Critique cinéma : Grand frère de Liang Ming : une Chine subtile et intime
Dans une petite ville au nord de la Chine, près de la frontière avec la Corée du Nord, Gu Xi habite avec son frère, Gu Liang. Fusionnels, le frère et la sœur se débattent pour mener une vie décente, dans une bicoque perdue aux milieux de champs enneigées, en périphérie. Lui est pêcheur, mis au chômage par une marée noire qui a ravagé la région. Elle est femme de chambre, avec un statut migratoire précaire qui l'empêchera bientôt de travailler.
D'une façon similaire au sublime Burning de Lee Chang-Dong, remarqué à Cannes en 2018 (et malheureusement reparti bredouille de la compétition), le premier film de Liang Ming, ancien acteur, vu notamment dans Nuit d'ivresse printanière, se transforme vite en triangle amoureux, parcouru de tensions sociales, lorsque Gu Liang rencontre Qinqchang, la fille d'un riche négociant en pêche.
Tout comme dans Burning, la différence de classe se signale d'abord par une manière d'être au monde : tout apparaît facile à Qinqchang – les blagues, la musique les voyages, tandis que le frère et la sœur, contrits par la modestie, sont plus rigides.
Charmée moins par l'argent que par l'aisance existentielle de celle qu'elle adopte comme une grande sœur, Gu Xi comprend aussi bien vite qu'elle constitue une menace pour son équilibre et le lien qui l'unit à son frère. Elle tente dès lors de vivre avec ces sentiments contradictoires.
Grand frère est un film mystérieux et subtil, surtout parce qu'il adopte le point de vue exclusif de Gu Xi, laissant de grande parts d'ombre à l'intrigue.
L'atmosphère de fin de monde, celui de la jeune sœur qui s'écroule, dont le trouble est renforcé par une affaire de règlements de compte entre magnats de la pêche (le patron de Gu Xi est accusé d'avoir fomenté l'assassinat d'un marin) est saisissante.
Les paysages et décors participent également de ce vacillement, la nature étant omniprésente autour de ce qui pousse de ville, comme en témoignent magnifiquement la cabane isolée de Gu Xi et de son frère, noyée par la neige ou l'hôtel vide dans lequel elle travaille, planté au milieu de la forêt.
Ces paysages disent également quelque chose de la Chine d'autrefois, désormais dévorée par le béton. Situé en 1999 et tourné dans la ville natale du réalisateur, le film est pour lui un geste profondément nostalgique.
Cette nostalgie infuse dans tout le cinéma contemporain chinois, bien conscient de ce qui est en train de disparaître avec la croissance délirante et les bouleversements économiques et sociétaux qu'elle induit. Tout comme le profil des villes est bouleversé, la géographie intime des êtres change.
La vitesse à laquelle s'effectue ces changements créé un vertige, un flottement né du déracinement qui inquiète les cinéastes chinois autant qu'il leur inspire ces grandes fresques intimes.
Grand frère en est un merveilleux exemple, servi par des acteurs impeccables, tout comme Séjour dans les monts Fuchun, So Long My Son récemment, ou encore les films de Jia Zhang-ke.
Le film sortira le 26 août au cinéma
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