Opus 77 : Alexis Ragougneau, un roman familial, musical et politique!! ,
« Un jour, lors d’une répétition d’un concerto de Prokofiev, un chef autrichien, trouvant que je jouais trop vite, que j’étais systématiquement en avance sur son orchestre, m’a demandé si je connaissais la valeur d’un silence. J’ai claqué le couvercle du clavier et je suis sortie boire une vodka à la brasserie d’en face. Je lui ai fait porter un mot, sur un petit plateau, par un serveur en veston : j’exigeais des excuses, devant l’orchestre au grand complet, sinon pas de concert le soir. Les tractations ont duré près d’une heure, de part et d’autre du boulevard. A la fin, le petit dictateur a fini par céder. Excuses plates et publiques. Le serveur qui avait joué les messagers a eu droit à un pourboire royal. Ce jour-là, on m’a prise pour une insupportable diva – ce que je suis, d’ailleurs. L’Autrichien n’a jamais su à quel point il était passé près du premier sang.»
Une famille musicienne, le père pianiste virtuose devenu chef d’orchestre, la mère artiste lyrique qui s’est tue à l’ombre du grand homme. Deux enfants naitront, David violoniste et Ariane pianiste, tous deux prodiges évidemment, bon sang ne saurait mentir. Mais comment grandir, comment exister et se réaliser face à un père démiurge et tyrannique. Fils et fille suivront des chemins différents.
Roman à la première personne, Ariane Claessens nous parle, elle nous raconte avec distance et réalisme, le paradoxe du musicien. Un quotidien fait de grâce et d’émotions pures et un mental d’acier qui sert de bouclier. David et Ariane deux manières d’affronter la vie.
Œdipe musical de la plus belle eau, bien sûr, mais le roman d’Alexis Ragougneau est beaucoup plus que cela. Une virtuose plongée littéraire dans l’univers de la grande musique. Description sans fard de l’impitoyable compétition qui existe entre les musiciens, un monde froid où tout n’est que travail pour laisser sa sensibilité exploser sur la scène.
"Ici, en cette basilique, j’en vois plusieurs, parmi les musiciens de l’Orchestre de la Suisse romande sur qui regnait mon pere, asetre vetus de leur frac des grands soirs. La minute de silence n’est pas encore achevée mais deja ils veulent presser le tempo, passer a la céremonie religieuse proprement dite. Je les vois depuis mon clavier, je les vois s’agiter sur leur chaise, croiser puis de croiser les jambes; je les entends toussoter, faire craquer leurs jointures, se moucher avec plus ou moins de discretion (il faut dire que nous sommes en hiver; froide, froide et humide Geneve). Sans instrument entre les mains, ils ne savent pas quoi faire. Le silence leur est insupportable. "
Roman familial, musical et politique, la figure du père agissant comme un dictateur dans sa propre famille et un subtil résumé de la vie de Dmitri Chostakovich compositeur de l’Opus du titre, auteur génial, jouet entre les mains de Staline, « Opus 77 » est un roman passionnant qui se lit d’une traite.
Même si ou surtout si comme moi, vous ne connaissez rien au monde de la musique classique.
« Opus 77 » d’Alexis Ragougneau. Viviane Hamy, 256 p., 19 €
NB Baz’art avait déjà beaucoup aimé « La Madone de Notre-Dame », « Evangile pour un gueux » et « Niels » les trois précédents romans D’Alexis Ragougneau. et vous l'avez compris, aime encore plus celui ci!!