Critique cinéma : Effacer l'historique :le meilleur film des Kerven/Delepine?
Contrairement à d'autres médias qui les ont toujours soutenu on a souvent reproché au cinéma du tandem de cinéastes constitué de Gustave Kerven et Benoit Delépine , malgré d' évidentes bonnes intentions de départ, un certain nombre de défauts.
Parmi ceux ci, on avait relevé cette tendance à trop privilégier l'excentricité, la gaudriole et l’ambiance souvent réduits à du cocasse et du décalé. à la profondeur du récit et des personnages, et d'aboutir la plupart du temps à une succession de sketches inégaux qui manquaient de liant et de fil conducteur, et des personnages qu'on aimerait voir dôté d'un peu plus d'épaisseur.
Avec Effacer l’historique, leur 10e et dernier long métrage en date, sans doute avec "Louise Michel" , celui qui nous a semblé le plus abouti et le plus maitrisé, on est ravis de constater que le duo parvient à éviter ces écueils pour nous proposer une satire mordante et très réussie qui fait du bien en ces temps de cinéma en pleine crise sanitaire.
Effacer l’historique met en scène trois protagonistes , amis et voisins résidant au sein du même lotissement, qui, pour une raison différente, vont soudainement perdre leurs nerfs devant leurs écrans.
Que ce soit la mère de famille victime d'un chantage à la sextape (Blanche Gardin), un père surendetté dont la fille est victime de harcèlement (Denis Podalydès) ou cette chauffeur de VTC accroc aux séries et dépitée par sa faible note professionnelle ( Corinne Masiero), tous vont subir un pétage de plomb numérique devant cette déshumanisation totale qui s' ajoute à la crise sociale et morale actuelle.
Portrait féroce et tendre à la fois d'une France post gilets jaunes totalement désorientée par le tout numérique, Effacer l’historique raconte avec beaucoup d'humour noir et pas mal de mélancolie le mal-être d’un pays et de ses habitants qui semble lessivés par la précarité.
Contrairement aux héros de certains des films du duo,( Mamuth ou Louise Michel), les adversaires contre lesquels se battent ceux d' "Effacer l’historique" ne sont pas palpables, car dissous dans le grand cloud numérique.
De fait, leur combat relève d'un vrai parcours du combattant dans un monde où l'individualisme et le libéralisme sont omniprésents, et les ménera même jusqu’au siège social de l’une des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) à San Francisco.
Mais heureusement, dans ce chemin de croix dématérialisé, il reste un peu de place pour un geste d’hospitalité puisque nos trois anti héros, fatigués d'être des David contre les Goliath numériques, vont décider d’unir leurs forces pour tenter de vaincre leurs maux.
Certes, dans sa première partie , "Effacer historique " peut donner l'impression de parfois basculer dans le film à sketches ( un écueil du cinéma du duo dont on a parlé au tout début).
Le film est en effet constitué d'une succession de séquences, souvent très drôles mais sans forcément de liant entre elles, où apparaissent des acteurs fidèles à l'univers grolandais ( Michel Houellebecq, Benoit Poelvorde, Vincent Lacoste) ou d'autres qui font une première apparition comme Vincent Dedienne ou Philippe Rebot dans une scène vraiment formidable de dinguerie.
Cependant, le film dépasse vite ce sentiment pour parvenir à brosser un tableau très contemporain et très juste de notre rapport au monde numérique actuel, entre ubérisation du travail, exploitation des données personnelles et développement de l'intelligence artificielle...
Porté par trois formidables acteurs parfaitement solubles dans l'univers Kervenien- delepinois (même Poda, celui des trois qu'on imaginait le moins comptabile) le film regorge de séquences non-sensiques d'une grande force et d'une grande malice .
Noir, voire désenchanté par moments ( avec des références déjà anciennes au Gilets Jaunes dont on parle décidemment souvent dans cette rentrée culturelle) "Effacer l'historique" est surtout un film très, très drôle avec un rire salvateur et libérateur; le film se permettant même un dénouement poétique et vraiment touchant.
Bref, un film qui fait un bien fou pour cette fin d'été et qui prouve qu'il y aura le 26 août dans les salles d'autres alternatives à la mastodonte Tenet qui menace de tout broyer sur son passage.
Film français de Benoît Delépine et Gustave Kervern. Avec Blanche Gardin, Corinne Masiero, Denis Podalydès (1 h 46). Sortie en salle le 26 aout-
A noter que le film sera présenté en avant première ce samedi 22 août à Lyon au Pathé Bellecour ainsi qu'au Cinéma Comoedia
#Effacerlhistorique des Kerven/Delepine est sans doute un de leurs meilleurs films... surfant sur un thème très actuel- la déshumanisation du monde ultra connecté le duo grolandais signe une chronique mélancomique où le rire cotoie la dépressionmais où l'optimisme reste de mise, pic.twitter.com/e6PHXGGA4s
— Baz'art (@blog_bazart) August 12, 2020