Dans son dernier film, "Enquête sur un scandale d’État", qui sort aujourd'hui en salles ( voir critique), Thierry de Peretti interroge la fabrication médiatique des affaires publiques.
Le réalisateur s’est inspiré de l’enquête d’Emmanuel Fansten et Hubert Avoine, « L’infiltré », dévoilant l’un des plus gros scandales de la Vème République. On l'avait rencontré rapidement lors du dernier festival de film de société de Royan et on avait pu échanger avec lui
Avec ce film là, comparé aux deux premiers, vous faites des infidélités à la Corse... Quand j'ai vu le titre de votre film sans savoir du tout de quoi il parlait, je pensais que le scandale d'état allait avoir un rapport avec la Corse, or finalement, la Corse est absente de cette histoire..
Thierry de Peretti :Ah, disons que le titre a un rapport avec la France en tout cas ( sourires) .
Oui si je voulais faire un peu de provoc, je dirais qu'avec ce troisième long métrage, je fais en quelque sorte mon premier film à l'étranger (sourires).
Les films que j’ai faits jusqu’à présent se passaient tous les deux en Corse, qui est mon territoire à la fois de fiction et intime.
C’est là où les questions politiques sont les plus saillantes. Mais possiblement on peut voir des liens entre mes trois films, il est question à chaque fois de violences et souvent liée à la force étatique, même si ici la violence d'état est le point de vue du journaliste et du journal Libération.
Le titre, à mon sens est l'examen de ce qu'est un scandale d'état et à partir de quel moment un évenement grave en devient un phénomène qui a de retentissements supra étatiques.
Le film raconte comment un scandale d'état se construit et tout l'environnement autour de cela...
Un fait intervient, une saisine de drogue, et comment alors le récit et les personnages se construit autour de cela, et le récit, kaledioscopique interroge les notions de vérité qui inoculent en quelque sorte notre société ..
Comment concrètement ce projet est- il arrivé jusqu'à vous ?
Thierry de Peretti : En fait, après « Une vie violente », un producteur de séries qui a les droits sur le livre m’a proposé de l’adapter en série de six épisodes.
J’ai lu le livre, mais une série ne m’intéressait pas vraiment pour plusieurs raisons, disons que c'était un peu trop éloigné de mes aspirations du moment.
Mais à cette occasion, j’ai rencontré Emmanuel Fansten et Hubert Avoine et cette rencontre m'a profondément marqué .
Ils étaient sur le point de rédiger un second livre donc ils maîtrisaient à 100 % leur sujet. Ils ont essayé de me raconter, mais ça partait dans tous les sens.
Il était vaguement question au départ que j'adapte L’Infiltré, mais je ne voulais pas faire un biopic d’Hubert et prendre tout ce qu’il dit dans le livre pour argent comptant.
Et du coup, qu'est que vous leur avez proposé à la place comme projet cinématographique ?
Thierry de Peretti :
Assez vite après avoir rencontré Hubert et Emmanuel, je leur ai dit que je voulais plutot faire un film sur leur lien et leur travail d'enquête .
Car ce qui m’a passionné dans leur histoire , c’est de tenter de raconter ça au cinéma et que ce soit clair et passionnant, sans édulcoré, sans simplifier, sans synthétiser.
L’affaire m’intéressait parce qu’elle était en cours. Ils semblaient naviguer à vue, il fallait épouser avec eux cette trajectoire jamais droite et essayer de matérialiser cela en terme de mise en scène, ce défi là me passionnait pas mal en fin de compte ...
Hubert Avoine reste si mystérieux , presque insaissisable jusqu'au bout dans votre film.. Comment selon vous, réussir à l'appréhender ?
Thierry de Peretti :Disons que malgré des méthodes particulières que je n'ai jamais cherché à édulcorer dans le film , c'est quelqu'un qui a cru au bien-fondé de sa mission .
Comme il travaillait sous les ordres du patron de l'Office central des stups, il n'avait donc aucune raison de s'inquiéter de la régularité des opérations.
Mais au fil des mois, le doute est intervenu et la méfiance s'est installée. Hubert Avoine a alors compris qu'il était devenu complice d'un système qui, au prétexte de lutter contre le trafic de drogue, contribuait à sa diffusion massive.
Comment avezvous pensé la mise en scène du film qui est à la fois très réaliste et en même temps complètement immersive, assez déconcertante dans son approche, et en tout cas très loin des standarts de la série américaine sur les histoires de drogue par exemple ?
Thierry de Peretti : J’ai l’impression que la fiction aujourd’hui m’endort, dans le sens qui m’hypnotise, ne me réveille pas et ne met pas assez à jour les représentations.
Et pour cela, il faut voir les gens dont c’est le métier parler, pas uniquement parce qu’ils vont dire des choses précises, puissantes, mais aussi parce que cela exprime quelque chose sociologiquement.
La question du réel m’intéresse depuis toujours, c'était le cas évidemment dans les autres films que j’ai faits.
On prélève un morceau d’histoire et on essaye de le donner à l’image dans sa vérité, dans sa complexité.
C'est ce qui crée la fiction qui fait ma mise en scène. C’est le montage de tous ces éléments-là, qui sont vrais et bruts. Mais ce n’est pas pour autant du documentaire. C’est plus une équivalence de cinéma.
Comment on fait si on doit rejouer les choses ? On doit redonner à des acteurs des rôles de personnages qui ont existé. Où est la fiction ? Qu’est-ce qu’on fait entendre de la vérité ? Voilà toutes ces questions là auxquelles j'ai essayé de répondre en filmant enquete sur un scandale d'état
Ce qui est formidable dans votre film également, c'est qu'on a rarement vu le monde du journalisme et un comité de rédaction, filmé comme une grande agora comme cela C'est un long travail de documentation qui aboutit à ce résultat là, j'imagine?
Thierry de Peretti : Oui bien sur, disons que j'ai longuement pu aprocher en préparant le film les journalistes de Libération
J'ai vu ainsi comment ils pouvaient travailler car ils m'ont fait énormément confiance pour les suivre au quotidien, c'est ma grande chance sur ce film ..
J'ai pu voir à quel point ; ils approfondissent les choses souvent dans des conditions économiques et professionnelles complexes.extrêmement admiratif, car j’ai vu quelqu’un comme Emmanuel travailler et comment il travaille avec intensité, Emmanuel est d’ailleurs devenu un ami depuis
Mais en même temps tout n'est pas forcément rose dans votre perception du journalisme, soumis parfois à quelques compromissions..sans oublier le monde de la TV, qui semble peu se soucier de la vérité des faits pour plus de sensationnalisme..
Thierry de Peretti : Oui, bien sur, cela ne m'empeche pas d'avoir un regard critique envers l’état des médias dans son ensemble, la presse audiovisuelle notamment que je n'épargne pas dans une des scènes clés du film mais aussi la presse écrite qui aurait à mon sens une tendance à feuilletonner les choses juste pour faire du chiffre.
Du coup, on peut dire que cette orientation là a forcément un impact sur le contenu de certains articles, laissant la recherche de la vérité parfois à la marge
Enfin, ceci est mon simple avis, il n'engage pas évidemment les journalistes de Libération que j'ai pu voir travailler au quotidien .
Disons pour résumer que le contexte des médias et du spectacle dans son ensemble n’est pas toujours très favorable à faire émerger la complexité du réel.
Enquête pour un scandale d'état- Sortie le 9 février 2021
Interview réalisée le 10 décembre 2021 dans le cadre du festival du film de société de Royan