Va aimer ! : une onde de choc nommée Eva Rami – Théâtre Lepic (Paris)
Une voix aïgue s’élève dans le noir complet. Derrière nous, surgit une lumière, d’abord celle de la lampe torche puis celle d’Eva Rami dans la peau d’une maîtresse d’école qui organise une visite. Sommes-nous les élèves ? Peut-être, cela semble être bien le cas ! La visite se déroule dans un lieu hors du commun, au cœur d’un vagin. Au cours de ce moment à la manière du Bus Magique (d’un temps que les moins de 20 ans, ni même 25 ans, ne peuvent pas connaître, oui j’ai osé la référence) ou d’Il y était une fois la vie (un peu plus parlant pour moi je le reconnais), un enfant manque à l’appel : Elsa.
Cette petite Elsa Ravi deviendra grande, elle est l’avatar scénique d’Eva Rami qui la suit dans ce désormais tryptique. Un trio de pièces apparu à sa sortie du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Vole ! marquait le passage de l’adolescence à l’âge adulte , T’es toi !, les commencements dans le monde du travail et du théâtre surtout. Va Aimer ! n’est qu’une troisième injonction à se libérer et à découvrir son identité personnelle pour mieux marquer son identité scénique.
La grand-mère italienne d’Elsa lui offre un oiseau en cage, un héritage de son grand-père. La jeune femme n’a qu’une idée en tête : le libérer. Mais elle n’y arrive pas… La métaphore file… Pour mieux se construire en tant qu’adulte, il faut revenir aux racines de l’enfance et de l’éducation affective et sexuelle quand la petite Elsa était humiliée dans la cour de l’école ou face à son premier porno. Soutenue par un père plutôt grande gueule, elle s’entoure de proches aussi cocasses que grinçants, personnages que la comédienne interprète avec punch avec chacun.e.s leur mimique.
Certains se distinguent comme les femmes de sa vie, pleine de fougue, d’angoisses qui commencent à déteindre sur la jeune femme. Cette dernière commence une thérapie avec le plus grand cliché lacanien (et hilarant) des psychologues énergéticiens. On a en tête cette scène où Elsa entame un travail pour traiter ses traumatismes mais que sa mère et sa grand-mère s’immiscent dans sa séance pour larguer leurs bagages émotionnels, n’hésitant à confondre leur fille et petite-fille avec le divan et à lâcher un « Plus ma fille devient belle plus je me sens moche ».
Puis surgit la rencontre avec Charles, amoureux destructeur. La cage lumineuse où se trouve l’oiseau en devient une pour la jeune femme, qui perd sa voix et son soleil se terre sous la domination et les humiliations. « Je me suis réveillée dans son lit, c’est que j’en avais envie, non ? ». Eva n’aurait jamais pu prononcer ces mots sans les femmes passées avant elle qui lui ont donné la force de le dire, de le crier. Aujourd’hui, elle le crie et l’écrit avec ses tripes et notre cœur se serre. Ce cri du cœur est autant un cri de douleur qui se mue désormais en rire ; Elsa tu n’es pas seule comme le répète la maitresse.
On découvre une Eva Rami phénoménale à la palette d’émotions aux mille couleurs. Eva ou Elsa cherche au plus profond d’elle-même, fouille dans les mots qui fusent en elle et sort des barrières qui étouffent pour mieux parler et honorer l’amour dans toutes ces facettes et tous ces nœuds. Ceux qu’il défait et ceux qu’il renforce, détaché de tout romantisme ou idéalisme. Les répliques qui fusent puis vient l’apaisement : la comédienne énumère les hommes qui ont croisé sa vie, ou au moins son corps, en oubliant de le respecter. En tant que femme, on tend à se reconnaitre dans certaines lignes, certains discours ou des situations similaires.
Les larmes commencent à s’assécher sur le long des joues lorsqu’on ressort de ce théâtre caverneux avec une profonde sérénité et un sentiment de bien-être provoquée par l’onde de choc nommée Eva Rami !
Crédits photos : Gaelle Simon
Va aimer !
Écrit, mis en scène et interprété par Eva Rami
Regard dramaturgique de Camille Boujot.
Théâtre Lepic (Paris 18e)
Jusqu’au 30 avril 2024
Durée 1h20.
Jade SAUVANET