Rencontres cinéma- David Oelhoffen et Sorj Chalandon pour Le Quatrième Mur’
À l’occasion de la sortie de l’adaptation cinématographique du roman de Sorj Chalandon Le Quatrième Mur, mercredi dernier, nous avons posé quelques questions au réalisateur David Oelhoffen et au romancier Sorj Chalandon rencontrés il y a quelques semaines dans le cadre du festival De l'écrit à l'écran de Montélimar.
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Adapté du roman éponyme de Sorj Chalandon, prix Goncourt des lycéeens en 2013, « Le Quatrième mur » raconte l'histoire d'un metteur en scène de théâtre, joué par Laurent Lafitte, qui se retrouve à faire jouer « Antigone », d'Anouilh au milieu de la guerre civile. « Il cherche avec cette pièce à réunir sur scène toutes les communautés qui se font la guerre pour montrer que la guerre n'est pas la seule logique », reconnait David Oelhoffen.
Un pitch qui résonne forcément avec l'actualité internationale et les événements survenus depuis le 7 octobre 2023 et le début de la guerre Israël-Hamas. « C'est très troublant », avoue le réalisateur qui met notamment en scène dans son film des images de bombardements très similaires à ce que l'on voit sur les chaînes d'infos depuis le 7 octobre.
Le Quatrième Mur n’est pas sa première adaptation littéraire. Quand on lui demande ce qui l' attire dans le travail d’adaptation par rapport à la création de scénarios originaux le cinéaste offre la réponse suivante : "Pour moi, l’adaptation est un processus aussi créatif que l’écriture d’un scénario original. Dans le cas du Quatrième Mur, le livre de Chalandon est très dense, presque deux histoires en une. J’ai choisi de me concentrer sur l’entreprise théâtrale à Beyrouth, car elle pose une question fascinante sur le pouvoir de transformation de l’art sur le réel. "
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Tourné au Liban, le film lorgne du côté du documentaire par le réalisme de ses scènes de guerre et l’authenticité de son décor, sans échapper à la dramaturgie pour autant. Fidèle au récit d’origine, le scénario de David Oelhoffen repose sur l’imaginaire façonné par Chalandon, qui a d’ailleurs troqué sa casquette de reporter contre celle de romancier dans ce sens, pour inventer d’autres possibles. : "Dans le camp de Chatila, j’ai vu cette femme rousse, morte, violée, couverte de sang… Je voulais qu’elle puisse se relever, qu’elle vive et qu’elle ait un nom. Le journaliste ne peut pas le faire. Le romancier, lui, le peut. Elle s’appellera donc Imane, et vivra une histoire d’amour avec Georges. "
David Oelhoffen: avoue d'ailleurs que le parallèle étonnant entre l'actualité du moment et la guerre d'il y a 40 ans offrait une mise en abyme trés déroutante: " on a l’impression d’une guerre perpétuelle, d’une situation qui semble sans fin. Le tournage à Beyrouth a été très frappant pour cette raison : on tournait un film censé se dérouler en 1982, mais on voyait des stigmates bien réels de la guerre encore présents. Cela donne une atmosphère très mélancolique, comme un perpétuel recommencement. C’était d’ailleurs l’un des défis de ce tournage : nous avons dû ajuster des éléments comme les voitures ou les vêtements pour reconstituer l’époque, mais les bâtiments eux-mêmes portaient déjà les cicatrices d’un pays en guerre."
Georges, alter-ego de Sorj, se montrerait il plus idéaliste que son créateur, de même que le héros du film est moins politisé que celui du livre, militant d’extrême gauche et activiste propalestinien. Peut-on y voir le signe d’une autocensure à l’heure où la question palestinienne divise même chez une partie de la gauche ? Le romancier s’en défend :" Il ne s’agit pas d’une histoire sur le massacre des Palestiniens, mais d’un récit sur le massacre d’une population civile par une milice. Mais avec le 7 octobre, il y aura peut-être des gens qui vont regarder ce film en pensant aux Palestiniens qui souffrent ", concède-t-il.
Et sur le pouvoir de l'art sur la politique, qu'est que le romancier en pense ? "On peut voler deux heures à la guerre, mais l'art ne peut pas arrêter un conflit. Une balle de 9 mm va plus vite qu'un alexandrin. Toutefois, on tente, on essaie et il faut réessayer encore, encore et encore. Une chose m'a particulièrement bouleversé dans le film, c'est que David Oelhoffen a réussi là où finalement Georges ne pouvait qu'échouer : faire jouer ensemble des acteurs des différentes communautés ! Mieux, Simon Abkarian n'est pas druze, tout comme Manal Issa (Imane à l'écran) n'est pas palestinienne, mais chiite. Or les chiites libanais détestent les Palestiniens, qu'ils rendent responsables de tous leurs maux. Donc, ces comédiens n'ont pas forcément la religion ou les mêmes origines que leur personnage, mais ils incarnent la douleur de l'autre. "
Quand au réalisateur, le plaisir de tournage résidait dans l'ambiance de troupe qui s'est crée entre tous les acteurs, venus pourtant d'horizons tres divers : "Comme il y a peu de films qui se tournent au Liban, j’ai eu la chance de travailler avec d’excellents acteurs, même pour des rôles secondaires. On a vraiment formé une troupe, comme dans le film. Il y avait parfois des malentendus culturels, mais ils ont enrichi le film et ont permis de renforcer cette cohésion de groupe."
Le Quatrième mur réalisé par David Oelhoffen, adapté du roman de Sorj Chalandon.
Le film est à voir au cinéma depuis le 15 janvier 2025
Avec Laurent Lafitte et Simon Abkarian.