Revue de BD : Trois albums qui parlent du monde du travail et de solidarité
Une thématique identique traverse nos trois BD / romans graphiques de ce mercredi BD: la peinture d'un milieu professionnel ( industriel pour les 2 premiers, de service public pour le 3e) qui se serre les coudes malgré les difficultés et les adversités .
Petite revue de nos trois coups de coeur BD de la semaine :
1/ Sortie d'usine, La GMS, la désindustrialisation et moi Benjamin Carle, David Lopez / Steinkis; mars 2021
Autour du combat des 277 salariés de l’usine d’équipement automobile GM&S de la Souterraine, sous-traitant de PSA et de Renault devenue l’un symbole des fermetures d’usines, il existait déjà un documentaire, "On va tout péter",réalisé par le documentariste activiste Lech Kowalski, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2019.
Désormais, le combat des anciens de GM&S est aussi raconté dans une bande dessinée, et comme le film il nous plonge dans la révolte, les espoirs et désillusions de ces hommes et femmes qui s'accrochent à leur usine, après souvent plus de 20 ans de bons et loyaux services .
Bon point pour ceux qui- comme nous- trouvaient le film un peu trop manichéen et trop frontal : la BD est moins ouvertement militante que le film , ceci grace au joli travail d'investigation du journaliste Benjamin Carle qui s'attache plus globalement, au travers du parcours des GM&S, à raconter tout un pan de 'histoire de la désindustrialisation française.
On connait le travail et les thématiques de prédilection du scénariste et journaliste Benjamin Carle qu'on avait découvert avec son documentaire Made in France dans lequel il se mettait en scene et dans lequel s'astreignait pendant un an à ne consommer que des produits conçus dans l'hexagone .
On n'est donc pas surpris qu'il choississe une nouvelle fois de se mettre en scène dans la BD et de continuer à aborder ces thèmes passionnants que sont l'évolution de l'industrie française en pleine mondialisation .
Carle s'attache ici à très bien montrer à quel point ce fleuron industriel est sous la coupe des intérêts d’une finance internationalisées passablement déconnectée des besoins du site et de la région.
A ses cotés, le dessinateur David Lopez évite toute caricature dans la peinture des syndicalistes et des ouvriers .
Cette finesse des traits et de l'analyse fait de ce Sortie d’usine un témoignage honnête, sincère et instructif d'une France trop souvent mal montrée dans les médias ..
Chroniqueur: Michel
2/ Lorraine Cœur d'Acier; Histoire d'une radio pirate, libre et populaire (1979-1981) Vincent Bailly et l'illustrateur Tristan Thil éditions Futuropolis ( avril 2021
Ce n’est pas parce qu’on a perdu qu’on avait tort".
Radio pirate fondée en mars 1979 par la CGT à Longwy pour lutter contre les fermetures d'usines sidérurgiques, Lorraine Cœur d'acier fut une véritable expérience sociale, marquée par son ouverture.
C'était une radio véritablement libre, qui prônait la solidarité et qui aura notamment accueilli des personnalités politiques comme Georges Marchais, Daniel Cohn-Bendit, Alain Krivine, Françoise Giroud, Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Mais tout le monde pouvait y intervenir, et elle diffusait aussi de la poésie, de la musique et des récits de vies.
Ce roman graphique d'envergure assez exceptionnelle est avant tout une belle ode à la liberté d'expression, et dévoile avec un peu de nostalgie mais sans s'appitoyer non plus un pan de l'ancien monde quand on parlait encore de politique sur de nouvelles radios dont l'adverbe libre n'était pas galvaudé .
Le scénariste Vincent Bailly et l'illustrateur Tristan Thil restituent avec pas mal d'élégance et de soin le climat un peu fin de régne et crépusculaire de ce monde révolu tout en insistant sur l'humanité et la solidarité qui se dégagent des personnages.
Chroniqueur: Phil
3/ Le choeur des femmes/ Martin Winckler; Aude Mermilliod ( Editions du Lombard)
Toute consultation gynécologique doit-elle forcément rimer avec examen? Est ce qu'une femme qui tombe enceinte en prenant la pilule est une menteuse ? Peut-on accoucher ou se faire examiner autrement que les pieds dans les étriers ? A travers les personnages de Jean (jeune interne qui se destine à la chirurgie) et du docteur Karma, Le choeur des femmes, adaptation du roman de Martin Winckler, s'affrontent deux visions de la médecine.
Dans l'une, les pratiques sont dictées par le confort du médecin (et par le fait d'être efficace sans perdre de temps). Dans l'autre, l'écoute de la patiente, qu'il s'agisse de contraception, de violences conjugales, de maternité ou d'avortement, est mise au cœur de la consultation.
"Moi, hors du bloc, rien ne m’intéressait. Sur la table, les patientes étaient silencieuses. Je voulais du concret, des scalpels, des ciseaux, du fil et des aiguilles. »
D'abord agacée par ce qu'elle appelle "les paroles de bonnes femmes", Jean va peu à peu changer sa vision de la médecine et je dirais même plus du soin car c'est le soin qui est central.
Prendre soin, traiter la patiente comme une personne unique sans juger ses actes ou ses motivations, respecter la femme et son corps, faire preuve d'humanisme et de bienveillance.
Tout ce que j'ai pu trouver chez la sage femme qui me suit depuis peu après des années de suivi par des gynécologues (femmes) froides, cassantes, me grondant parfois comme une enfant.
Le choeur des femmes est en plus ponctué de portraits que j'ai trouvés très émouvants, le tout porté par le dessin tout en sensibilité d'Aude Mermilliod.
A mettre entre les mains du plus grand nombre !
Chroniqueuse : Choco