"Ce métier en appelle à la capacité des femmes à perdre leurs repères et à les retrouver tels qu'ils étaient à la même place. En somme, pouvoir baiser sans coeur et sans âme lorsqu'elles sont payées pour, mais hors du bordel, redonner en eux son pouvoir magiquen et aux mots du sexe tout leur sens, comme si aucune transaction jamais n'était venue perturber la notion de sacré."
Pour bien écrire sur un métier, il faut le vivre de l’intérieur : ce précepte qu'on prête à Hunter S. Thompson, l'inventeur du gonzo- journalisme mis en avant il y a quelques années par Terry Gilliam et Johnny Depp, n'en finit pas de faire des émules même auprès de jeunes diplômées de lettres françaises qu'on aurait pas forcément vu sur ce terrain là.
Et pourtant, Emma Becker, après deux premiers romans sortis plutôt discrètement, fait beaucoup parler d'elle en cette rentrée littéraire grâce à une technique largement influencée par gonzo-journalisme.
En effet, à 25 ans à peine, elle a décidé de partir il y a quelques années à Berlin, où, contrairement en France, les maisons closes sont autorisées, pour faire commerce de son corps dans deux établissements différents, d'abord le Manège, lieu sordide et peu avenant, puis à la Maison, qui donne son titre au roman et dont elle a ( elle l'assume totalement; on a donc envie de la croire) totalement apprécié l'experience.
"Quant à toi, outre l'évidence que nous n'avions rien en commun, je ne t'intéressais pas parce que j'étais une pute. Il ne te venait à l'esprit que j'étais quelqu'un avec des trucs bêtes à dire comme tout le monde- voire plus que n'importe qui. J'ai retiré furtivement ma culotte."
Désirant tenter l'expérience de la prostitution dans un bordel allemand, et fasciné par ses personnalités hautes en couleur qu'elle a pu croiser notamment dans les romans de Louis Calaferte, Emma Becker évite largement le coté journalistique, frontal de son investigation.
Elle parvient à faire de son enquête immersive un objet littéraire d'une très grande beauté, enchaînant les portraits de femmes , dotée d'une vision très romantique - qui va totalement en opposition avec le coté glauque et sordide qu'on devrait attendre d'un tel sujet .
Endroit chargé d'odeurs, aux lumières tamisées et aux chambres poudrées, la Maison est le lieu de tous les fantasmes.
On suppose que tous les très beaux portraits dessinés par Emma Becker s'arrangent parfois avec la réalité, mais en les découvrant, on comprend un peu mieux la misère sexuelle des hommes et leurs grandes vulnérabilité et la féminité exacerbée de la figure de la prostituée qui en marchandant son corps, se met parfois en position de risque insensé (certaines situations décrites dans le livre font froid dans le dos) .
Cependant, celle ci se retrouve souvent avec un pouvoir énorme, celui de donner du plaisir et un peu de joie à des hommes qui en manquent cruellement ..