Rencontre cinéma : Geneviève Albert , réalisatrice du fort et percutant "Noémie dit oui" !
La réalisatrice canadienne Geneviève Albert était à Lyon jeudi dernier pour présenter en avant-première son film Noémie dit oui au Pathé Bellecour avant sa sortie nationale ce mercredi 26 avril.
Comme dans son film, chroniqué ici même la réalisatrice québécoise a échangé avec nous autour de passionnants sujets tels que l’objectification de la femme tout en interrogeant la notion de consentement. Retrouvez ci dessous notre entrevue avec la réalisatrice :
Bonjour Geneviève. Votre film semble très documenté. On imagine que pour cela, vous avez procédé à un gros travail de recherche pour écrire votre scénario, n'est ce pas?
Oui bien sûr : j ’ai fait des recherches importantes pour m’approcher de cette réalité. Ces recherches ont été fondamentales pour me faire plonger dans le "milieu" que je connaissais mal. Car dans les films que j'ai pu voir sur le sujet, je trouve que les personnages de jeunes prostituées et de proxénètes sont trop souvent manichéens.
J’ai ainsi rencontré quelques adolescentes qui étaient encore à ce jour «escortes». Il y a pas mal de filles pour qui c'est encore assez traumatisant d'en parler et qui restent encore protégées , donc ce n'était pas une mince affaire.
J’ai échangé aussi avec des femmes plus âgées qui en étaient sorties, au Québec on les appelle " les survivantes" qui ont fait preuve de beaucoup de générosité pour partager avec moi leur vécu dans la prostitution.
Et puis je suis allé aussi m'immerger dans les centres de jeunesse, j'ai également interrogé des policières, des avocats: tout ce qui tourne autour de ce milieu pour avoir le matériau le plus solide à l'écriture.
Le personnage de Noémie est il un mix de plusieurs jeunes prostituées que vous avez rencontrées ou bien est elle inspirée d'une d'entre elles en particulier?
C'est un mélange de plusieurs récits que j'ai pu recueillir ici et là au gré de ma préparation .
L'histoire de Noémie correspond à un schéma assez classique de la prostitution des mineurs
Car, que ce soit par le milieu socio économique dont elle vient, la façon dont elle est manipulée par les proxénétes, beaucoup de choses se recoupaient dans les histoires que j'entendais et j'ai essayé de synthétiser toutes ces histoires pour n'en faire qu'une.
On se rend compte qu'il n'y a pas vraiment d'amitié, ni de sororité, à travers la relation entre Noémie et Léa, puisqu'elle la pousse carrément à venir avec elle, non?
Oui, en effet, je me suis entendu dire lors des témoignages que j'ai pu recueillir : il n'y a pas vraiment d'amitié, ce type de relation n'existe pas tout simplement car chacun y va de sa propre survie.
Léa, qui est dans la prostitution depuis quelques années et qui se trouve toute isolée, n'a pas envie d'être dans la merde toute seule et voit plutôt Noémie comme une compagnonne de galère
A mon sens, il n'y a rien de machiavélique dans sa facon d'inciter Noémie à rejoindre la prostitution, mais plus comme un façon certes individualiste mais humaine de trouver son quotidien moins éprouvant à vivre.
Léa a en plus un proxénète violent, contrairement à Noémie, donc c'est aussi un élément à prendre en compte.
Justement, à ce sujet, la figure du proxénète prend différents visages à travers les personnages de Zach et de Slim, c'était important pour vous de rendre compte de la diversité de ces profils?
Oui, tout à fait, on a souvent cette figure du proxénète violent menacant alors qu'il existe plusieurs déclinaisons de ce profil.
Or, dans la réalité il reste plus de proxénètes qui ressemble à Zach, plus gentil doux en apparence.
J’ai notamment réussi à rencontrer un proxénète de 17 ans qui s'occupait de jeunes filles de 14 à 16 ans ; et j'ai été très surpris par cette rencontre: ce jeune homme ne répondait pas aux préjugés que j'avais pu me forger d'eux : il était hyper charismatique, intelligent, super sympathique.
Et là je me suis rendu compte que face à un jeune homme comme ça, il n'y aucune raison pour les jeunes filles de se méfier ...
J'ai pu ainsi saisir tout le coté sournois qui entoure la prostitution .
Cela est plus sournois d'avoir affaire à un proxénète gentil car les filles ne se doutent alors pas du tout du cauchemar qui les attend ...
Est ce que des le départ, votre film s'est appelé Noémie dit oui, un titre qui aborde de suite la question du consentement?
Non, et si vous voulez tout savoir: un des premiers titres de mon film était "Alice au complet", ce qui veut dire que ca ne ressemblait pas trop à la version que vous avez vu en salles (rires).
Dans le langage de la prostitution, un complet ca veut dire fellation + pénétration , on a l'impression que les clients choississent des filles comme ils le font pour commander un menu Mac Do, ca veut bien dire des choses sur le coté glauque de la situation...
Enfin bon, le titre a évolué au gré des différentes versions du scénario, et Alice, je trouvais qu'il y avait un coté trop "Alice au pays des merveilles", à savoir une héroïne trop naïve, trop petite fille , je ne pouvais pas aller trop dans ce sens là..
Et puis comme vous le dites, Noémie dit oui permet de sonder les différents questionnements liés à la prostitution, à savoir comment tracer la ligne entre céder et consentir ou ce que vaut le consentement d’une escorte de 20 ans qui a débuté à l’âge de 15 ans ?
Tous ces questionnements m’ont guidée pour écrire mon scénario qui ausculte les contours flous de la notion de consentement.
Vous parlez du fait que votre héroine ait du caractère et ne soit jamais la jeune fille soumise , image qu'on a tendance à coller aux escorts, ça aussi c'était un élément essentiel de votre démarche ?
Oui, c’était délibéré de ma part de ne pas faire de Noémie une jeune fille hyper naïve, sur laquelle il serait écrit sur le front que c'était une victime.
Déja, car comme j'ai pu le vérifier lors de mes rencontres de préparation du film, la réalité est bien plus diverse.
Il y a des filles hyper intelligentes et fortes et cela ne les empêche pas de tomber dans le piège de la prostitution.
Cela dit, je m'en suis rendu compte lors de mes recherches, ce sont quand même les filles les plus en colère, les plus dans la rebellion qui vont les mieux s'en sortir, il ya en eux une sorte de vitalité qui le permet de trouver plus facilement une facon de survivre à cet enfer.
Bref,pour écrire le personnage de Noémie, j'ai tenu à ce qu’elle ait une force de caractère même si cela ne va pas l’empêcher de tomber dans la prostitution.
Mais je ne pouvais pas pour autant occulter son parcours de vie très fragilisé, cette jeune fille en fugue, sans père et avec une mère incapable de prendre soin d’elle.
Pourquoi avoir situé votre intrigue pendant le décor pour le moins singulier du GP de Formule 1?
Il faut savoir que la période d'un grand prix de formule 1 est la période la plus prolixe, en ce qui concerne le tourisme sexuel à Montréal mais aussi dans les autres pays où les courses se déroulent : durant cette fin de semaine, les centres jeunesse ont le plus grand mal du monde à retenir les adolescentes qui fuguent pour aller combler la demande en services sexuels.
Et c'est souvent à cette occasion que les jeunes filles s’y prostituent pour la première fois.
Et au dela de cela, j'ai imaginé l'idée de mettre en écho la répétition des tours de circuit qu'on voit à la TV et la répétition des scènes de passe.
A ce sujet, d'ailleurs, le processus de répétition dans les scènes de passe est assez frappant en voyant le film, non?
Oui car si on voit 15 clients à l'écran il faut savoir que Noémie en voit 37 pendant les trois jours,un chiffre qui peut paraitre énorme, effarant mais qui correspond bien à la réalité de ce genre d'évenements en matière de tourisme sexuel .
Le choix de les répéter, c’est la façon que j’ai trouvée pour immerger le spectateur dans une expérience sensorielle et viscérale du monde de la prostitution : il fallait montrer à quel point c’est très violent d’avoir 10 à 15 « clients » par jour...
En parlant des personnages des « clients », comment avez vous procédé pour écrire des portraits d'un profil qu'on voit peu au cinéma?
Vous avez raison : les clients sont souvent les grands invisibles des débats autour de la prostitution, et aussi des films sur la prostitution or, s'il n'y a pas de clients, pas de prostitution, pas de proxénète. J'ai donc tenu à leur donner une place en tournant ma caméra vers eux dans les scènes de prostitution.
Pour me faire une idée sur qui ils sont vraiment, j'ai posé pas mal de questions aux prostituées que j'ai pu rencontrer et je suis aussi allée sur des forums où des « clients » commentent des prostituées.
J'ai tenté de montrer une approche très diversifiée pour dire que tout le monde peut être un « client ». J’ai donc porté à l’écran 15 clients ordinaires, de tous les profils et de tous les âges .
Il y a un seul client violent dans le film, et j’ai hésité même à le mettre. Car la plupart dans la vraie vie ne sont pas violents, mais il faut comprendre que même un client gentil, ça représente quand même une violence pour la femme ou l’homme qui le subit.
Un mot sur la façon dont vous filmez les « clients » et les scènes de prostitution qui tranche avec ce qu’on voit d’habitude.
Oui, car il faut savoir que j’ai beaucoup réfléchi à la façon dont j’allais tourner les scènes de prostitution. Je voulais m’éloigner de toute forme d’érotisation, de voyeurisme et de pornographie.
Noémie n’est pas du tout sexualisée, on ne la voit quasiment jamais nue. Je me suis aussi questionnée sur la façon de filmer la violence sans la reconduire.
J’ai donc décidé de retourner ma caméra vers les « clients ».
J’ai opté pour un parti pris net, celui d’isoler les « clients » dans le cadre, car dans la mise en scène, je voulais évoquer que la prostitution n’est pas une relation entre deux êtres, mais un rapport de pouvoir. Et j’ai donc fait en sorte que Noémie et le client ne soient jamais ensemble dans un même plan.
Un grand merci au Pathé Bellecour de Lyon , au distributeur du film Wayna Pitch et à l'agence Valeur Absolue
Merci aussi à l'association Mouvement du Nid.
Retrouvez aussi l'interview l'interview de Geneviève. dans la thématique "Prostitution et Société" qui complète le débat
Crédit photo: Fabrice SCHIFF