Nouveautés poches 1er trimestre 2019 : Jeu Blanc/ Grand Frère/ Les buveurs de lumière/ Libertango/ Summer
En ce mardi conseil de mars, quoi de neuf dans les poches pour ce premier trimestre 2019 ? Du très haut niveau avec cinq excellentes lectures qu'on a déjà défendu lors de leurs sorties en grand format et qu'on remet en avant dès à présent :
1/ Jeu Blanc; Richard Wagamese ( 10/18)
"Mais il y avait une plus grande part que je n'arrivais jamais à comprendre. C'était cette part en moi qui recherchait la séparation. C'était la part en moi où bouillonnait à petit feu une rage dont je ne m'étais jamais débarrassé, et une part de moi qui savait que si jamais le couvercle sautait, alors je serais seul pour de bon. Définitivement. Pour toujours."
Centré autour de la culture amérindienne, Jeu blanc" est le deuxième roman de l'écrivain canadien Richard Wagamese, un auteur hélas disparu en mars 2017, à être traduit en français.
Après son premier roman les étoiles s'éteignent à l'aube , "Jeu blanc "continue dans la même veine poétique et philosophique avec une intrigue qui rend un vibrant hommage à ses origines, le peuple ojibwé, et montre que les amérindiens ont souvent du mal à trouver leur place face à l'hégémonie des blancs, face au racisme...
Le personnage central Saul Indian Horse, indien Ojibwé, va être contraint par des blancs a renier ses origines. et seul le hockey sur glace lui permettra de sortir de sa condition.
Comme dans son roman précédent, Wagamese aborde avec énormement de sensibilité et de justesse les thèmes de la perte et de la rédemption. ce sentiment de perte qu'ont pu ressentir les natifs persécutés par l'homme blanc.
Avec simplicité et humanité le récit met en exergue les nombreuses difficultés, embûches qui empêchent le jeune Saul Indian Horse de se réaliser.
Un personnage courageux et sensible qui doit renier sa culture et ses racines pour essayer de s'en sortir, de s'intégrer sans jamais le pouvoir réellement, à cause du poids des préjugés et du regard des autres.
Une bien belle oeuvre à découvrir d'un auteur dont on ne peut que regretter la disparition mais dont on espère que l'éditeur exhumera de ses pépites inconnues en France!
2/ Les buveurs de Lumière; Jenni Fagan ( Points)
"Ils sortent et elle se blotit contre lui tandis qu'il lui allume une cigarette, elle le regarde avec ses cheveux blanc et ses yeux gris bordés d'orange qui désormais lui rappelerait la parphélie. Elle lui tend la main et ils restent là sans qu'aucun d'eux n'éprouvent la moindre envie de parler."
Après un premier roman coup de poing La sauvage, radical et singulier, paru en France début 2014, on n'avait plus guère de nouvelles de Jenni Fagan, une plume venue d'Ecosse particulièrement prometteuse.
Ouf, la revoilà pour cette rentrée littéraire de 2017 et le moins qu'on lui puisse dire est qu'elle ne fait que confirmer ce premier essai.
Avec cette dystopie- on est en 2020 dans une êre de refroidissement total ,ce qui peut sembler plutot incongru lorsqu'on pense au réchauffement climatique dont on parle constamment un peu partout- Jenni Fagan mélange littérature blanche et le roman an du genre post apocalyptique dans la veine du roman culte " La Route" de McCarthy ou du récent Station Eleven sorti l'an passé
Si le genre du roman post apocalyptique ne me séduit pas outre mesure a priori, et que le coté hybride de ce projet- mi drame social, mi littérature SF- peut inquiéter, j'ai été vite rassuré par le fait que ce intéresse Jenni Fagan, c'est bien plus l'intime et les relations humaines que le contexte de la fin du monde.
Certes, l'auteur nous montre bien comment les personnages brisés par la vie doivent apprendre à survivre dans cet environnement complètement hostile, faire provision de lumière et de soleil malgré cet âge de glace particulièrement handicapant, mais c'estvraiment le contexte social et le le lien de solidarité et d'entraide des personnage du roman qui irrigue l'ensemble de ces buveurs de lumière.
Si la romancière ecossaisse réussit largement sa description d'une nature aussi sublime que dangereuse, l'essentiel du roman est ailleurs, dans sa peinture des liens humains et sociaux.
Jenni Fagan explore mine de rien la condition des laissés pour compte de la société, qui ont ni plus ni moins de mal à survivre en société en période d'apocalypse qu'en état de non catastrophe naturelle.
Dylan (un cinéphile particulièrement pointu, personnage qui ne peut que me séduire), Constance, l'adolescente transgenre et Stella une bricoleuse touche à tout sont des gens a priori ordinaires, mais dont les difficultés de la situation ne font que mettre en lumière le courage et l'amour qu'ils ont enfoui en eux, et c'est cela qui est très beau dans le livre de Jenni Fagan.
L'intrigue se déroule dans la petite petite communauté de Clachan Fells, au nord de l’Écosse, dans un parc de caravanes près des montagnes dans lequel gravitent quelques marginaux qui vont tenter de s'entraider pour partager cette lumière qui leur fait tant défaut.
Cette histoire de résilience d'amitié et d'amour, Jenni Fagan la distille avec une tendresse absolue qui donnerait presque envie de vouloir également l'apocalypse.
De beaux personnages, un décor singulier, un style à la fois sans fioriture et poétiques :Il faut dire ces buveurs de Lumière, un roman empli d'une aura singulière qui ne pourra qu'émerveiller un lecteur avide de littérature poétique et envoutante...
"Dans la vraie vie, jusqu’à la guerre en Syrie, on était plus banlieusard qu’autre chose. Mais depuis tout le monde se dit musulman."
Récompensé notamment du Prix Goncourt du Premier roman et du Prix Régine Deforges 2018 Grand frère, premier roman de l'écrivain Mahir Guven publié en octobre 2017 par les éditions Philippe Rey.
De mère turque et de père kurde, réfugiés en France, Mahir Guven est né sans nationalité en 1986 à Nantes. Il a grandi entre la ville et les vignes auprès de sa grand-mère. Il est directeur-délégué de l’hebdomadaire Le 1. « un journal pour ralentir et réfléchir"!
Il frappe fort avec ce Grand frère, l’histoire de deux frères franco-syrien, tous les deux coincés entre deux cultures et à la recherche de leur identité. Grand frère est au volant d’une voiture pour une société équivalente d’Uber (alors que son père est taxi !) 11h par jour. Petit frère est infirmier dans un hôpital.
Sans grande perspective d’évolution et en quête d’un sentiment d’utililité, il part soigner des gens à l’étranger en Syrie avec une organisation qui s’avère être proche d’un réseau terroriste.
Une des grandes force de ce roman est sa construction. L’auteur alterne la voix du Grand frère et celle du Petit frère mais aussi réflexions présentes et souvenirs.
À travers leurs témoignages croisés, Mahir Guven nous plonge dans des mondes parallèles, un peu marginaux, chacun à sa manière.
Le style de l’auteur est réellement percutant. :pas de clichés, pas de fausses notes (l’auteur parle de son vécu, et il possède un véritable sens de la formule qui fait mouche.
A travers le personnage,de Petit frère, on touche du doigt des motivations possibles, mais aussi le fossé entre ce « rêve » et la réalité d’un pays en guerre.
Enfin l’auteur instille le suspense dans la seconde moitié de son roman quant au devenir du frère et nous piège en semant certains indices.Un grand plaisir de lecture qu'on doit à cet étonnant Mahir Guven.
4. Summer, Monica Sabolo ( Le Livre de poche)
Peut-être est-ce la seule chose qui reste à faire quand on n’a plus si souvenirs ni émotions, retrouver des vestiges, creuser avec ses doigts dans la terre, reconstituer des squelettes, épousseter les fossiles, mais même là, il est probable qu’on ne parvienne jamais à saisir la vie qui les animait, pas même à l’effleurer… »
Je critique assez la littérature française en pestant contre le fait qu’elle a rarement la puissance évocatrice et le lyrisme de son homologue anglo saxonne, que je ne peux que m’emballer lorsque certains romanciers ou romancières marchent sur les traces des plus grands écrivains nord-américains.
Ainsi dans "Summer", son troisième roman à ce jour et le premier que je lis d’elle, Monica Sabolo, couronnée du prix de flore en 2013 avec son premier roman «Tout cela n'a rien à voir avec moi », nous livre un roman formidable peuplé de fantômes et de mystère, qui m’a énormément fait penser à l’univers d’une Laura Kasischke et notamment d’un de ses romans les plus marquants un oiseau blanc dans le blizzard, que Greg Araki a récemment adapté au cinéma.
Une jeune fille de 19 ans disparait un jour lors d’un pique-nique au bord du lac Léman laissant dans une grande détresse ses parents et surtout son jeune frère Benjamin, le narrateur du livre qui ne se remettra jamais vraiment de cette disparition, et qui va tenter d’en résoudre les mystères 25 ans après.
Comme Laura Kasischke , Sabolo prend le pretexte d'une disparition d'un membre d'une famille en apparence ordinaire, pour mettre en mots la montée en puissance de l’étrange et d'une tension d'abord imperceptible puis insubmersible, avant un dénouement qui nous donnera quelques clés d’un secret qui conservera quelques mystères, sans doute perdus quelque part dans les limbes du Lac Léman.
Un Lac Léman qui joue un rôle particulièrement important tant il sert de toile de fond à une intrigue aussi onirique que métaphysique.
Hanté par ses rêves, et presque englouti par l’ambiance de ce lac aux eaux saumâtres aussi insondable que scintillant Benjamin est perçu comme une sorte de fantôme à peine plus présent que sa sœur disparue, un être rongé par les névroses et les secrets familiaux.
Monica Sabolo nous plonge dans les arcanes psychologiques particulièrement brumeux d’un homme à la recherche d’un passé qui pourrait enfin le faire renaitre à la vie, et si le dénouement ne révèlera pas de twists renversants comme dans un page turner américain ,cette quête intime est particulièrement bouleversante, magnifiée par la plume poétique et envoûtante de Monica Sabolo..
5. Libertango; Frédérique Deghelt ( Babel)
:
" Et la musique dans tout ça? Ma foi, passé le court moment où j'avais eu l'impression d'avoir sauté dans mon poste de radio, j'avais découvert une bande de musiciens qui riaient tout en jouant, j'étais entré dans un monde où tout était joyeux, insouciant, dans le pur swing de la vie."
Luis, hémiplégique de naissance et dont les parents sont particulièrement mal aimants, a pour habitude de se réfugier dans la musique. Il croise dans sa jeunesse Astor Piazzolla et Lalo Schifrin, deux rencontres qui changeront sa vie, car il finira par devenir chef d'orchestre.
Ce jeune homme d'origine espagnole va tout faire devenir musicien : le récit de sa vie magnifié par le style de Frédérique Debeghlt ( auteur notamment du roman la vie d'une autre) est une illustration du fait que la musique est le remède à tous les maux à travers cette belle histoire de résilience.
Luis Nilta-Bergo a 20 ans lorsqu'il croise Astor Piazzolla, magnifique bandonéoniste et compositeur argentin, une rencontre qui changera sa vie.
Libertango est d'ailleurs le nom d'un des morceaux les plus connus du musicien, que même les néophytes connaitront ne serait ce que parce que Guy Marchand en a fait une réprise Tango Tango .
Avec ce récit ( fictionnel) d'un chef d'orchestre handicapé, Frédérique Debeghlt raconte un parcours de vie exceptionnel et rend ainsi un véritable et très bel hommage à la Musique universelle et intemporelle- les coulisses et rivalités du milieu philarmonique ne nous seront pas épargnés- ainsi qu'un éloge de la différence.
Relier musique et handicap dans un seul et même élan, c'est le pari osé et largement réussi par l'auteur de ce roman qui se lit évidemment en écoutant du Piazolla pour donner la mesure.
La musique que prone le héros de ce roman est aussi populaire que fédératrice en voulant s'adresser à tout le monde, mélomanes et non initiés... Et c'est toute la force de ce beau roman de Debeghtl d'épouser le même propos et de s'adresser à tout le monde, fans de musiques ou néophytes complets qui aiment simplement la belle et ennivrante littérature..