Festival Chéries/ Chéri : 5B de Paul Haggis et Dan Krauss : Chérir à défaut de guérir
Le Festival de cinéma LGBT Chéries-Chéris propose depuis 1994 un grand choix de films, de documentaires et de courts-métrages abordant les homosexualités et les transidentités. La nouvelle édition aura lieu dans quelques jours, soit du 16 au 26 novembre à Paris.
Nous avons eu la chance de visionner en avant-première plusieurs films proposés lors des différentes compétitions, et c'est peu de dire que la la sélection notamment de de documentaires du festival nous a semblé particulièrement remarquables.
On commence cette sélection par le très beau documentaire 5B de Paul Haggis- oscar du Meilleur film pour Collision- et Dan Krauss, présenté en sélection spéciale lors du Dernier Festival de Cannes retraçant l’histoire du premier service hospitalier des Etats-Unis dédié aux malades du sida .
5B, le documentaire de Paul Haggis et Dan Krauss, commence par les images d'un paradis perdu : le quartier du Castro, à San Francisco, dans les années 70. Épicentre de la vie culturelle homosexuelle, le quartier est alors le foyer des luttes pour la reconnaissances des droits de la communauté LGBT. Au début des années 80 aux États-Unis, l'élan de cette communauté est stoppé net par l'épidémie du sida.
La maladie est de manière implacable synonyme de mort, après un calvaire de quelques semaines.
Devant la virulence et la surprise de l'épidémie, la psychose s'empare de la société américaine.
De multiples fantasmes circulent à propos des causes de la maladie et de son mode de transmission.
Le sida devient le « cancer gay », expression infamante qui jette l'opprobre sur une communauté frappée par une catastrophe qui ressemble fort, pour certains puritains zélés, aux châtiment d'un dieu en colère.
Tandis que les malades succombent, dans la solitude et la souffrance, on milite pour leur mise en quarantaine, voire leur déportation.
Très vite, certains médecins et infirmiers réagissent, déterminés à contrer l'ignorance qui entoure la maladie et à rompre l'isolement dont sont victimes les personnes séropositives. Sous l'impulsion du docteur Cliff Morrison, l'aile 5B de l’hôpital général de San Francisco ouvre ses portes. Elle abrite le tout premier service dédié aux malades du sida.
Grâce aux vidéos d'époque tournées au sein de l'établissement, le documentaire de Paul Haggis et Dan Krauss rend compte de la vie quotidienne dans l'aile 5B et revient avec précision sur les enjeux auxquels l'équipe soignante a été confrontée, en recueillant, 35 ans après, les témoignages des principaux acteurs de cette période, d'une puissance incroyable.
Sans espoir de voir leurs patients guérir, infirmiers et médecins s'attellent à soulager des souffrances extrêmes et surtout, à rendre leur dignité à ceux qui sont devenus des parias dans la société. L'obsession portée à cette dignité se traduit par un sens fondamental : celui du toucher.
Toucher le malade (une des peurs qu'instiguent les fantasmes liés au sida), c'est instaurer un rapport d'égalité et de dignité. En ce sens, le souci de l'équipement revient constamment dans les témoignages des soignants. Porter une protection superficielle, à laquelle n'oblige pas une science qui progresse en parallèle sur la connaissance du VIH, est considéré comme une insulte vis à vis d'un patient qu'on abaisse par là au rang de pestiféré.
Sans gants, ni masque ou combinaison, on touche, on enlace, on embrasse. L'urgence et la gravité de la situation commandent un besoin impérieux de vie, avant une mort certaine. L'éthique médicale traditionnelle se déforme quelque peu pour épouser ce besoin : les animaux sont acceptés, les visites sont plus libres.
Un besoin éclatant qui transpire dans chaque mot qu'utilisent soignants, proches de malades et tous ceux qui ont fréquenté l'aile 5B. Une infirmière explique qu'en intégrant l'équipe, elle s'est sentie pour la première fois de sa carrière autorisée à aimer ses patients.
On voit l'activiste Rita Rockett, qui organisait chaque semaine des repas dans le service, serrer des corps décharnés, meurtris. Les visages, malgré tout, sont souriants. Sans autre recours, l'amour et la compassion devaient animer les derniers gestes envers ces hommes et ces femmes.
Le courage n'empêche pas la peur. L'équipe soignante est en première ligne, à commencer par les infirmières, pour lesquelles une petite erreur d'inattention peut être fatale.
Certaines cèdent à une panique, la même qui s'empare du pays, souvent teintée d'homophobie, et portent l'affaire devant un syndicat chargé d'étudier leurs conditions de travail.
C'est tout le travail de Cliff Morrison et de son équipe qui est remis en cause. De cette peur et de ces préjugés découlent des discours haineux que le film intègre comme autant de contrepoints au courage de l'équipe de l'aile 5B. On dénonce le « traitement de faveur » réservé aux séropositifs, frappés d'une maladie qui n'est que la conséquence de mœurs dissolues.
La réponse du syndicat est sans appel : il ne s'agit pas de conditions de travail mais d'un devoir qu'ont les infirmières de prendre soin des personnes à leur charge. Toutes formes de barrière entre elles et leur patient doivent être justifiées par la nécessité.
Ce devoir de prendre soin (to Care en anglais) est le socle d'une éthique qui prend en compte, au-delà du diagnostic, les relations qu'entretient le malade avec les soignants et son environnement.
Il ne s'agit pas que d'un cas clinique à résoudre. Il ne s'agit pas de l'aile 5B de l’hôpital général de San Francisco, de sida ou d'homosexualité. Il s'agit d'humanité, tout simplement.
5B de Paul Haggis et Dan Krauss sera projeté dans le cadre du festival LGBT+ Chéries Chéris, du 16 au 26 novembre à Paris
Film projeté le dimanche 17 novembre 2019 à 19:40 au MK2 Beaubourg Salle 2
La séance sera présentée par le journaliste Christophe Martet, connu pour son combat contre le VIH.