Blue Room : Mon ami, ce violeur – Théâtre de Belleville (Paris)
La presse nationale et étrangère est unanime : le procès des viols de Mazan aura un impact historique. Il a enfoncé le clou, présent depuis longtemps dans les milieux militants et féministes, que le viol est généralisé dans notre société, un outil ultime de la domination patriarcale. Pompier, artisan, ex-policier, électricien ou encore journaliste : ce sont les professions qu’on retrouve parmi les 51 accusés de tous âges et de tous milieux sociaux. Des proches de Dominique Pélicot, pas de violeur de coin de rue, ni pathologique. « L’affaire Pelicot nous l’a prouvé, la violence masculine n’est pas une affaire de monstres, c’est une affaire d’hommes, de M. Tout-le-Monde », écrit le militant et thérapeute Morgan N. Lucas dans une tribune publiée le 21 septembre dernier dans Libération.
Monsieur Tout-le-Monde, ce sont nos pères, nos frères… Et nos amis… (pour reprendre la citation d’Adèle Haenel). C’est là que le rideau s’ouvre au théâtre de Belleville : Lola, Olive, Greg, Sarah et Adam, 5 copain.es, entrent un à un dans la Blue Room tant chérie pendant leur adolescence, qui l’ont grandir. Le ressenti à l’entrée n’est plus le même, les liens sont atteints aussi… Chacun.e s’est vu.e convoqué au commissariat pour être auditionné. L’un d’eux, Théo est accusé d’avoir violé sa petite amie de l’époque, Pauline, lors de la soirée clôturant les années lycée et l’épreuve du bac, d’il y a 10 ans. Se pose la question : que faire de cet ami problématique ?
Dans cette salle, pas de monstres (ça n’existe pas de toute façon), seulement des personnages représentant chacun.e un archétype assez caricatural ramenés dans leurs contradictions par l’autrice, Prune Bonan : quand Greg (Alexis Ruotolo) défend son frère de cœur plus que tout au monde avec ce fameux refrain de « la menteuse salope » qui voudrait briser la vie d’un homme et d’un groupe, Lola (Aurore Streich) fait ressortir son ADN d’avocate pour faire peser les arguments et réconcilier deux visions afin de souder le peu de liens qu’il leur reste. « Mais Pauline n’a jamais fait partie du groupe » sort-elle, persuadée que tout le monde va se resserrer sur la bande mais c’est l’effet inverse… Olive (Hélène Rimenald) se révolte face au déni de ses amis. Qualifiée d’agressive, elle réclame justice pour Pauline avec une telle force, qu’on se demande si cette dernière ne lui a jamais été rendue par le passé. Les deux derniers Adam, (Ike Zacsongo-Joseph / Louis Battistelli), et Sarah (Prune Bonan) restent à l’écoute, sonné.es par les échanges, non pas par refus de la réalité mais par quelque chose qui les lie dans cette histoire. L’implication de Sarah sera plus que fondamentale à la fin (je n’en dis pas plus).
Pour arriver à cette discussion, il faut remonter les années 2000 jusqu’au jour où Lola a invité toute la bande à se réunir et à jouer dans sa blue room, une pièce conçue pour le loisir. Elle débordait de jeux de société, de fils de la console et de bâtons lumineux craqués pendant les soirées. Cette pièce a vu les premières cigarettes, les premiers « tu veux sortir avec moi ? », les premiers karaokés sur du Sheryfa Luna, les gars qui se vantent d’exploits sexuels imaginaires et les filles qui se questionnent sur leur sexualité, avec la mentalité sexiste en tête (celle du tu couches, t’es une salope / tu couches pas, t’es mal-baisée). A travers ça, on voit Théo (Thomas Saget), à la gueule d’ange, qui s’entend avec tout le monde. C’est celui qui te donne des conseils sur les relations, qui sera toujours là pour rigoler jusqu’à ce qu’un voile se lève et révèle des attitudes problématiques.
L’écriture brillante de Prune Bonan aborde les violences sexuelles à l’adolescence et nous pousse à se poser toustes cette question qui pourrait arriver : comment agir quand un membre de son entourage est accusé de violences sexuelles ? Blue Room saisit ce qu’appelait Mathieu Palain, « cette graine de violence » qui pousse et fait partie de l’éducation viriliste des mecs et la non-éducation au consentement. On réagit fort comme il arrive de rire, quand nous replongeons dans l’adolescence, et cela, grâce à la prouesse de la compagnie Etc. Mentions spéciales à Hélène Rimenald (découverte cet été à Avignon dans Valkyrie et le documentaire Rue du conservatoire) en fougueuse Olive et Prune Bonan en bouleversante Sarah ! Bravo ça sent le coup de cœur, mais ça, je crois que le message est passé pour une pièce plus que nécessaire : tout est complet jusqu’à la fin de mois, restent plus que les listes d’attentes !
Crédits photos : Anaïs Lehugeur
Blue Room
Écrite et mise en scène par Prune Bonan
Interprété par Ike Zacsongo-Joseph ou Louis Battistelli (en alternance), Aurore Streich, Thomas Sagot, Hélène Rimenaid, Alexis Ruotolo, et Prune Bonan
1h15
Lundi à 19h, mardi à 21h15 et dimanche à 17h
Jusqu’au 26 novembre 2024
Théâtre de Belleville (Paris 11ème)
Jade SAUVANET