[CRITIQUE] La Chambre de Mariana : la banalité du bien
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Être « Juste parmi les nations » (expression du judaïsme tirée du Talmud) : distinction honorifique pour les civils qui ont mis leur vie en danger pour sauver des juifs.
Mariana peut prétendre au statut de Juste. Pendant deux ans, elle est celle qui protège, qui nourrit, qui cache le petit Hugo dans un tout petit endroit planqué dans la maison close.
Car Mariana est prostituée et quelle meilleure cachette que la chambre d'une "femme de réconfort" ?
Dans le silence de sa cachette, Hugo doit apprendre la patience, écouter les bruits alentours, supporter les nuits de débauche soldatesque et attendre le matin pour retrouver l'attention maternelle de Mariana.
Il fait l'apprentissage de la sensualité, compose avec la cruauté de son sort et la perte de sa famille grâce à la douceur d'une femme et à son humanité. Il y connait la peur, l'ennui du temps interminable comblé par les souvenirs et l'imaginaire d'un enfant.
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En forgeant l’expression « la banalité du mal » pour qualifier Adolf Eichmann, Hannah Arendt entendait signifier que le metteur en œuvre de la Shoah, l’auteur du crime des crimes, n’était pas le monstre assoiffé de sang que l’on imaginait: il n’était au fond qu’un
homme ordinaire, un fonctionnaire zélé monté en grade et ce Mal est d’autant plus pernicieux qu’il a le visage de tout le monde.
Dans ce bouleversant, La Chambre de Mariana, adapté du roman éponyme de l’écrivain Aharon Appelfeld, ,Emmanuel Finkiel forge avec énormément de brio l’idée de la banalité du bien, en portraiturant une extraordinaire femme ordinaire.
Attachante jusque dans ses défauts, Mariana est une Juste à sa manière, sans même le savoir.
Elle fait le bien, le Bien par excellence. Elle sauve l’enfant juif innocent jusqu’au sacrifice de soi. Elle n’est pas la sainte des mythes hagiographiques ni l’héroïne des récits édifiants. Ni épouse fidèle, ni mère dévouée, ni citoyenne pieuse et respectueuse des valeurs bourgeoises. C’est tout le contraire. La Justice, dans la vraie vie, c’est-à-dire au pays des choses humaines, a le visage de Mariana-la-Magnifique.
La bonté vraie, celle des femmes réelles, s’accommode des faiblesses com munes : Mariana est versatile et portée sur la bouteille. Le Bien est d’autant plus admirable qu’il a les traits d’une putain.
Elle ne fait pas le bien par vertu, qu’elle a petite, ni par devoir Elle le fait pour ainsi dire naturellement, en tâtonnant dans la nuit, en titubant mais sans fléchir, fidèle à la promesse faite à une mère, une amie, et portée par l’appel qu’elle a cru lire dans le regard d’un enfant perdu
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Dans ce rôle aussi complexe que très riche à défendre, Mélanie Thierry est absolument prodigieuse de bout en bout et pas seulement car elle a du jouer en ukrainien de bout en bout. Elle apporte énormément de nuances et d'humanité à ce personnage, qui nous aura semblé à la fois madone sacrificielle et mère adoptive quasi incestueuse,
Après Voyages et LA DOULEUR, deux long métrages exigeants et intelligents , Emmanuel Finkiel hanté personnellement par l'histoire de la Shoah ( son oncle, victime de la rafle du Vel d'Hiv a été tué à Auschwitz , clot une sorte de trilogie sur la seconde guerre mondiale avec LA CHAMBRE DE MARIANA, ce coup ci plus intime, plus frontal, plus puissant, peut être encore ( La douleur, malgré des critiques élogieuses nous avait laissé un peu sur le bas coté) .
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Huis clos aussi inspiré qu'inventif, LA CHAMBRE DE MARIANA, bouleverse durablement le spectateur, en raison de ce qu'il raconte, de comment il le raconte et également de la la personnalité assez exceptionnelle de Mariana, la putain au grand cœur.
La Chambre de Mariana d’Emmanuel Finkiel, sortie le 23 avril, Ad Vitam (2 h 11)