Baz'art  : Des films, des livres...
27 août 2024

[INTERVIEW] Michiel Blanchart – La Nuit se traîne

La Nuit se traîne, en salles dès demain,  marque le premier long-métrage de Michiel Blanchart.

Retrouvez notre critique de cet épatant thriller belge ici même

Lors d'un entretien exclusif avec Baz'art,  le réalisateur  se confie sur leur désir d’ancrer cette “belle histoire” dans un climat politique tendu tout conservant  intacte sa passion pour le cinéma de divertissement.

 

Bonjour Michiel et bravo pour ce film qu'on trouve vraiment formidable à Baz'art aussi bien dans le fond que sur la forme.

Notre première question est la suivante :  Votre précédent court métrage  « T’es Morte Hélène »  a connu une très belle reconnaissance du milieu en étant  récompensé  un peu partout.. Une adaptation sur grand écran doit  d'ailleurs voir le jour prochainement  coproduit par Sam Raimi. Pourquoi n'est ce pas ce long métrage là qui sort en premier sur nos écrans ? Par ailleurs, est-ce que le succès de  "T'es morte Hélène " a quand même servi de carte de visite pour accélérer la conception de La nuit se traîne ou bien les deux projets sont totalement indépendants l'un de l'autre ?

La Nuit Se Traine était déjà en développement quand le court métrage est sortie. Lorsque le projet d’adaptation du court métrage à commencer à se concrétiser coté américain LNST était déjà sur les rails. (Et puis, développer un film aux E.U peut prendre du temps !)
En revanche le succès de T’est Morte Hélène a sans nul doute ouvert quelques portes et permit de faciliter le financement de ce premier long métrage.

 

 Dans une interview pour promouvoir T'es morte Hélène, vous affirmez qu'il vous semble difficile à notre époque de de trouver un marché pour le cinéma de genre francophone à petit budget. Est-ce que vous avez ressenti cette difficulté là pour La nuit se traîne ou le film a pu se montrer plutôt facilement avec un budget adapté à ses ambitions ?

Les choses bougent. Ici il s’agit certes d’un film de « genre » mais pas d’un film fantastique. Le polar est beaucoup plus ancré dans la culture et le cinéma populaire français.
Malgré tout le film n’a pas été facile à monter et le scénario a d’ailleurs été retravaillé régulièrement pour être financièrement réaliste. Mais c’est le lot de toute production cinématographique, je n’ai pas à me plaindre.

  Malgré ces difficultés, vous continuez à affirmer, avec ce long comme avec vos courts métrages, votre amour pour le cinéma de genre...en quoi est-ce primordial pour vous de vous lancer dans ce cinéma là ?

Je ne pense pas en ces termes il me semble… Je dirais que j’ai des envies de cinéma et de mise en scène tout simplement. Je veux faire un cinéma généreux et kinétique où le fond et la forme ne font qu’un pour offrir une expérience riche et évocative aux spectateurs. Pour moi tous les films sont des films de « genre ». On peut mettre tout film dans une case, dans un genre. Un drame familial est un « genre » à part entière avec ses codes, etc. Mais je n’aime pas trop les cases… J’ai envie de secouer et mélanger tout ça !
Ce qui pour moi est primordial c’est de ne pas forcément m’intéresser à la réalité, mais à la vérité ! Faire des films qui nous élèvent de notre quotidien, tout en parlant de nos vies. Et aussi je dois bien l’admettre, je veux rester fidèle au petit garçon que j’étais et aux films populaires qui m’ont donné envie de faire du cinéma.

Comme le titre de votre film l'indique, le film se déroule uniquement sur une nuit. Au cinéma,  la nuit a souvent été  temps de la transgression,  aux interdits, à la mise en avant d'un monde peuplé d'invisibles... Est ce que cet élément là était important dans dans votre propre appréhension de la nuit sur grand écran ?

Tout à fait ! J’ai toujours eu le fantasme que mon premier film aurait un concept simple et qu’il se déroulerait en une seule nuit. C’était à la fois une contrainte et une libération. Écrire mon premier film était très intimident, et cette contrainte m’a permis de venir à bout du scénario sans trop me perdre.
Et puis évidement la nuit permet de laisser libre court à l’imagination. La nuit permet de donner une dimension mystérieuse à ce conte urbain. Que se passe-t-il dans les rues quand tout le monde dort ? Tout est possible !

Les films  qui se déroulent dans une unité de temps sur une nuit ont souvent donné lieu à de grandes réussites, on pense bien sûr à "After Hours" ou "Collatéral " mais aussi  à des films moins connus et moins ciblés cinéma de genre, comme la 25e heure,  "Médecin de Nuit", "Une nuit"  ou la Belle et la Meute... est ce que vous avez de telles références en tête en écrivant votre scénario qui voyait votre intrigue se déployer en une seule et même nuit ?

Bien sûr. Collatéral est probablement la raison d’être de ce film, je peux difficilement cacher son influence sur La Nuit Se Traine.

Une grande référence esthétique aussi était le film « A Tombeau Ouvert » de Scorcèse et bien d’autre. 

Je peux aussi citer « Victoria », « Good Time » ou « Tangerine » dans des styles très différents.

Mais scénaristiquement ce ne sont pas forcément des films nocturnes qui m’ont le plus inspiré. Mais plus des films avec des concepts fort qui se déploient sur des courtes durées. Je pense à « Training Day » d’Antoine Fuqua ou même « Duel » de Spielberg. En termes de ton c’est peut-être plus le cinéma Coréen et ces mélanges de « genres » décomplexé qui m’ont inspiré.

 Vous avez écrit votre scénario tout seul, sans de co scénariste crédité...Avez vous toujours fonctionné ainsi dans vos projets ? N’avez-vous parfois besoin d'un regard extérieur sur votre scénario à des moments où vous avez l'impression d'être coincé dans votre construction narrative ?

J’aime beaucoup l’aspect solitaire de l’écriture. Ce qui contraste fortement avec tous les autres aspects de fabrication d’un film qui sont hautement collaboratif et j’aime beaucoup alterner ces deux états de création.


Cela dit, l’écriture est de loin l’étape où je me sens le plus en difficulté. Et évidemment on se retrouve souvent avec le besoin de confronter ses idées à des lecteurs et d’échanger avec des gens de confiance. Les producteurs et les amis proches sont là pour ça !
Après, comme beaucoup de cinéastes à mon avis, je rêve qu’on vienne me proposer des scénarios géniaux qui semblerait « tout fait pour moi » !  

   Comme tout bon film d'action, La nuit se traîne dépasse le côté purement divertissant en y apportant une dimension politique évidente, aussi bien par le contexte très tendu de violences raciales  dans lequel se déroule la nuit se traîne, mais aussi avec la précarité au quotidien que semble subir  personnage de Mady...Comment avez vous réussi à articuler ces deux différents pôles sans que jamais l'un empiète sur l'autre ?

C’était en effet un petit jeu d’équilibriste. Je ne voulais pas faire un film à charge/à message car j’estime que ce n’est pas ma place, mais tout artiste est obligé de parler du monde dans lequel il vit à travers son travail. Le monde dans lequel on vit actuellement est plein de colère, de violence et d’injustice. Ça se reflète dans le film.

Pour moi l’objectif c’était de ne jamais rien « plaquer ». C’était toujours l’intrigue du film et l’arc des personnages qui guidaient tout.

Le contexte et les thèmes restent en arrière-plan à moins que la situation, la narration ne les ramènent au premier plan. On vit le film à travers l’expérience de Mady et si certains éléments de contexte restent hors champs alors ce n’est pas grave.

Ce qui marche pour moi c’est que le film est avant tout un thriller, un film de cinéma, simplement ancré dans une arène contemporaine.

Dans les thrillers, les films « policier », souvent on se pose la question : « mais pourquoi le personnage n’appelle pas tout simplement la police ? » Et bien ici cette question de cinéma devient une question sociétale.

 

Au niveau des séquences d'action, certaines scènes sont particulièrement impressionnantes  et, on imagine, assez  difficiles à mettre en scène avec un budget qu'on imagine assez réduit. Avez vous eu besoin de préparer ces séquences au millimètre  près pour que leur exécution ne souffre d'aucune approximation au moment du tournage ?

Tout à fait. Heureusement j’aime beaucoup la préparation et je prends beaucoup de plaisir à imaginer et conceptualiser en détails ces séquences. Imaginer les plans, les dessiner, parfois les créer en 3D pour partager ma vision et puis trouver collectivement les solutions pour manifester ma vision. Après malheureusement il y’a toujours la réalité budgétaire, logistique et les imprévus nous rattrape et la moitié du plan vole en éclat et il faut s’adapter !

 L'apparition du méchant de l'histoire, après une demi-heure du film, est assez étonnante vu la notoriété du comédien qui l'interprète,  qu'on n'imaginait pas forcément dans ce rôle là...  Est-ce que dans l'absolu vous aurait aimé qu'on dissimule le plus possible au public  ce judicieux choix de casting -  même s'il est dévoilé  dans la bande annonce- pour laisser la surprise au spectateur ,, une piste que vous semblez  d'ailleurs adopté vu la façon dont le dit comédien arrive dans le champs lors de sa toute première scène..

Malheureusement il faut faire la distinction entre le film et sa promotion. Je crois que quand on fait un film on ne doit pas penser comment il sera vendu et à tout ce qu’il y a autour.
Dans cette scène en question la volonté n’est pas de révéler un acteur, mais de révéler un personnage. D’ailleurs si on regarde bien, chaque personnage important du film à droit à un plan spécifique d’introduction. Pour la scène où on dévoile Yannick le but n’est pas de dévoiler une star mais d’être au plus proche du point de vue et de la sensation de Mady qui s’apprête avec anxiété à rencontrer un personnage qui va changer sa vie à jamais.
En revanche, le fait d’utiliser un acteur reconnaissable dans ce rôle était intentionnel. Il y a à ce moment-là du film un glissement qui se fait dans le ton du film et l’apparition à l’écran d’un acteur connu nous indique qu’on rentre dans le monde du cinéma.
L'écriture du personnage de Mady est assez nuancée, puisque c'est une sorte d'anti héros ordinaire qui va être amené pour des raisons de survie à accomplir des choses extraordinaires..Est ce que choisir le comédien qui l'incarne a été compliqué pour trouver l'acteur capable d'être convaincant dans ces deux dimensions là ?

Dans le dossier de presse, vous mettez en avant le fait que Mady passe d'un état de peur de mourir à la volonté d'assumer un choix moral qui n'est plus forcément liée à sa survie... Mais sans trop spoiler le dénouement,   on peut aussi penser que ce choix moral lui est dicté par des sentiments amoureux -qu'il ne maîtrise pas tout à fait et qui du coup ne dépendent pas totalement de son libre arbitre, non ?

Non. Il n’est pas question ici de romance, mais d’une connexion entre être humain. Le film passe du survivalisme à l’humanisme. Si le spectateur veut y voir une histoire d’amour il le peut bien sûr ! Dans tous les cas la conclusion est la même, pour une fois Mady va écouter son cœur et pas se plier aux injonctions.

  En parlant d'histoire d'amour, celle entre Mady et Claire touche aussi par son côté anti romantique et assez abrupte vu les conditions dans lequel nos deux protagonistes évoluent... Est- ce que cette manière de bousculer les codes de la romance, déjà présente dans vos courts métrages, est quelque chose qui vous stimule dans l'écriture et dans le tournage avec vos comédiens ?

Les codes de la rencontre amoureuse sont en effet présents dans le film mais sont souvent détourné. Comme beaucoup de choses dans les films les choses ne sont pas toujours se qu’elles paraissent. J’ai une volonté de détourner les attentes du spectateur. Ce qui peut sembler comme le début d’une romance devient très vite la rencontre violente entre deux personnages au bout du mur. Et face à l’adversité et la violence qui les entourent la connexion entre ces deux personnages va s’émanciper de la notion de « conquête amoureuse » souvent présent dans ce genre de film.  

 Pour le spectateur français, la nuit se traîne séduit aussi par le fait qu'il se déroule à Bruxelles, donnant au décor à la fois un côté un peu dépaysant et en même temps familier ...Est ce que vous aviez la volonté de montrer  sur grand écran un Bruxelles une ville que vous connaissez bien de façon singulière par rapport à ce que l'on sait d'elle ?

Tout à fait. Bruxelles c’est ma ville !

J’y habite depuis 10 ans maintenant et je voulais m’autoriser à la ré-imaginer, la fantasmer par le prisme du cinéma comme d’autres pays le font avec des villes comme New York, Paris, L.A, HongKong, etc.


Je voulais à la fois faire un portrait assez authentique de la ville que les bruxellois vont reconnaitre, tout en lui conférent un aspect plus grand que nature.

 Le cinéma belge ne cesse d'épater ces dernières années avec des propositions souvent très intéressantes et singulières...Est-ce que de l'intérieur vous avez ce sentiment là, de faire partie d'un courant assez part ou bien ne trouvez-vous pas forcément de connexion avec vos compatriotes cinéastes ?
Oui peut être qu’il y a un brin de folie et de fantaisie plus assumées et décomplexées en Belgique, mais pour être honnête, je ne vois pas vraiment la frontière entre le milieu du cinéma Belge et Français. Je pense surtout qu’il y a un vent de fraicheur dans le cinéma européen avec des jeunes réalisateur.ices qui veulent briser les frontières des genres cinématographiques.

 

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