Rencontre avec Doria Tillier pour le film UNE AFFAIRE D'HONNEUR de Vincent Perez
DORIA TILLIER est à l’affiche d'une affaire d'honneur le nouveau film réalisé par vincent perez ou elle est en quelque sorte la caution féminine de cette histoire virile de duels et d'honneur à venger. Nous avons eu la chance de rencontrer l’équipe du film il y a quelques jours.
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Accompagnée de Vincent Perez, réalisateur du long-métrage incarnant le rôle de l'antagoniste du film et de Karine Silla scénariste et épouse du comédien, la comédienne Doria Tillier s'est livrée en toute simplicité sur un film unique en son genre, qui sortira sur les écrans juste après Noël.
ENTRETIEN AVEC DORIA TILLIER
Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
Vincent, que je ne connaissais pas, m’a fait parvenir son scénario par mon agent. Je l’ai rappelé à peine la lecture terminée. Jamais je n’avais accepté un film aussi vite. C’est surtout le personnage de Marie-Rose qui m’a séduite. C’est difficile de se définir soi-même, mais j’ai eu le sentiment que cette femme était proche de moi, ou, du moins, que je saurais l’interpréter. Vincent avait le même sentiment sans jamais m’avoir rencontrée : ça m’a étonnée. Et puis, UNE AFFAIRE D’HONNEUR est un film d’époque. On n’en tourne pas si souvent. C’était une première pour moi… M’y lancer m’a amusée.
Costumes, coiffure, tournures de style aussi parfois… Certains comédiens redoutent pourtant les contraintes des films d’époque…
Pour ma part, je les ai trouvées plutôt enthousiasmantes. Tous ces ingrédients que vous évoquez aident surtout à s’immerger dans un rôle. Le seul désagrément en ce qui concerne Marie-Rose a été que ses robes comportaient des corsets très raides et qu’elles étaient cousues dans des tissus assez épais (c’était d’ailleurs l’un de ses combats, elle voulait que les femmes soient libres de leurs mouvements, débarrassées de leurs corsets, de leurs jupes et jupons). Comme on tournait en été, j’ai souvent eu très chaud. Malgré cela, j’ai trouvé super de tourner en costume.
Marie-Rose Astié a vraiment existé. Avez-vous eu accès à des textes vous permettant de la cerner ?
Sa biographie est très succincte et les documents la concernant, pratiquement inexistants, mais Vincent m’avait envoyé deux courts articles qu’elle avait écrits. L’un d’eux donnait vraiment à connaître sa pensée. En dehors de cela, je ne peux pas dire que j’ai pu faire un vrai travail d’immersion dans sa vie. Ce qui, en revanche, m’a beaucoup guidée pour la composer, c’est la façon dont Vincent et Karine l’avaient écrite : ils l’avaient très bien définie et très bien dessinée. Et comme mon sentiment était qu’elle et moi avions des points communs, honnêtement, l’endosser ne m’a pas demandé un énorme effort de composition.
Qu’une Marie-Rose Astié réussisse à faire parler d’elle dans cette France de la fin du XIX°, alors très machiste et patriarcale, vous a-t-il étonnée ?
Non. Je ne vois pas pourquoi, même dans une société machiste, une femme ne pourrait pas faire parler d’elle. Ce qui me surprend c’est l’étonnement des gens d’aujourd’hui qui le découvrent. À votre avis, est-ce justement Marie-Rose qui apporte à ce film d’époque sa touche contemporaine ? Je ne sais pas. Les idées de liberté et d’égalité sont pour moi assez intemporelles… Je suis toujours surprise quand on dit d’un film historique qu’il « sonne » contemporain. Souvent, je n’ai pas d’opinion. C’est le cas pour ce film.
Je sais qu’avant de l’écrire, Vincent a lu de nombreux livres d’Histoire et qu’il s’est énormément et sérieusement documenté. Une chose est sûre : quand débute son film, dans une France en pleine période paternaliste et conservatrice, la liberté et l’égalité que défend Marie-Rose sont des valeurs qui sont inscrites depuis peu sur le fronton des édifices publics.
Quelle importance les messieurs d’alors accordaient-ils réellement à ces valeurs ?
Je l’ignore, mais je sais que lorsqu’on raconte l’Histoire, même au plus près, on y met toujours une part d’interprétation personnelle. Vincent est un homme du XXI° siècle où, en France et en Occident, la liberté et l’égalité sont devenues des valeurs essentielles. Il leur a donc naturellement fait de la place dans son récit. C’est un homme scrupuleux et honnête. Je ne pense pas qu’il ait été obsédé par l’idée de « faire » moderne. Simplement, il est tombé « juste ».
Quel homme Vicent Perez est-il sur le plateau ?
Doux, nuancé et à l’écoute. Vincent est un acteur et cela change tout. Aussi plein de finesse, d’intelligence et de délicatesse soit-il, un réalisateur qui n’est pas acteur aura toujours plus de mal à se mettre à la place d’un acteur et à comprendre ce qu’il ressent. En outre, Vincent savait très précisément ce qu’il voulait, ce qui ne l’empêchait pas de rester ouvert aux propositions. Être dirigé par lui est infiniment agréable. Je n’ai pas eu de scène avec lui, mais il est excellent dans le rôle de Berchère. Comment êtes-vous devenue « escrimeuse » ? N’étant pas une grande adepte de sport ni d’efforts physiques en général, cela a été assez difficile.
J’ai répété trois (longs) mois à raison de quatre séances par semaine : deux d’escrime avec Michel Carliez, qui a chorégraphié les duels, et deux de sport avec un coach chargé de me renforcer les muscles les plus sollicités par l’escrime. Ça a été assez contraignant, mais ça m’a permis d’adopter une discipline sportive que j’ai conservée (un peu !) depuis. En fait, à part quelques mouvements de base, j’ai surtout appris la chorégraphie de mes duels. Je pensais que je craindrais mes adversaires, en réalité, à cause de ma maladresse, j’ai surtout eu la trouille de blesser quelqu’un, notamment la cameraman, lorsqu’elle s’approchait trop de moi. Mais, il n’y a eu aucun pépin.
Quelle est la scène qui vous a le plus émue ?
En tant que spectatrice, celle qui voit s’affronter Vincent Perez et Noham Edje. Tournée en longueur, elle permet de se rendre compte de la cruauté du duel.
Et celle qui a été pour vous la plus problématique ? Il y en a eu surtout deux pour des raisons différentes. Celle dans la grange avec Damien Bonnard m’a à la fois beaucoup stressée et excitée. On avait bossé trois mois pour la faire. On l’avait beaucoup répétée. Je ne pouvais pas me planter. Je me suis mis beaucoup de pression. Il y a eu aussi celle où je dois chanter.
Comme la mélodie n’était pas fixée et que je devais l’improviser, moitié en chantant, moitié en parlant, je craignais d’être un peu ridicule. On m’a dit que non mais je n’en sais rien car je vous avoue m’être bouché les oreilles pendant ce passage lors la projection d’équipe (rire).
Comment vit-on de jouer avec des partenaires presque exclusivement masculins ?
Très bien, merci ! (rire) Je ne fais pas vraiment de différence entre les hommes et les femmes. Tourner avec des « partenaires masculins », avec des « partenaires féminins », pour moi, c’est surtout tourner avec des partenaires. Pareil pour réalisateurs ou réalisatrices. Ça a été facile, par exemple, de tourner avec Roschdy Zem. Ça a même coulé de source : Roschdy est très professionnel et tout de suite juste. Contrairement au rôle qu’il interprète, il n’est pas du tout, dans la vie, ni taiseux, ni austère. Avec lui, on peut 18 parler et mettre les choses au point. Comme il est très sportif — il fait de la boxe —, il m’a épatée dans son habileté à manier l’épée.
J’ai aussi adoré travailler avec Damien Bonnard. C’est un acteur très singulier. Il a réussi à faire de son personnage un homme complexe, à la fois agressif et fragile, comique et un peu fanfaron, sans doute parce qu’il doit faire comprendre qu’il est homosexuel. Quant à Guillaume Gallienne, tous les comédiens vous le diront : c’est un bonheur de jouer avec lui. Dès qu’il dit un mot, il est dans la vérité. Il suffit d’une réplique pour être avec lui. J’ai regretté qu’on n’ait pas eu plus de scènes ensemble.
Quelle a été votre impression à la première vision du film ?
Une impression de belle réussite. UNE AFFAIRE D’HONNEUR est un film qui charrie plusieurs thèmes (le duel, l’honneur, le pacifisme, le féminisme, la presse…), et il donne matière à réflexion, mais sans s’appesantir, sans donner de leçon. J’ai aimé aussi la beauté austère et élégante de sa réalisation et de son image.
D’ailleurs, j’ai écrit à la cheffe opératrice Lucie Baudinaud pour la féliciter. Il est rare qu’une image accompagne aussi bien un propos. Au fond, rien n’est classique dans ce film : ni le sujet, ni son « rendu » formel. J’espère qu’il éveillera la curiosité. Ce film aura-t-il « enrichi » l’actrice que vous êtes ? Sans aucun doute. Aucun film n’est un film de plus, mais encore moins celui-là. Incarner un personnage comme Marie-Rose Astié et travailler sous la direction de Vincent est une chance pour une comédienne.
Propos extraits de notre rencontre avec la comédienne Doria Tillier le 14 décembre 2023 et du dossier de presse du film
Merci à Pathé Lyon à Gaumont films.
Crédit : Fabrice SCHIFF : photographe pour Baz'art