La disparition de Josef Mengele : L’effroyable Mikaël Chirinian pour ne pas oublier la menace – Théâtre de la Pépinière (Paris)
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Sur le mur d’objets et de portraits de la Kommandantur nazie, il n’est pas présent. Il était celui ce que les livres d’histoire ont appelé « L’ange de la mort ». Son nom est Josef Mengele. Il n’a point soigné, il a tué près de 400 000 personnes. L’Allemand, né en 1911 et adhérent au parti nazi en 1937, aurait dû se trouver sur le banc des jugés en 1946 lors du « procès des médecins ». Il n’a jamais été jugé pour ses crimes. Dès 1943, il devient le médecin-chef du camp d’Auschwitz où il réalise une série de cruelles expériences médicales sur des déportés. Pour combler une ambition pseudo-scientifique, l’homme n’hésite pas à tuer, disséquer, amputer et infecter volontairement ses cobayes avec diverses maladies. Mengele n’est pas inquiété à la fin de la guerre, il fuit l’Allemagne occupée en 1949 pour rejoindre l’Argentine.
C’est le journaliste et écrivain Olivier Guez qui s’est penché sur la suite, la cavale et la protection institutionnalisée de la dictature péroniste, de sa famille en Allemagne et comment il est passé du « pacha » capitaine de la SS au « rat » vieillard apeuré. Travail abrupt de trois ans pour le romancier qu’il racontait au Monde en 2017 : « C’est vite devenu très dur, se souvient-il. Je ne souhaite à personne d’avoir à se lever, chaque matin, en pensant à Mengele. Je vivais avec lui, avec ce personnage abject, d’une médiocrité abyssale. Je montais sur le ring. Je l’affrontais. Les six premiers mois, il m’arrivait de crier son nom la nuit ». C’est une œuvre qui lui a collé à la peau, les images de l’horreur restèrent longtemps dans son esprit.
Après avoir investi la scène du Théâtre du Chêne Noir au festival OFF d’Avignon, l’été dernier, Mikaël Chirinian fait sienne celle du Théâtre de la Pépinière. Comment l’idée de faire une adaptation est-elle venue à l’esprit du comédien ? C’était comme une nécessité, un devoir de « traduire et côtoyer la solitude, l’isolement, la schizophrénie de Josef Mengele et de toute une époque qui a permis sa fuite » (La Terrasse). Le comédien statique, droit, assis bien au fond de sa chaise, éclairé par la lumière blâfarde, se glisse dans les traits de cet infâme personnage en cavale protégé par ses amis, baignant au sein d’un cercle intouchable de criminels qui se pavanent dans les rues de Buenos Aires. Seule l’arrestation de l’un des leurs peut faire vriller cet intangible individu. Le défi pour Chirinian n’est pas moindre au-delà du propos : la mise en scène de Benoît Giros étant foncièrement minimaliste, ce seul-en-scène se place entièrement sur le jeu.
Le mot de Jade
Mikaël Chirinian, implacable et saisissant, porte avec un rythme déroutant la noirceur, la haine. Les mains tremblent d’effroi quand elles ne sont pas fixées à nos bouches dégoûtées par la description de l’horreur… Sans manquer de nous alerter sur le risque de l’oubli et le danger d’une histoire qui se répète. Oui le bruit des bottes est de plus en plus fort désormais en dépit des alertes. Que c’est impressionnant mais comme on n’imagine pas la difficulté pour Chirinian de se défaire chaque soir de ce personnage…
Le mot d’Hermine
J’étais curieuse de voir adapté pour la scène ce roman-récit d’Olivier Guez que j’avais dévoré à sa sortie, en 2017. Et quel puissant et terrible moment de théâtre ! La très sobre mise en scène n’offre pas le loisir de porter notre regard ailleurs que sur ce comédien, tantôt assis, tantôt debout, toujours habité par son texte. Ni de perdre un mot de ce récit à peine croyable, aussi révoltant qu’édifiant, de cet évanouissement rocambolesque dans la nature argentine. La partition de Mikaël Chirinian est inouïe. Le comédien récite parfois son texte à toute vitesse, comme s’il voulait expulser ces mots qui racontent l’horreur, qui disent les expériences atroces menées sur les déportés et notamment sur les femmes enceintes et leurs bébés. À l’effroi succède l’émotion quand le personnage du fils, Rolf, devenu avocat, vient jusqu’à Buenos Aires demander des comptes à ce père qui persiste à servir la même litanie : il n’a fait que son devoir. La disparition de Josef Mengele est de ces pièces dont on dit qu’elles sont nécessaires par les glaçants temps qui courent, où les saluts nazis deviennent légion. Elle est à voir, pour ne jamais, jamais oublier.
Crédits photos : Jean-Philippe Larribe
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La Disparition de Josef Mengele
D'après le livre éponyme d'Olivier Guez, Prix Renaudot 2017
Adapté et interprété par Mikaël Chirinian
Mis en scène par Benoit Giros
1h15
Les vendredis et samedis à 19h et les dimanche à 15h
Jusqu’au 27 avril 2025
Théâtre de la Pépinière (Paris 2ème)
Ilfautquetuaillesvoircettepièce x Jade SAUVANET