Interview de Valeria Bruni-Tedeschi pour Les Amandiers
Avec le film Les Amandiers, depuis mercredi dernier en salles, Valeria Bruni-Tedeschi redonne vie aux élèves de l’école de théâtre éponyme, à Nanterre, dans les années 1980 avec une énergie flamboyante et galvanisante .
Valeria Bruni-Tedeschi recrée superbemement l’ambiance de l’école d’acteurs du théâtre des Amandiers, créée par Patrice Chéreau et Pierre Romans à Nanterre en 1986, et qu’elle a fréquentée au milieu de toute une génération exceptionnelle de comédiens. Retrouvez notre chronique ici même
L actrice et réalisatrice est venue à Lyon pendant le festival Lumière présenter son film au comoedia avec une partie de ses jeunes comédiens et nous a raconté ses souvenirs de jeunesse et de théâtre avec sa douce folie et son enthousiasme qui la caractérisent un très chouette moment et un très beau film à voir en salles ce week end !
L'école des Amandiers, le graal ultime
Entrer aux Amandiers était un peu comme entrer dans un rêve. C'était l'endroit où toutes les jeunes actrices et tous les jeunes acteurs de l'époque voulaient être. Je pense à Bruno Todeschini à Marianne Denicourt, en passant par Vincent Peres, Thibault de Montalembert ou Agnès Jaoui.
Il y avait là une effervescence incroyable avec de grands comédiens qui passaient, comme Michel Piccoli, Catherine Deneuve qui venait à tous les travaux des élèves, Juliette Binoche et Leos Carax qui venaient aux comédies musicales ou la chanteuse Barbara qui répétait au théâtre le conte musical Lily passion avec Gérard Depardieu.
Les Amandiers semblaient être le centre de l'Europe comme le dit le personnage de la serveuse et comédienne contrariée du film, un personnage de fiction mais qui était important pour moi comme personnage extérieur aux comédiens, et pour pouvoir lui faire dire ce que voulais dire sur ce lieu .
... mais aussi un lieu de souffrance
Au début, c'était intense et joyeux. Mais cette école a aussi été douloureuse. Nous étions aussi angoissés.Certains ont arrêté de faire ce métier.
D'autres sont morts. Ce n'était pas qu'une marche vers la lumière, mais aussi vers l'ombre.
Dans les entretiens que j'ai faits avec les anciens camarades de l'école pour préparer le film, tous commencent à parler de leur expérience avec le sourire puis finissent avec une sensation étrange.
Ils conviennent que c'était sombre et dangereux. Comme s'il y avait une tragédie possible.
Un film comme un hommage à Patrice Chéreau
Chéreau me manque beaucoup aujourd'hui.
Il me donnait envie de me mettre en contact avec les émotions les plus profondes, les plus fortes et les plus étonnantes.
Il avait une vision particulière du monde, avec beaucoup d'humour et des côtés tragiques.
Il nous poussait vraiment dans nos retranchements et nous déstabilisait. On le voit dans le documentaire Il était une fois 19 acteurs qui a été tourné à l'époque de l'école. Il nous mettait un peu en danger.
Mais l'idée d'être déstabilisé dans le travail m'est restée. Je pense que si un travail ne nous déstabilise pas d'une façon ou d'une autre, alors il y a quelque chose qui ne va pas.
On ne travaille pas nécessairement dans le confort ( sourires)..
J'ai eu un peu de mal à croquer le personnage de Patrice Chéreau, j'étais trop dans l'adoration, la vénération je n'arrivais pas à trouver la distance nécessaire. Et pourtant il était loin d'etre un saint, sa façon de nous diriger par exemple pouvait être assez douloureuse.
Ce qui est certain, c'est à quel point il était important que Louis Garrel, qui joue Patrice n’ait jamais cherché à l’imiter. Mais pour “voir” Patrice à travers Louis, j’avais besoin de certains gestes, je pense notamment à sa manière de fumer les petits cigares de Patrice
Plongée dans les émotions d'une époque
Je n'ai pas voulu faire de reconstitution historique ou biographique a proprement parler, plutôt une immersion dans les émotions d’une époque.
Cela part souvent d’un élément de décor. Je disais souvent à la décoratrice, Emmanuelle Duplay, que la cabine téléphonique était nécessaire pour raconter ces années-là. Une conversation amoureuse dans ce petit espace n’a rien à voir avec celle qu’on tient de son portable.
On ne dit pas “allô” de la même façon, on ne raccroche pas de la même manière. De même, on ne fait pas le même trajet en voiture avec une musique qui provient d’un vieil autoradio, que sur des enceintes Bluetooth.
Une répétition en fumant n’est pas la même quand la cigarette est proscrite.
C’est une foule de détails qui font resurgir charnellement les souvenirs. J’essayais de faire éprouver aux jeunes actrices et acteurs des émotions telles qu’elles nous traversaient il y a trente-cinq ans.
Diriger les jeunes comédiens du film, une manière de reformer l'école des amandiers 35 ans plus tard
On avait parfois l’impression, avec la directrice de casting Marion Touati, qu’on refondait une école.
Le temps du casting a duré six mois. Je rencontrais tous ces jeunes qu’on rappelait, qui avaient de l’espoir et, parfois, il fallait décevoir, car choisir, c’est dire non à beaucoup.
Je tiens à rendre hommage aux acteurs qui n’ont pas été pris car j’ai rencontré des jeunes gens magnifiques.
Comme dans l’école dirigée par le metteur en scène Pierre Romans, jouée exceptionnellement bien par Micha Lescot, on a immédiatement travaillé en répétant beaucoup.
Les Amandiers, en salles depuis mercredi 16 novembre
Interview de Valeria Bruni-Tedeschi pour Les Amandiers réalisée le 18 octobre 2022 au Comoedia
Merci au cinéma et au distributeur AD VITAM.