalisatrice québécoise de passage sur Paris pour le promouvoir :
5 Questions à Geneviève Dulude-De Celles,
réalisatrice de "Une Colonie"
Baz'art: Pourquoi avoir eu envie de traiter de la thématique de l’adolescence dans votre premier long métrage, alors que le sujet a souvent été abordé au cinéma ?
Geneviève Dulude-De Celles : En fait, sans vouloir vous contredire (sourires), je traite surtout de la période de la pré adolescence, c’est-à-dire du passage de l’enfance à adolescence.
En fait, la plupart des « teens movies» que j’ai pu voir abordent surtout le passage de l’adolescence à l’âge adulte, et je tenais vraiment à ce que mon personnage central ait 11-12 ans et pas plus âge.
J’ai le sentiment que le choc peut être brutal et plus marquant dans le passage entre ces deux périodes que la transition entre l’adolescence et l’âge adulte.
Je l’ai vécu à mon époque, et çela semble toujours être le cas aujourd’hui : de plus en plus, on demande aux jeunes de vieillir vite.
Dans une colonie, évidemment, il y a de mon expérience à moi. J’ai été marquée par cette époque. J’avais envie de la revisiter, peut-être pour faire la paix avec la préadolescente que j’ai été, à la recherche de repères dans un milieu qui est si hostile.
Par ailleurs, j'ai le sentiment que les films sur l'adolescence que j'ai eu l'occasion voir au cinéma, malgré certaines qualités évidentes, sont toujours un peu trop romancés, on n'y croit pas toujours, il était important pour moi de conserver une approche très réaliste du sujet et des situations, sans pour autant notamment éluder la partie fiction.
Baz'art : En quoi ce premier long métrage prolonge le travail de vos précédents films, votre court métrage "La coupe", et votre documentaire "Bienvenue à F.L" ?
Geneviève Dulude-De Celles : Tout a commencé en fait avec mon court métrage La coupe qui parlait déjà d’une jeune héroïne de 11/12 ans et de sa relation particulière avec son père, divorcé de sa mère et de la façon dont elle percevait les choses.
J’ai eu la chance que ce film ait obtenu le Grand Prix du jury section court métrage au prestigieux festival de cinéma indépendant de Sundance, en 2014, et ensuite j’ai pu travailler au Sundance Institute, sorte de laboratoire de création aux États-Unis, pour écrire sur un sujet qui m’importait
A mon sens, il me semblait que je n’avais pas tout dit sur ce sujet et que j’avais envie de l’approfondir plus du côté de l’enfance que des parents.
En parallèle à ce travail, j’ai réalisé un documentaire Bienvenue à F.L. avant ce long métrage, qui racontait aussi l'entrée en secondaire de jeunes adolescents.
En ayant passé plus de deux ans au sein d’une école secondaire j’ai pu être en contact avec plusieurs jeunes qui se sont confiés à moi, et toute cette matière m'a servi pour consolider l'écriture du film .
Baz'art : Pourquoi ce parti pris de véracité totale qui irrigue votre film, est ce justement dû à ce documentaire que vous avez réalisé ?
Geneviève Dulude-De Celles : Oui certainement, comme j’ai tourné "Une colonie" quasiment dans la foulée de "Bienvenue à FL" , je n’ai pas vraiment quitté complètement mes réflexes documentaires.
Elle était fortement ancrée en moi, cette nécessité d’observer de plus près mon héroïne.
Mylia a le sentiment d’être un peu à part en changeant d'établissements, et il était essentiel pour moi que les émotions vécues par une adolescente arrivant dans une nouvelle école soient identiques à celles qu'on a tous éprouvé dans ce genre de situation.
J’ai ainsi tenu pour privilégier une caméra à l’épaule, qui ne lâche pas mes personnages, et qui est prêt à capturer toutes les émotions, même les plus difficiles.
Baz'art : Comment doit être perçu votre titre assez mystérieux," une colonie" ?
Geneviève Dulude-De Celles :J’avais envie d’une double lecture avec ce titre, qu’il évoque l’esprit communautaire de la petite ville-Pierreville, dans la région de mon enfance- où vit la jeune fille, il y a cette refléxion sous-entendue qui rejoint tout à la fois l’idée du collectif, c’est-à-dire une «colonie» comme un groupe de gens ensemble.
Mais je voulais également souligner la référence à notre passé de colonisateurs dont il est question dans une scène clé du film où on s’interroge sur les cours d’histoires enseignés à nos élèves.
J’avais envie qu’on parle de cette communauté Abénakise et de l’emprise des québécois sur cette communauté, malgré ce que les livres d’histoire enseignés au secondaire persistent à dire.
Baz'art : La plupart des jeunes comédiens du film sont des amateurs qui sont visiblement très proches de leurs personnages. La seule comédienne professionnelle est Emilie Biere qui joue Mylia qui a déjà une belle expérience au cinéma et en série au Québec… Pourquoi ce mélange entre des profils si divers et comment la mayonnaise a pris si bien entre eux?
Geneviève Dulude-De Celles : En effet, Emilie a déjà pas mal d’années d’expériences de jeu, elle a commencé ses premières pubs et courts métrages à six ans à peine, donc ça lui fait huit ans de métier, plus que moi quasiment (sourires)…
Et c’est vrai qu’au départ j’avais quelques réticences car cela ne cadrait pas à mes envies de départ de faire un casting au sauvage avec des jeunes acteurs qui n’avaient pas l’expérience de la caméra.
Mais, très vite, lors des auditions, Emilie nous a totalement bluffé, elle nous a fait tous pleurer en fait.
C'est là que je me suis dit que je pourrais lui demander d’aller plus loin qu’avec des acteurs qui n’avaient jamais joué, elle a une telle maturité dans son jeu que c’en est extraordinaire.
Avec les autres acteurs, qu’on a trouvé après un gros casting sauvage de 5 mois dans la région où devait se déroulait le tournage, ça a été un énorme investissement et on savait pas toujours où l'on mettait les pieds.
Mais on a eu la grande chance de répéter pendant deux mois avant le tournage, ce qui est assez rare, c'était un luxe qu'on a voulu prendre avec la productrice.
Cela a permis de construire une vraie complicité avec les acteurs et de préparer parfaitement en amont le tournage, et de réussir à capter cette vérité qui était essentielle à mes yeux et véritablement la raison d’être de ce film.
Geneviève Dulude-De Celles, et la comédienne Emilie Bierre à Paris le 30 octobre lors de l'entretien
Merci au distributeur WAYNA PITCH