Rencontre avec le réalisateur Julien Colonna pour son film Le Royaume
Le cinéaste français Julien Colonna évoque son premier long métrage, Le Royaume
Un film avec des Corses, tourné en Corse... par un cinéaste corse.
Le Royaume a mis des années à se concrétiser.
En conséquence, son réalisateur, Julien Colonna, sait parfaitement en parler !
Avec Jeanne, on a tout fait pour assécher au maximum l'intrigue politico-mafieuse afin de laisser émerger un film sur les conséquences tragiques des choix de vie de ces hommes sur leurs proches, sur ceux qui restent, explique au Point le réalisateur. Nous voulions dépeindre ces gangsters comme des fantômes déjà morts mais qui ne le savent pas encore. Comme des pénitents de leur propre vie, terrés comme des bêtes sauvages... On voulait aussi montrer aux jeunes qui fantasment cette vie que c'est surtout un chemin pavé de drames et de solitude.
Un certain nombre de réalisateurs corses dont vous faites partie ont tourné récemment en Corse, quel est votre sentiment la dessus?
Disons qu'il était temps car pendant longtemps la Corse dans les fictions était filmé par des non insulaires, je pense à la série Mafiosa par exemple.
Cette appropriation culturelle a causé du tort à la Corse et je ne me suis jamais reconnu dans ces productions.
C'est pour cela que des auteurs comme Thierry de Peretti, Frédéric Farrucci et moi-même avons voulu nous réapproprier le narratif corse, trop souvent galvaudé par des gens traitant d'une culture qu'ils ne connaissent absolument pas..
Votre scénario mélange thriller ultra réaliste sur les attentats corse dans les années 80 et relation filiale entre un père et une fille qui apprennent à se connaitre ..comment avez vous trouvé cet équilibre ?
Cela a été le nerf de la guerre si je peux dire dans l'écriture avec ma co scénariste Jeanne Herry ( réalisatrice de Je n'oublierai jamais vos visages)
Disons qu'on a essayé d' assécher au maximum l’intrigue politico-mafieuse afin de permettre à un film d’émerger sur les conséquences tragiques des choix de vie de ces hommes sur leurs proches, sur ceux qui restent..
Nous voulions éviter la "glamourisation" des gangsters comme on en a vu tant au cinéma, notamment les américains des films parfois très bons d'ailleurs mais qui donnent une image faussée de ce qu'est le banditisme
Nous a voulu montrer que ces gens là étaient fantômes déjà morts mais qui ne le savaient pas encore. Ils sont terrés dans cette grande maison comme des pénitents de leur propre vie, retranchés comme des bêtes fauves…Il n'y a pas de belles voitures, de yachts, de belles filles
Il fallait montrer aux jeunes qui fantasment sur cette vie qu’elle est avant tout un chemin pavé de drames et de solitude où la mort rode tout autour, tout le temps ..
Ce qui nous intéressait le plus , c'était la relation entre un père et sa fille. Le reste, les guerres de clans, les guerres de territoire, on l'a volontairement mis au second plan. Que ce soit en Corse ou ailleurs, dans les films ou dans la réalité, ces histoires-là se ressemblent toutes.
Comment s’est passée l’écriture avec Jeanne Herry qu'on imagine pas forcément au départ en phase avec votre univers ?
(malicieux) ah oui? et pourtant j'aime beaucoup ses films vous savez....
Dès les prémices du projet, je souhaitais écrire avec une femme.
Quand on s’est rencontrés avec Jeanne, tout a été évident. Nos sensibilités, nos approches, nos méthodes…
Ces mois passés ensemble n’ont été que travail et douceur. Jeanne est l’une des plus belles rencontres de ma vie d’homme et de cinéaste. Alors certes, on a des obsessions différentes parce qu’on a des histoires différentes, mais je me retrouve beaucoup dans tous ces films comme elle se retrouve dans Le Royaume je pense....
Plus concrètement, Jeanne m'a aidé à accoucher de cette histoire, j'avais écrit environ 300 pages de notes pendant le covid et on est partis de cet écrit là pour alimenter nos discussion et réflexions pendant presque deux ans, ce qui a permis d'aboutir à différentes version du scénario avant le scénario final.
Ce film se déroule en Corse, il est écrit par un Corse, avec des personnages corses, donc il était évident pour moi que je devais travailler avec des insulaires. Pour les deux rôles principaux, celui de Leisa qui devait avoir plus de 16 ans pour de questions de production mais qui devait faire un peu plus jeune, et pour celui de son père au milieu de la cinquantaine, il n’y avait pas beaucoup d’actrices et d’acteurs de ces âges là en Corse et cela ne correspondait pas à ce que je cherchais. Donc, nous avons fait huit mois de casting sauvage
Vous ne cachez pas le fait que cette histoire est assez proche de ce que vous avez connu avec votre père quand vous étiez enfant. Est ce que choisir un personnage féminin était un moyen de prendre de la distance sur cette histoire si personnelle?
Oui, disons que c'est aussi un choix dramaturgique.
Cette jeune fille, une enfant sentinelle, avec sa blessure rentrée, courageuse, déterminée, et douce en même temps, plongée dans ce milieu opaque, très masculin, ça faisait sens. L'idée, c'était de dépeindre cette relation filiale qui tente d'exister, qui tente de survivre, dans un contexte ou tout meurt.
Après qu'elle soit une jeune fille ou un jeune homme, fondamentalement ca ne change pas grand chose dans ce qu'elle ressent pour son père c'est une histoire d'émancipation qu'un jeune homme aurait pu vivre aussi, avec quelques nuances évidemment mais pas tant que cela..
Quel rythme avez-vous voulu donner au film ?
Il fallait que la mise en scène soit à l’image d’une cavale, c’est-à-dire imprévisible, inconfortable.
On se pose dans un lieu quelques jours, mais ensuite on en enchaîne trois ou quatre dans les 48h suivantes.
Il fallait déséquilibrer le spectateur, qu’il ne sache pas ce que ce qui peut se passer à la séquence suivante.
Je voulais aussi jouer sur les contrastes sensoriels d’une cavale : la chaleur et la sueur, la fraicheur de l’eau, des moments de rires et de joie balayés par une nouvelle qui terrasse. Il y avait une volonté d’être toujours en arythmie et le plus surprenant possible.
Tout le film ne repose pas uniquement du point de vue de Lesia, il y a quelques scènes ou elle n'apparait pas, quelles en ont leur signification?
Ces séquences là sont arrivées tardivement dans l'écriture du scénario à un moment où je bloquais totalement.
C'était pertinent que le film soit à hauteur de Lesia mais sur quelques séquences, on voit aussi en quoi cette histoire là peut avoir une résonnance sur les familles de ces autres membres.
Ces scènes là précédent souvent la mort d'un des personnages, en quelque sorte, c'était pour annoncer leur mort à venir...
cette appropriation culturelle a causé du tort à la Corse et je ne me suis jamais reconnu dans ces productions. C'est pour cela que des auteurs comme Thierry de Peretti, Frédéric Farrucci et moi-même avons voulu nous réapproprier le narratif corse, trop souvent galvaudé par des gens traitant d'une culture qu'ils ne connaissent absolument pas "