Dévorante : Eleonora Galasso irradie les Mathurins par sa prise de parole – Théâtre des Mathurins (Paris)
Dans le noir comble, Eleonora Galasso déboule derrière nous par surprise, interpellant dès les premières minutes le public qui vient assister à un cours de gastronomie italienne. Gare à ceuxcelles qui arriveraient en retard ! Parler des différentes facettes de sa vie ne va pas forcément de soi, le revers peut dissimuler une partie plus lourde, telle une pièce de monnaie lancée qui ne cesse de changer jusqu’à tomber sur un côté.
Pile. Eleonora reprend le tablier qu’il l’a accompagnée des années auparavant, dans son ancienne vie de cheffe et de critique culinaire.
Ses ouvrages de cuisine et lifestyle italien ont été traduits en 14 langues et ont été vendus à plus d’1 million d’exemplaires. On a pu l’apercevoir dans la cuisine de l’émission « C à Vous » à prodiguer « l’art de la pasta ». Cette amoureuse inconditionnelle de Paris nous propose de nous faire découvrir proprement la Dolce Vita ; et avec le bien vivre vient forcément en Italie le bien manger. La cuisine est le lieu le plus cher à ses yeux, là où elle a observé sa mère dans les bases élémentaires de la cuisson de la pasta, et à se lamenter entre deux cachets d’aspirine, comme toute hypocondriaque qui se respecte.
Face. Derrière les comiques répétés de la chronique culinaire en direct, derrière les discussions aux fourneaux avec la mamma et la nonna, l’attente d’un père absent qui ne reviendra jamais à qui elle a préparé des post-it, est exposé.
Le lieu est propice au dévoilement de l’intimité, il a été le témoin de l’emprise et de violences conjugales. Eléonore a vécu sous l’emprise d’un homme violent (qualifié dans les mentalités collectives de pervers narcissique) : elle témoigne de tous les mécanismes de manipulation, de l’effet lune de miel, au gaslighting (de déformation de la réalité pour inverser la culpabilité et les rôles abuseur/victime). La violence se traduit aussi via une bande-son forte qui fait écho aux acouphènes déclenchés par les coups. Eléonora est seule, isolée dans une réalité contrôlée par son compagnon agresseur, une passion dévorante comme elle l’appelle.
Puis une lueur lui permet de la casser, pour la voir telle qu’elle : un enfer.
Le principe d’un spectacle hydride peut surprendre sur ce sujet, un choix artistique qu’il n’a pas été facile à défendre, au vu de la frisolité de certaines salles. «On me disait que je devais choisir entre la comédie et le drame, mais moi, je ne veux pas. La tragicomédie est intrinsèque à la culture italienne. En Italie, c’est comme ça qu’on transmet les messages, entre deux morceaux de dramaturgie » Cela n’a pas été le cas du directeur du Théâtre des Mathurins. Dans sa petite salle, l’intimité est de fait avec une mise en scène hyper efficace : une table qui se transforme en lit, les pâtes déjà cuites et une alternance entre deux ou trois costumes. Mais la touche en plus est bien l’interaction avec le public, la proposition de déguster, bref un quatrième mur éclaté (qui personnellement me ravie toujours).
Eleonora Galasso est captivante, irradie la salle par sa prestance, qu’on retrouve autant dans son sourire que sa volonté de tout sortir. Monter un spectacle hydride tragi-comique fidèle à ses origines italiennes et son ton original s’inscrit dans un théâtre qui légitime davantage la parole des femmes sur les violences. Comme l’ont documenté Sandrine Blanchard et Joëlle Gayot pour Le Monde, la comédienne ne voulait être « ni dans le pathos, ni dans le militantisme, ni dans la dénonciation » pour raconter ses neuf années passées sous l’emprise d’un conjoint violent. Mais dans la « guérison » pour elle-même et la « transmission »pour les autres.
Son seule en scène tragi-comique véhicule un message d’alerte à l’attention de toustes comme la comédienne le signale à la fin : si vous connaissez une personne en détresse, n’hésitez pas à l’emmener au théâtre pour ce “cours de cuisine intéractif”...
Quant à Éléonora, elle continue sa mission de sensibiliser par le théâtre. Le futur se construit-il en fonction du passé ? A voir parce qu’en cuisine comme dans la vie «qui’n se butta Gniente» («que rien ne se jette»), comme on dit dans les Pouilles.
Crédits photos : Pénélope Caillet
Dévorante
Écrit par Eleonora Galasso et Chloé Froget
Mis en scène par Chloé Froget
Interprété par Eleonora Galasso
Du mardi au jeudi à 21h
Jusqu’au 30 mai 2024
Théâtre des Mathurins (Paris 8e)
Jade SAUVANET