Together : anatomie d'un couple sous cloche - Théâtre de l'Atelier (Paris)
Entre les 2 escaliers de la butte Montmartre, se niche une place avec le théâtre de l’Atelier qui rajoute une note romantique au paysage du quartier. Quelques bouquets de fleurs dans la file, des personnes qui sortent du café du théâtre en précipitation pour ne pas louper la première sonnerie… Une porte claque, les lumières de la salle restent actives et le spectacle commence… Rose Berthet est la directrice de ces murs depuis février 2022. Son pari pour la saison 2023-2024 commence à s’installer : viser sur les têtes d’affiches, dans l’interprétation comme les textes.
Nouveau choix audacieux, j’ai nommé : Dennis Kelly. Le dramaturge britannique à la plume acide est l’héritier du théâtre « in yer face ». Ce genre, né dans les années 1990 et porté par Sarah Kane (4.48 Psychose), a pour but de choquer le public autant dans le verbe que dans un appareil scénique marqué par la violence. L’écriture est une bombe et la scène en est que l’allumette…
Kelly étant très reconnu outre-Manche, Together est pour moi un premier pas vers la découverte de son univers, tournée vers la sphère domestique.
Dans Girls and Boys, une femme se confiait à quatre spectateurs invités à partager sa table sur sa dernière histoire d’amour, qui se révélait de désamour. Ou on peut encore Orphelins, ce huit-clos familial empreint de tensions sociales et raciales, où la mesure sécuritaire monte à la tête.
Avec Together, l’auteur britannique renoue avec sa source d’inspiration : le foyer et plus particulièrement, le couple. Et qui de mieux pour mettre en scène ses mots qu’une des plus grandes habituées de la patte Kelly, Mélanie Leray (qui avait remporté le Molière du meilleure seul en scène en 2019 pour Girls and Boys).
Il ne s’agit pas d’une énième dissection de couple mais une à un moment très particulier : l’annonce du premier confinement en mars 2020. La Covid-19 a bousculé nos repères sensitifs en introduisant une nouvelle règle : la vie en vase clos, dans le micro-espace du domicile. Kelly pose les questions suivantes : de ce constat, comment envisager la conjugalité ? Comment exprimer son individualité quand Elle et Lui doivent partager le même espace sans appel d’air ?
Le couple sous le confinement a été un objet d’étude pour les chercheurs à la suite de cette période. Ainsi souligné dans les articles de presse que les études scientifiques, cette étape a pu autant un accélérateur de ruptures comme une source vive d’approfondissement des liens.
Selon un sondage Ifop pour le site charles.co, 60 % des Français en couple confient ne pas avoir été impactés par le confinement, tandis que 30 % ique, estiment même que cette période les a rapprochés. Un couple sur dix confie toutefois s'être éloigné, plus particulièrement dans la jeune génération, pour qui c'était souvent la première expérience conjugale (Les Echos).
C’est là que l’écriture tragi-comique et brute apporte une touche politique et sociale, cet espace qu’ils partagent est politique : ils appartiennent à la classe moyenne supérieure avec un espace domestique approprié pour extérioriser ce qui les hérissent chez l’autre. Elle travaille dans une ONG défendant les droits des réfugiés et se dit de gauche. Il est consultant en informatique et se revendique conservateur à 100%. Leur relation se fonde en partie sur le débat politique nourri, très nourri car contradictoire, à s’engueuler jusqu’à extinction de voix. Ici agit la patte Kelly par la violence des dialogues ainsi que cette interrogation progressive chez le personnage de Elle d’une violence qui serait enfouie en elle (autant viscérale que classiste) que sa vocation lui aurait permis de camoufler. Cette violence s’exprime à travers une histoire de champignons, le deuil d’une mère ou encore s’incarne également par leur fils, Alfred ou Alfie qui développe une curieuse fascination pour la mort et la cruauté (en observant l’agonie d’un oiseau dans le jardin par exemple). Si Dennis Kelly est britannique, le contexte de l’hôpital public en ruines se transpose aussi bien en France, comme la peur et le deuil des familles.
La mise en scène de Mélanie Leray prend la forme indirecte d’une psychanalyse qui décortique chaque phase de leur vie ensemble. Ils se tournent vers le public comme à leur psy par un usage récurrent de l’effet d’adresse, les interprètes nous embarquent dans le processus. Nous participons au spectacle car Elle et Lui s’adressent au public, attendent son approbation et son soutien sans pour autant prendre en compte son avis. Elle et Lui ont besoin de l’autre pour se faire entendre, d’un soutien qu’ils trouvent dans le public.
« ELLE : La vérité c’est juste qu’on
LUI : ne s’aime pas
ELLE : ne se supporte pas
ELLE : Et donc ce confinement, moi et lui, dans la même maison. Ensemble…
LUI : parce que vous voyez, la seule chose qui me rende notre vie commune à peu près supportable c’est de savoir que chaque matin je vais pouvoir sortir de la maison
ELLE : Je ressens exactement la même chose
LUI : Te dire au revoir est – sans aucun doute- le meilleur moment de ma journée. »
Cette forme de sas de décompression en triangulation donne un effet stand-up qui certes permet au public de s’identifier à certains moments vécus du confinement, pour le meilleur et surtout pour le pire car l’effet comique tente à s’essouffler.
L’écriture très cynique empreinte de beaucoup d’humour noir n’atteint pas toujours je trouve, peut-être la touche anglaise ?
Il faut bien entendu s’arrêter sur Emmanuelle Bercot éclatante et lumineuse sur scène, ce qui est beaucoup plus appréciable au théâtre qu’au cinéma où les séquences peuvent couper le rythme. Face à elle, on peut craindre que le duo soit déséquilibré avec Thomas Blanchard, que certain.es ont pu voir dans les films de Quentin Dupieux. Finalement au bout de 15 minutes, chacun.e arrive à prendre sa place et les répliques fusent au tac-au-tac.
Together est une pièce politique car elle place au centre du jeu les individus jugés essentiels tels que les caissières, les aides-soignants. A travers ses personnages et sa plume trempé dans l’acide, Dennis Kelly donne sa critique de l’Etat et de son inaction, émettant monts et promesses d’un monde nouveau qui ne verra jamais le jour. Mais l’objet étudié demeure le couple, enfin ces personnes qui essaient de vivre leur individualité sous le même toit et en viennent à échanger leurs valeurs, bouleversées par la pandémie.
Et c’est sur ce terrain qu’on part en troisième vitesse sur de l’humour noir british, qui n’a pas forcément l’effet escompté. Together, c’est bien même si la découverte de Dennis Kelly mérite approfondissement.
Crédits photos : Simon Gosselin
Together
Ecrit par Dennis Kelly
Mis en scène par Mélanie Leray
Avec Emmanuelle Bercot et Thomas Blanchard
Du mardi au dimanche à 21h ou 17h
Théâtre de l'Atelier (Paris 18e)
Jusqu'au 25 février 2024
Jade SAUVANET