Hiver à Sokcho: un premier roman subtil et évocateur..
" Le bruit de la plume s'est fait continu, lent comme une berceuse. Avant de m'endormir, j'ai essayé de retenir les images qu'il avait fait naitre en moi, de ne pas les oublier car je savais qu'elles auraient disparu quand je pénetrais dans la chambre le lendemain".
Dans la lignée de L'éveil de Line Papin, sur lequel j'ai longuement disserté la semaine passée est sorti lors de cette rentrée littéraire de septembre 2016 un autre roman qui cultive quelques points communs avec L'éeil.
Comme Line Papin, l'auteur Elisa Shua Dusapin est très jeune - 24 ans-, son premier roman a été courronné d'un prix prestigieux (le Prix Robert Walser), son intrigue se déroule en Asie où elle a également passé une partie de sa jeunesse, et il est aussi question d'un triangle amoureux.
Le décor de ce roman est très singulier, cette ville de Sokcho située pile poil entre les deux corées, est une sorte de no man's land maritime qui apporte énormément de mystère et de puissance à ce court récit sentimental.
Un récit qui voit se rapprocher une jeune coréenne tenancière d'une pension de famille et un auteur de BD français en cruel manque d'inspiration.
Choc des deux cultures, apprentissage réciproque et mutuel, ce récit d'une beauté et d'une sensibilité singulière parait à la fois doux et exalté, pour une trame simple en apparence mais qui revèle des trésors de délicatesse et de justesse.
"Quand j'ai raccroché, Kerand était à table, son carnet devant lui. il a penché la tête, replacé ses cheveux en arrière, posé la mine du crayon sur le papier. Trait après trait, j'ai vu apparaître un toit. Un arbre. Un muet. Des mouettes. Une bâtisse. Elle ne ressemblait pas aux maison de Sokcho, elle était en brique. il a mis de l'herbe alentour. pas d'herbe ici, brûlée par le gel en hiver, par le soleil en été, mais de l'herbe grasse. Puis une jambe. des jambes épaisses de vaches, et puis les vaches toutes entières. Au loin, un port et des landes, des vallons venteux. "
Comme pour l'Eveil ( décidement), les médias ont fait le rapprochement avec Margerite Duras mais ici la comparaison semble plus adéquate, par cette même façon qu'avait l'auteur de l'Amant de sonder l'intimité et les différences culturelles, tout en éllipses et en non dits.
Mais on pense aussi un peu aux romans d'Olivier Adam, par la puissance évocatrice d'une cote asiatique perclus de mystère et de beauté.
La jeune romancière Elisa Shua Dusapin voyage régulièrement , et encore maintenant , en Asie de l'Est , et on voit bien à travers la description des paysages qu'elle connait formidablement cette région et ce continent.
Sans verser dans le sentimentalisme et la guimauve, cet "Hiver à Sokcho", ennivrant et fin, est une des belles surprises parmi les primo romans de la rentrée littéraire.