L’odeur de la guerre : Julie Duval, poings liés, prête à briller – La Scala (Paris)
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Quelle est cette guerre, celle qui font de jeunes filles des femmes combattantes dans notre société comme au sein de leurs propres corps ? N’est pas qu’un combat sans fin contre la domination patriarcale ? Se finira-t-elle un jour ?
Dès l’entrée dans la grande salle de la Scala, notre garde baisse. Nous sommes prêts à poser notre bagage ouvert remplis de nos émotions prêtes à éclore. Julie Duval monte la sienne, gants serrés, prête à en découdre avec le championnat qui l’attend. Elle se glisse dans le monde de Jeanne. A vrai dire, Jeanne raconte Julie. Les brouhahas du public trépignant se mêlent au son des cigales. Leur chant nous pose à Fréjus dans un coin de la maison. Jeanne commence à donner des coups dans un sac, attachée à rendre fière son père. Lui est plutôt brutal, tenace sur l’importance des diplômes pour « réussir sa vie » (pour que ces filles ne connaissent jamais ce qu’il a vécu). La mère, main collée sur l’épaule et recroquevillée, ne finit jamais ses phrases, surement dépassée par l’inquiétude. Jeanne traverse le collège, sans idée de l’avenir. Son corps commence à changer, le regard des garçons aussi : viennent le dénigrement, le harcèlement scolaire et la sexualisation à outrance. Elle tente de se frayer un chemin avec sa meilleure amie Dounia, archétype hilarant et attachant de la cagole sudiste dans la voie du BEP hôtellerie/restauration puis du CAP Esthétique.
La violence physique et verbale s’abat, présentée comme un rituel d’entrée dans la cour de récré ou à la maison. La colère se mue un passage au cœur de chaque couche de la peau. Un soir en boîte, un ancien camarade de classe, retrouvé par hasard, se méprend sur le plaisir qu’elle éprouve de passer la soirée avec lui et la viole. La révolte monte en elle mais ne sort pas, la honte la pétrifie.
Quand Jeanne arrive à Paris, cette colère la ronge. Elle se bat contre elle. Les mots lui manquent, une amie lui conseille une salle de boxe thaï et le Muay-thaï, art martial. Une première lumière apparaît avec un cadre safe : elle veut prendre des coups pour ressentir à nouveau chaque partie de son corps. Jeanne/Julie part en guerre contre ce mal dans un mélange de sueur et de camphre. Puis une deuxième rencontre avec son colocataire, la mène sur les marches du Cours Florent. Jeanne demeure puissante quand elle s’approprie les mots de la Reine dans Ruy Blas.
L’odeur de la guerre nous confronte toustes à notre rapport à la colère. Est-elle salvatrice ? Pour Julie Duval, c’est le match entre art et sport qui lui permis ce travail. Un combat loin d’être remportée dès le début : les premières versions du spectacle créé au théâtre La Flèche en 2021 étaient trop brutes selon elle. Il faut laisser le temps agir ainsi que plusieurs Avignon…
Julie Duval est démentielle par l’onde de choc qu’elle arrive à provoquer dans toute la salle et la force qu’elle nous procure. Elle nous saisit avec sa palette des personnages de sa vie, brossés avec caricature et affection. Une grande émotion se dilue tout du long et monte jusqu’à ce que la découverte de la boxe thaï et du théâtre mène à la résilience et à la réappropriation de son corps face aux violences. L’interprétation comme la mise en scène vivace et minutieuse du duo Juliette Bayi-Elodie Menant ponctuée par des parenthèses drôles même hilarantes nous fait directement penser aux Chatouilles d’Andréa Bescond. Au moment des saluts, Julie Duval récupère l’amour de la salle et le sert fort contre elle. Tiens, le même salut s’est produit il y a quelques mois au théâtre de l’Atelier… Est-ce donc le début de l’héritage Bescond ?
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Crédits photos : Thomas O’Brien
L’odeur de la guerre
Écrite et interprétée par Julie Duval
Mise en scène par Juliette Bayi et Élodie Menant
1h14
Tous les dimanches à 15h, 17h ou 21h
Jusqu’au 18 mai 2025
La Scala (Paris 10ème)
Jade SAUVANET