Les grandes occasions :Alexandra Matine sonde les abysses d'une famille à la dérive
" Il y a le silence, qui couvre le bruit des machines, qu’ils n’entendent plus. Il y a le parfum cuivré d’Esther qu’eux seuls devinent encore sous l’odeur piquante et glacée de l’hôpital. Il y a un unique bouquet de fleurs, dont on ne sait qui l’a offert, qu’on a foutu dans un vase, toujours emballé dans son plastique. Dans le coin, près de la porte, il y a une valise avec des vêtements pour quand Esther sortira. Personne ne l’a ouverte."
Pour cette deuxième chronique d'un roman de cette rentrée de janvier 2021, si l'on abandonne- momentanément?- les auteurs confirmés pour une primo romancière, Alexandra Matine, venue un peu de nulle part*, ainsi que les grosses maisons d'édition comme Julliard pour d'autres toutes récentes , force est de reconnaitre que "Les grandes occasions" a quelques points communs non négligeables avec "Le dernier enfant" de Philippe Besson.
En effet, comme dans ce dernier, l'autrice de ce beau premier roman** nous plonge dans la tête d'une mère particulièrement vulnérable et fragilisée, à l'aube d'un jour particulier pour elle.
Ce jour là, c'est celui où Esther, la mère en question, souhaite organiser un repas pour enfin réunir tous les membres d'une famille- composée de 4 enfants que la vie et les tensions ont totalement distendus.
Peu à peu, au fil des chapitres, on va découvrir les raisons qui ont fait que, pour chaque membre, l'harmonie au sein de sa famille s'est disloquée et comment les incompréhensions et blessures inavouées ont pris toute leur place.
Elle voudrait dire : « Viens s’il te plaît, c’est important. Ça fait des années que nous n’avons pas été tous ensemble. » mais une fois encore, elle ne dit rien. Tout ce qu’elle a à dire se transformerait en cri. C’est si incontrôlable, le chagrin d’une mère."
Le sujet est on ne peut plus bateau, on ne compte en effet plus vraiment les chroniques de familles dysfonctionnelle qui ont cours dans les fictions littéraires et cinématographiques, mais Alexandra Matine réussit à transcender ce déjà vu grâce à une construction intelligente, toute en finesse et à des personnages complexes- à part peut-être le mari; Reza, qu'on a beaucoup de mal à trouver sympathique- et psychologiquement fouillés.
Alexandra Matine sonde avec subtilité et une certaine poésie les abymes d'une famille à la dérive.
Elle nous montre que comme celle d'Esther, chaque famille est pétrie de secrets, d’incompréhensions et combien un édifice familial construit sur des membres qui ne savent pas communiquer et s'écouter ont du mal à s'aimer.
Un très beau premier roman à ne pas ignorer au cours de cette très dense rentrée littéraire de janvier 2021.
* On sait simplement, selon le site de l'éditeur qu'Alexandra Matine a été journaliste à Londres et à Amsterdam avant d'écrire ce premier roman suite au décès de sa grand mère.
** Merci à babelio- dans le cadre de l'opération Masse critique privilégiée et à la jeune maison d'édition Les avrils pour cette belle découverte.