Les Gratitudes : le nouveau bouleversant récit de Delphine De Vigan
« Quand je les rencontre pour la première fois, c’est toujours la même image que je cherche, celle de l’Avant. Derrière leur regard flou, leurs gestes incertains, leur silhouette courbée ou pliée en deux, comme on tenterait de deviner sous un dessin au vilain feutre une esquisse originelle, je cherche le jeune homme ou la jeune femme qu’ils ont été.
Je les observe et je me dis : elle aussi, lui aussi a aimé, crié, joui, plongé, couru à perdre haleine, monté des escaliers quatre à quatre, dansé toute la nuit. Elle aussi, lui aussi a pris des trains, des métros, marché dans la campagne, la montagne, bu du vin, fait la grasse matinée, discuté à bâtons rompus. Cela m’émeut, de penser à ça. Je ne peux pas m’empêcher de traquer cette image, de tenter de la ressusciter. »
Michka , n’est plus très sûre d’elle, seule dans son appartement, elle se rend bien compte qu’elle perd la boulle. Marie, la jeune femme qui lui rend souvent visite tente de la rassurer, elle perd seulement des mots, pas la tête. Michka sait bien qu’elle ne peut plus vivre seule.
Dans sa nouvelle demeure, un EHPAD bien tenu et bien fréquenté, la vieille dame fait la connaissance de Jérôme, un jeune orthophoniste qui lui fait travailler sa mémoire défaillante. Michka n’a plus qu’un désir avant de mourir, retrouver la trace de la famille qui l’avait recueillie et cachée pendant la guerre.
A un tournant important de sa vie, Marie passe souvent voir Michka, car la jeune femme sait ce qu’elle lui doit. Jérôme, lui, devrait se réconcilier avec son père avant qu’il ne soit trop tard. Michka, Marie, Jérôme, entre ces trois-là, un lien ténu se tisse, chacun donnant à l’autre la force d’affronter la solitude de l’existence.
"Mais ce qui continue de m’étonner, ce qui me sidère même, ce qui encore aujourd’hui, après plus de dix ans de pratique, me coupe parfois littéralement le souffle, c’est la pérennité des douleurs d’enfance. "
« Les Gratitudes » est un roman d’une douceur apaisante, une écriture légère qui affronte le naufrage de la vieillesse, l’inquiétude de donner la vie et la difficulté d’être un fils. Difficile d’écrire sur un livre aussi plein. Difficile de raconter l’émotion qui submerge le lecteur dans les dernières pages.
Peu de mots, peu de lignes et tout est dit. Delphine De Vigan a vraiment une écriture tendre et intelligente. Un récit bouleversant.
Les gratitudes, éd. J-C Lattès, 173 p., 17 €.