Festival Lumière 2023-Portraits fantômes, Kleber Mendonça Filho : Récife mon amour
Comme New York est solidement ancré dans la filmographie d'un Martin Scorsese ou d'un Woody Allen, la ville de Recife est intimemement liée au cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho, qui dès son premier long métrage en 2012, "Les Bruits de Recife", s’est attaché à capturer l’esprit de cette ville dans laquelle il a vécu depuis tout petit.
En 2016, Kleber Mendonça Filho redécouvre des photographies, des images VHS et Super 8, ainsi que des documents sonores produits pendant sa jeunesse.
La vision de ces archives lui donne envie de tourner de nouvelles images de Recife, sa ville de naissance, durant plusieurs années.
Il effectue une recherche d’archives dans les cinémathèques et institutions nationales aussi bien qu’auprès des familles de ses proches et amis.
Le tout aboutit à ce documentaire intime et lettre d’amour à cette ville tentaculaire et étonnante que le réalisateur n'hésite pas à affirmer aimer énormément, en dépit de ses défauts et sa précarité galopante, surtout dans le centre.
Mélange d’archives et d’images filmées sur le vif, "Portraits fantômes" est le portrait amoureux d’une métropole au décor changeant qui a vu les grands cinémas du centre-ville de Recife disparaitre peu à peu.
Construit en trois parties distinctes mais qui se répondent brillamment, Portraits fantômes se présente d'abord comme un portrait intime du foyer dans lequel son cinéma a émergé, autant dans la maison conçue comme moyen d'émancipation pour une nouvelle vie par sa propre mère, ce qui offre dès lors une lecture fascinante au combat politique qui sous entend l'oeuvre entière de Kleber Mendonça Filho
Avec Portraits Fantômes, Kléber Mendonca Filho conçoit une synthèse de son cinéma, mais aussi du Brésil dans son ensemble dans un même geste intime, nostalgique, et éminemment sincère.
Un film, qui, malgré ce qu'il laisse paraitre sur les évolutions négatives de la société brésilienne, refuse le coté pamphletéraire trop frontal et qui emprunte même parfois quelques beaux élans au cinéma de genre (un spectre capturé par une caméra, un chauffeur UBER qui devient invisible...)
En seulement trois réalisations -Les Bruits De Recife Bacurau ,Aquarius, le réalisateur a réussi à tisser un monde tout en oppositions entre État et citoyens, entre urbanisation et destruction, entre mémoire et modernisme.
Ses personnages se battent pour leurs histoires, leurs espaces de vie et la lucidité face à l’oubli.
Portraits fantômes synthétise toute cette portée là en l'ancrant dans le documentaire. Son film nous rappelle qu'au Brésil comme ailleurs, plus qu'un art, le cinéma a été un mode de vie. Un lieu de rendez-vous, d'amour, d'amitiés…
Le cinéaste convoque en effet des souvenirs personnels jusqu'au sacré et articule par la même une réflexion sur l'art comme une forme de combat, une résistance fondamentale à tous les ostracismes. Ajoutons à cela une formidable bande on, faite de bossa nova particulièrement qualitative pour rajouter de l'intensité à cette peinture intime et sociologique d'un Brésil en pleine mutation
Présenté hier dans le hangar de l'Institut Lumière par Thierry Frémaux et le réalisateur lui même ( qu'on a rencontré après la projection, interview à venir) le film méritait bien sa sélection au Festival Lumiere 2023, aussi bien pour ce qu’il raconte sur l’auteur de "Aquarius" et "Bacurau" que pour l'ode au 7eme art qu'il véhicule.
Portraits fantômes" de Kleber Mendonça Filho
Portraits fantômes (Retratos fantasmas) a été présenté en AVANT-PREMIÈRE ce mercredi 18 novembre en présence de Kleber Mendonça Filho (1h33)
Crédit photo: Jean Luc Mége-Festival Lumière
Sortie au cinéma : 1er novembre chez Urban distribution