Rencontre avec Alassane Sy, acteur du film "Le père de Nafi"
Alassane Sy est l'acteur principal du film " LE PÈRE DE NAFI " premier film du Sénégalais Mamadou Dia, qu'on peut voir actuellement dans les salles depuis mercredi dernier.
Dans ce film, Nafi et Tokara est un jeune couple qui s’aiment et rêvent de quitter leur petit village pour aller étudier à Dakar. Mais leurs pères (dont l’un est imam) qui ont chacun une lecture différente de l’islam (l’un modéré, l’autre extrémiste) ne conçoivent pas le mariage de leur progéniture de la même façon.
En imam et père compréhensif qui s'oppose à son frère, plus radical et qui aimerait faire le bonheur de sa fille en même temps, alors que lui-même est diminué par la maladie, Alassane Sy crève totalement l'écran et dégage une douceur et une intensité de jeu qui forcent l'admiration.
On a voulu en savoir plus sur cet acteur et réalisateur et nous l'avons interrogé par téléphone la semaine dernière :
Une enfance de globetrotter
"Je suis né à Nouakchott (Mauritanie), et j'ai fui avec ma famille le conflit mauritano-sénégalais de 1989 pour grandir au Sénégal.
Les études, je les ai arretées avant le bac à l’âge où l’on a tous envie d’aller avoir ailleurs.
Vous savez, quand il s’agit d’Africains, on pense toujours que cette envie est liée à la pauvreté, mais vous savez, c’est une envie propre à beaucoup de jeunes du monde entier.
Je suis parti rejoindre mon père en Côte d’Ivoire, puis on est allés s’exilés en France, notamment à Amiens puis dans le Val d'Oise à Saint-Gratien.
J'ai enchaîné assez vite les petits boulots dans l’hôtellerie et la restauration.
Dans un restaurant où j'ai travaillé, un journaliste qui m'a proposé de rencontrer un ami photographe pour que je fasse le mannequin, j'avais jamais pensé à cela avant mais je me suis dit "pourquoi pas?" et l'expérience m'a plutôt plu.
Des défilés de mode aux plateaux de cinéma
En France j'ai cherché à continuer dans la voie du mannequinat avec le cinéma en toile de fond, mais quand tu connais personne, c'est compliqué, tu ne sais pas où aller, qui toucher, les gens ne sont pas assez ouverts.
Soit tu abandonnes, soit tu pars.
J'ai opté pour la seconde solution, tout d'abord un peu à Londres pour rejoindre un ami, puis finalement New York pour aller plus loin, j'avais envie de m'éloigner.
Aux USA, j'ai travaille comme mannequin, j'ai intégré l’agence Boss Models : c'est à l'occasion d’un shooting pour Rise Magazine, que j'ai fait une rencontre essentielle, celle du photographe nigérian Andrew Dosunmu qui m'a vite confié envisager de réaliser un long-métrage et de me prendre comme comédien.
Ce film, c'est Restless City, qui a été présenté en première mondiale au Festival de Sundance. J'ai eu la chance de jouer le premier rôle, Djibril, le personnage principal du film, et cette expérience derrière la caméra m'a énormément plu.
Tenter de se faire progressivement une place dans le milieu du cinéma mondial
Quatre ans plus tard, alors que je tente plus ou moins facilement de me faire une place dans le cinéma, le réalisateur américano-italien Jonas Carpignano me contacte et m' invite à participer aux ateliers du Sundance Lab.
Dans la continuité, il me propose de faire quelques allers-retours en Italie pour développer son premier long-métrage, Mediterranea.
Il me propose de jouer un des deux rôles principaux, du film celui d'un mauritanien qui quitte son pays pour tenter sa chance en Italie; à partir de ce film, présenté à la Semaine de la critique à Cannes en 2015, tout commence à prendre forme pour moi...
La même année je réalise mon premier court métrage, Marabout, le récit des découvertes d’un policier victime d’un vol. J'en ai réalisé un autre en 2018.
Désormais je suis en train de préparer mon premier long métrage de cinéma, Lutteurs,qui raconte l'’histoire d’un jeune lutteur qui se voit contraint de prendre ses responsabilités pour honorer sa communauté et protéger sa famille après la mort de son grand frère.
Je suis actuellement à la recherche de financement à Londres et aux USA, mais on va dire que c'est en bonne voie pour bientôt commencer le tournage.
Son rôle dans "Le Père de Nafi"
Le Père de Nafi est le premier travail de fiction de Mamadou Dia, qui a auparavant travaillé pendant presque dix ans comme journaliste.
J'ai rencontré Mamadou dans un avion entre le Sénégal et les USA et il m'a parlé de ce projet d'un premier long métrage, et du rôle d'imam pour lequel il me voyait bien dedans.
J'avoue avoir été un peu dubitatif au départ à l'idée d'incarner un personnage d'imam.
Je me voyais pas trop jouer ce rôle, il faut dire que c'est un peu comme jouer un prêtre pour un catholique; c'est un peu impressionnant comme statut
Heureusement, Mamadou m'a vite rassuré et j'ai pu lire rapidement le scénario que j'ai trouvé très beau.
Mamadou m'a expliqué qu'il avait le souhait de tourner dans sa ville natale Matam qu’il voulait baptiser Yonti, et qu'il avait le projet de raconter la prise de pouvoir progressive de la petite communauté par des extrémistes religieux.
L'extrémisme religieux en Afrique, une question fondamentale
Une telle chose n’est pas arrivée au Sénégal mais je sais que Mamadou a été profondément marqué par les événements maliens et nigériens quand il était journaliste, il sait que tout est possible, surtout le pire.
L'imam que je joue Tierno, est un imam très tolérant, dont la croyance se nourrit d’animisme, une religion très antérieure à l’Islam.
A un moment, on voit Ousmane couper les amulettes que mon personnage porte sur lui et qui viennent de son propre père.
Ce sont des traces de cette croyance très ancienne et qui est totalement incompatible avec l'Islam extrémiste d'Ousmane, c'est cette opposition entre ces deux formes différentes de l'islam que Mamadou a mis en scène de façon magnifique, je trouve, dans son film.
J’aime l’idée que l’on n’utilise pas simplement les images pour raconter des histoires, mais pour changer les choses.
Le cinéma est un art incroyable et Mamadou le montre magnifiquement dans son film.
Une nature d'acteur très douce mais qui n'empêche pas la rébellion
Oui, je suis quelqu'un d'assez calme dans la vie de tous les jours et sur un plateau et cela se retranscrit forcément à l’écran.
Mais cette douceur que j'exprime dans le rôle ne veut pas dire soumission ou faiblesse et le personnage de Tierno avale quelques couleuvres pendant le film mais ne se laisse pas abattre pour autant.
C'était intéressant de dévoiler cela dans le film.
Un comédien professionnel confronté à des amateurs
En effet, j'étais l'un des deux seuls acteurs professionnels du film avec Saikou Lo, qui joue Ousmane; un immense comédien de théâtre au Sénégal.
C'était intéressant de jouer avec autant de comédiens amateurs dont certains n'avait jamais vu une caméra de leur vie, cela apportait une candeur, le plaisir de la première fois qui reste jamais vraiment égalée.
Et le talent de Mamadou Dia a été de toujours s'adapter aux comédiens et de prendre en compte le fait qu'ils ne connaissaient pas forcément les us et coutumes du cinéma pour leur expliquer avec énormément de calme de patience et de respect ce qu'ils attendaient d'eux.
Le renouveau du cinéma sénégalais ?
Aux côtés d’Alain Gomis et Mati Diop, qui sont des réalisateurs sénégalais reconnus par les grands festivals internationaux , Mamadou participe largement avec son premier long à remettre le jeune cinéma Sénégalais sur le devant de la scène cinéphile, j'en suis convaincu, en effet.
Ce qui est fort dans ce qu'il a fait, c'est qu'il a eu besoin de capitaux étrangers pour produire le film.
Il a gardé quelques réseaux de l'école de cinéma qu'il a suivi à New York et ça l'a aidé pour faire le film mais cela n'a jamais dénaturé ce qu'il voulait faire
Le père de Nafi conserve tout le long du film un esprit très "africain" dans sa façon de traiter le sujet, tout en allant dans des genres très occidentaux comme le western ou le polar de mafia .
Ce n'est jamais évident quand on fait appel à des producteurs internationaux de ne pas avoir de contrepartie et devoir faire des concessions, or, Mamadou a toujours tenu sa ligne de conduite sans jamais y déroger et a réalisé à 100% le film qu'il avait en tête.
En cela, c'est un vrai modèle que j'espère suivre de mon coté pour la réalisation de mon premier film Lutteurs.
Il m'a vraiment servi de guide! "
Propos recueillis par téléphone le 8 juin 2021
Le Père de Nafi, au cinéma depuis le 9 juin 2021
Distribué par JHR Films
Merci à l'agence MAKNA