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23 décembre 2023

Tahnee sur Seine : Rencontre avec l'humoriste Tahnee - La Nouvelle Seine (Paris)

Tahnee - 23

Si la crue de la Seine n’arrêtera pas Tahnee de prendre les commandes de la Nouvelle Seine, elle nous fera oublier le mal de mer grâce à ses blagues tordantes. C’est dans la cale d’une péniche restaurant, amarrée au pied de la cathédrale Notre-Dame, que se cache ce théâtre où Tahnee joue son one-woman-show. Dans L’Autre, humour et luttes s’entremêlent pour mieux « semer des graines de réflexion » et arrêter le tabou autour du lesbianisme, l’homophobie dans la société ou encore du racisme systémique. Rencontre avec une humoriste, comédienne et chronique inspirante et une des têtes d’affiche de l’humour engagé qui nous livre un spectacle hilarant à ne manquer sous aucun prétexte ! 

Est-ce que la scène était une évidence pour toi ? 

"C'est vrai que ça m'a tout de suite attirée, j'ai fait de la danse modern jazz très petite, à 5-6 ans et le moment du spectacle de fin d'année, on était sur scène avec les paillettes, et tout ça reste un truc que j'adorais, tu vois. Après, j'ai fait du théâtre, de l'impro pendant mes études et à la fin, quand je suis arrivée à Paris, à la ligue d'improvisation (…) c’était assez évident en termes de ressenti. Alors qu’au contraire, dans « la vie privée », j'étais quand même quelqu'un d'assez timide, et donc c'était un peu contradictoire, mais justement, sur scène, j'avais l'impression que ça pouvait être une autre version de moi et que je pouvais explorer d'autres choses."

Pourquoi as-tu choisi ce nom de scène/spectacle, Tahnee l’autre ? 

"Justement, pour la petite histoire, c'est que quand j'ai voulu créer sur les réseaux facebook, instagram, la page était déjà prise, parce qu'il y a vraiment une autre humoriste allemande très connue qui s’appelle Tahnee aussi. J’ai mis « Tahnee l’autre » pour cette raison et aussi, parce que c’est une autre Tahnee qui monte sur scène, ose parler et fait rigoler les gens. Une autre version de moi, par rapport aussi au thème du spectacle qui tournait aussi sur le thème de la différence, se sentir autre (…) Je trouvais que c'était cohérent."

Comment s’est passé le processus de création de ton spectacle jusqu’à la Nouvelle Seine ? 

"Alors j'ai commencé le stand-up moyen il y a six ou sept ans. Les premières blagues étaient sur mes cheveux, parce que j'ai commencé à me les défriser donc j'ai toute une réflexion pour faire revenir le naturel, une quête identitaire capillaire (rires). J'ai aussi beaucoup écrit sur mon coming-out, que j'étais en train de faire, et la découverte de mon homosexualité, du féminisme, etc. Et c'est parti de là, et les gens m'ont très vite dit que j'étais drôle et qu'en plus, c'était intéressant ce que je disais, parce que c'était nouveau. Ce n’était pas forcément des choses qu'on m'avait déjà entendue. Je me suis inscrit à un concours organisé par la mairie de Paris du 20ème et un centre culturel qui s'appelle Les Plateaux Sauvages qui m'ont poussé à écrire 15 puis 30 minutes de spectacle. J'ai gagné ce tremplin, et je devais écrire une heure et ça, ça m'a un peu forcé, de manière un peu scolaire, à vite écrire et envisager la construction d'un spectacle. Et ce spectacle est né en 2018-2019 à la Comédie des trois bornes. Il y a eu des interruptions avec le Covid, etc… Pour ensuite arriver à la nouvelle scène en 2020-2021." 

Dès le début de l’écriture, tu voulais introduire des moments musicaux dans la mise en scène ? 

"Je n’avais pas forcément envie que ça soit une heure de pur stand-up, avec aucun effet de lumière et juste un micro, et moi, j'aime la musique, j'aime la danse. Donc, je m'étais dit: je ne veux pas avoir peur d'en faire un truc un peu hybride. Finalement, ça quand même, ça reste quand même globalement du stand-up, mais j'avais envie de voir ces moments de respiration et des moments musicaux pour explorer aussi d'autres choses et dire, dire des choses différemment."

Quelles sont tes références en matière d’humoristes ou de figures féministes/queers et antiraciste, qui t’ont poussée à te lancer ? 

"Dans le stand-up, Il y a eu Hannah Gatsby : grosse claque quand elle a fait Nanette ! Justement elle parlait ouvertement de son homosexualité, de la manière dont elle a écrit et travaillé ce sujet sur scène. Après en France, Shirley Soignon, Blanche Gardin, Florence Foresti… ce sont vraiment les humoristes qui me faisaient rêver et qui m'ont beaucoup inspiré en tant que femmes qui arrivent à faire leur chemin, dans l'humour. Après, j'aime aussi Roman Frayssinet, Yacine Belhousse ou encore Fary… Je regarde quand même pas mal de trucs français… En termes d'inspiration plus large, créative, je dirais Christine and the Queens. Ou même quand j’ai commencé à écrire, j’ai beaucoup lu Bell Hooks et d’autres autrices noires antiracistes et je me suis aussi imprégné de leur discours/mantra afro-féministe."

Comment évoluer dans un milieu masculin et hétéronormé ? 

"Ce qui était difficile pour moi au début, c'était plutôt de trouver des opportunités pour jouer parce que c'est quand j'ai commencé, c'était un milieu très masculin et c'était pas forcément évident de faire sa place, d'être drôle tout de suite. Comme il y a moins de filles, il y a plus de l'attente de résultats et de performance donc, parfois ça pouvait être un peu stressant. D'où le Comedy Love, les soirées de stand-up que j'ai créé (en 2018) avec deux copines, Mahaut et Lucie Carbone. on a voulu en faire un cadre sympa pour justement s'entraîner à écrire et travailler. Oui, ce n'est pas évident, parce que je passais après des humoristes qui n’avaient pas le même point de vue que moi sur la société. En même temps une, c’est un atout et une richesse pour le public que moi, j'arrivais avec un angle différent. C’est un avantage intéressant pour se démarquer.

Le Comédie Love met l'humour au service de l'inclusivité | Les Inrocks

Cet article a été initialement publié sur "Cheek Magazine"] Avec le Comédie Love, les humoristes Mahaut Lou, Lucie Carbone et Tahnee, L'autre tentent de faire bouger les lignes du stand-up, un univers souvent critiqué pour son manque de représentativité. Rencontre avec un collectif qui prône l'inclusivité par le rire.

https://www.lesinrocks.com

Qu’en est-t-il de cette étiquette d’humoriste engagée et militante, certains ont-t-il accolé une connotation négative ? 

"Non, engagée militante, je pense qu'on ne me le dit souvent plutôt de manière positive, parce que, effectivement, c'est une prise de parole un peu nouvelle sur le sujet. J'interroge aussi régulièrement en me disant « bah oui, mais en vrai, je parle d'amour, je parle de ma vie, comme tous les humoristes. Dans un monde parfait, ça ne devrait pas être spécialement engagé », mais c'est vrai que on est dans une société qui est encore très marquée par le racisme, l'homophobie donc, je suis consciente que c'est une parole engagée que de parler de ça ouvertement et publiquement. Les retours négatifs que j'ai, c'est pas forcément non, elle est trop engagée, c'est juste que ça, ça ne va pas parler à notre public. C'est peut-être trop niche ou trop communautaire, c'est plutôt ça que je veux entendre. Ouais, les gens ne vont pas frontalement dire non, c'est trop engagé pour nous, peut-être plus c’est atypique ou pas universel." 

Tout en parlant au plus grand nombre, même les non-concerné.es…

"Tout à fait. J’ai d’ailleurs eu un ministre dans la salle la semaine dernière. (…) J'ai vu qu'il m'avait ajouté sur Instagram. En plus, j’ai fait des blagues en story sur ça et j’ai commencé le spectacle par une blague sur Macron ! (rires) (…) Il a adoré le spectacle et m’a dit cette phrase qui revient tout le temps: « Je suis blanc et hétéro, mais j'ai vraiment adoré, c'était super ». Je lui ai donné mon flyer et quand je lève la tête, je m’en rends compte… Voilà, ce spectacle parle à des ministres éloignés de mon quotidien, c'est quand même un bon critère d’universalité !"

FOURCHETTESUISSE@FIFOU-9590

Tu parles de toi, de l’amour et des relations comme politique, comme en parlait Bell Hooks, est-ce l’intime, la tendresse qui est politique ? 

"Bah oui, parler de tout ce que je vis avec sincérité, parce que c'est aussi ce que je veux transmettre dans un spectacle : de la sincérité, vu que je ne joue pas un personnage, je suis moi et je trouve que c'est vrai, c'est politique, c'est sensible. En tout cas, moi, c'est le stand-up que j’aime, ou même quand je vais voir de la danse, un.e chanteur.se, j'aime en savoir plus, essayer de découvrir qui est la personne, ce qu'il y a derrière. L'idée, en tout cas, est de donner à mon public cette heure de spectacle que je veux effectivement joyeuse tendre, surtout envers les personnes qui vivent, c'est quand même un peu une bouffée d'air frais dans ce monde. Je pense que c'est politique selon moi."

Tu parles de l’intersectionnalité des luttes, à quel moment tu en as pris conscience ? 

"C'est plutôt en lisant des essais que j'ai réussi à mettre des mots sur des choses que je vivais. Mais c'est vrai qu'avec le spectacle, je trouve que ça s'illustre d'autant plus : ça dépend aussi des personnes avec qui j'en parle… Il y a aussi des moments d'imbrication où je raconte que qu'est-ce que c'est d'être est à la fois lesbienne, noire et une femme. Ce croisement, ce n'est pas juste les deux côte-à-côte, c'est une imbrication."

Donc l’humour est un outil de conscientisation politique ? 

"Ouais en quelque sorte. Je ne sais pas si je suis à l'aise avec le terme conscientiser, mais oui, semer des petites graines de réflexion pour se dire ah, mais en fait, sur des trucs que je pensais anodin, il y a quelque chose derrière qui n'est pas normal comme le fait de ne pas toucher les cheveux d’une personne qu'on ne connaît pas, de faire ce type de réflexion, même si c’est dit avec une blague. Derrière il y a quand même un propos." 

Tu mets le doigt sur l’invisibilisation des femmes lesbiennes noires. Est-ce que la société a évolué ?  

"Moi, j'ai l'impression que oui, par rapport à il y a 5-6 ans, après lentement ça c’est sûr ! Je vois plein de jeunes artistes queers racisé.es qui ne s'en cachent pas forcément de leur sexualité. Par exemple, le collectif P3 qui organise plein de soirées pour les lesbiennes noires, en priorité racisé.es, je trouve ça ouf ! Ça commence enfin et  j'ai l'impression que les gens se rendent compte que, oui, on existe, qu'on a de la valeur, qu’on est intéressantes parce qu'on a beaucoup de choses à dire artistiquement. (Tu le vois par le biais du Comedy Love ?) Oui carrément ! Ça a d’ailleurs donné naissance à pleins de jeunes pousses et franchement on s'en réjouit !"

Personnellement est ce que ça a eu un effet cathartique d’aborder ces sujets dans le spectacle ? 

"Oui, je sens que ça m'a beaucoup aidé personnellement à m'affirmer, à grandir et prendre du recul sur certaines choses, mais c'est vrai qu’au fait de répéter tous les soirs certains choses et d’avoir le retour du public aussi, ça apporte beaucoup en fait, parce que moi, c'est vrai que si j'ai fait ça, peut-être une des raisons, c'est que j'avais l'impression d'être un peu seule au monde. Le fait d'avoir des salles remplies qui comprennent et partagent ce que je dis, mais en fait c'est bon, je suis plus du tout toute seule et donc je vais d'autant plus ouvrir ma bouche et prendre la parole et me défendre. Donc c'est un joyeux échange de bons procédés avec le public (rires)."

As-tu des idées pour ton prochain spectacle ?  

"J'ai quelques idées de thèmes, mais en fait, je me suis rendu compte en faisant celui-là, qui a beaucoup évolué depuis le début, que c'était dur de se dire de faire un spectacle là-dessus, que sur un sujet et voilà, le spectacle est là. C'est beaucoup un travail d'aller-retour entre les comédies club et de recherche. Par moments, j'aurais bien aimé parler de ça, mais je vais pas réussir à trouver une blague. Il y a des blagues qui vont venir alors que je n'avais pas forcément identifié ce sujet. En tout cas, j'ai des petites idées, mais je crois que le spectacle se construit au fur et à mesure de ce qu’on expérimente sur les plateaux de comedy clubs."

Pour l’Humanité et Urbania, tu réalises des portraits d’artistes ou de figures féministes, queers inspirantes : comment ce projet s’est concrétisé et qu’est-ce que cela t’apporte ? 

"Le format avec Urbania s’appelle « Rencontre Rêvée », c’est une idée que j’avais depuis longtemps, d’imaginer ma rencontre avec des personnalités féminines historiques, et j'arrivais à remonter le temps et à leur parler, qu'est-ce que je leur dirais ? J'avais eu cette idée pendant le confinement. J'ai essayé de faire moi-même avec mes petits moyens, mais c'était compliqué en termes de production et de montage et quand Urbania m'a sollicité pour trouver des idées de vidéos, j’ai évidemment pensé à ça et c'est très cool parce que ça permet à la fois de faire des blagues, mais de de faire découvrir des personnes, et c'est un format qui marche bien. La dernière vidéo était avec Audre Lorde et c’était impression, j’étais genre « je peux vraiment lui parler ? ». L’Humanité, c’est le même principe : toujours la même envie de visibiliser des femmes inspirantes et faire ça avec des blagues parce que les messages passent encore mieux avec des blagues."

Tu as déjà parlé d’Audre Lorde au Centre Pompidou cette année en plus… (Zamicalement Vôtre en septembre 2023 dans le cadre de Extra ! 2023

"Alors ça c'était un spectacle, une performance qu'on avait fait avec deux autres comédiennes sur les destins croisés entre Audre Lorde et Monique Wittig. On espère rejouer d'ailleurs. Mais ça, c’était plus un projet théâtral qui est venu de Emilie Notéris qui a fait des recherches d'archives pour: essayer de tirer un fil, est ce que Monique Wittig et Audre Lorde se sont rencontrés dans la vraie vie."

Quelles ont été tes derniers coups de cœur culturels ? 

"J'ai vu le film « Orlando » de Paul B. Preciado sur sa biographie et le parcours de plusieurs personnes trans, revisités en utilisant le roman Orlando de Virginia Woolf. C'était hyper inspirant, hyper poétique, hyper doux. Les images sont super belles et c’est très tendre. On suit des vraies vécues de personnes qui cheminent dans leur transidentité. Je trouvais ça très touchant. Et après, J'ai découvert une chanteuse que j'adore qui s'appelle Frieda / I am Frieda sur les réseaux sociaux. Elle a une voix incroyable et des textes très poignants. Je pense qu'il faut qu'on se rencontre parce qu'à mon avis, on a beaucoup de points communs. Ça a l’air d’être une personne très dans la lumière, dans la joie et très réactive qui fait plein de choses aussi sur les réseaux sociaux. Donc à suivre !" 

Interview réalisée le 15 décembre 2023

Crédits photos : photo de couverture – Laura Gilli / Fourchette Suisse - Fifou

Capture d’écran 2023-12-22 à 09

 « L’autre » 

Ecrit par Tahnee / Mis en scène par Sibylle de Montigny 

Les vendredis et samedi à 20h30 jusqu’au 10 février 2024 à la Nouvelle Seine (Paris 5e)

4 dates exceptionnels à Paris au théâtre de l’Européen sont prévues les 25 mars, 16 avril, 24 mai et 27 juin, en même temps que sa tournée dans toute la France !

 Jade SAUVANET

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Une nouveauté cette année, la création d’une compétition jeunesse avec un choix de films spécifiques adaptés au niveau scolaire des élèves.

.https://festivalfilmroyan.fr/

 

 

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Le TXR organise la 4e édition de Festiv·iel, son temps fort annuel dédié au féminisme inclusif, aux cultures queer et aux questions de genre et de sexualité.

4 spectacles inédits vont déplacer le regard du public sur le sexisme ordinaire, les violences sexuelles, les communautés racisées queer, en créant de nouveaux imaginaires subversifs, drôles et joyeux.

https://www.croix-rousse.com/

À partir du 27 novembre 7 JOURS, 7 FILMS JAPONAIS EN AVANT-PREMIÈRE À travers toute la France

Le Festival du cinéma japonais LES SAISONS HANABI de retour à partir du 27 novembre, à travers toute la France

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