Cinéma/ ADAM : les tabous de la société marocaine filmé avec humanité et douceur
La marocaine Maryam Touzani avait explosé aux yeux du grand public en tant que comédienne dans le film-phénomène Razzia, co-écrit avec son mari, le réalisateur Nabil Ayouch.
En tant que (très belle) femme plantureuse, au front haut, robe étroite et cigarette aux lèvres, qui assistée résignée aux contradictions d'une société marocaine liberticide, elle explosait à l'écran et révelait ainsi un goût certain pour la transgression.
Ce qu'on ignorait à l'époque, c'est que Maryam Touzani avait déjà une carrière de réalisatrice avant cette incursion derrière la caméra de son époux.
Elle avait réalisé des courts métrages et documentaires sur la prostitution au Maroc ou l’exploitation des enfants; des sujets également tabous, mais filmés dans une veine moins démonstrative et dénonciatrice que ceux de son mari, et visant surtout l'intime et l'humain avant tout.
Avec son premier long métrage, Adam, qui sort sur nos écrans cette semaine après avoir beaucoup marqué les festivaliers du dernier Cannes où le film était présenté à un certain regard, elle reste fidèle à son parcours et s'iinscrit plutôt dans la continuité de ses travaux de réalisatrice en s'affranchissant des oeuvres de son mari, ici producteur de son "Adam."
Pour son premier long métrage « Adam », Maryam Touzani filme avec beaucoup d’amour et de douceur l'histoire de Samia, dans un Maroc où avoir un enfant hors mariage est illégal, qui va trouver la porte ouverte d’Abla et vont naitre entre ces deux femmes une relation particulière, où la méfiance des débuts va laisser la place à la solidarité et au courage.
Evidemment, l'oeuvre de la cinéaste marocaine raconte la difficile conditions des mères célibataires au Maroc mais elle le fait de façon très subtile et pudique, jamais asséner un discours moralisateur ou accusateur.
Une oeuvre très personnelle autour d'un personnage qu'elle a rencontré dans sa jeunesse et qu'elle a fait murir pendant près de 20 ans.
La réalisatrice qu'on a rencontré sur Lyon il y a deux semaines nous a confié avoir éprouvé ce besoin d'écrire sur ce personnage une fois qu'elle tomba elle- même enceinte, appréhendant ainsi mieux dans sa chair ce que cette jeune fille, traitée comme une paria du fait de sa condition de femme enceinte hors mariage, avait pu ressentir à cette époque.
Privilégiant les gros plans, la caméra de Maryam Touzani ne lâche jamais ses héroïnes dans leurs moindre frémissement et les inscrit dans une sorte de huis clos sensuel et sensoriel, dans lequel la médina, dont l'ambiance et les senteurs sont particulièrement bien restranscrites par la réalisatrice - sert de décor idéal à cet embrasement insidieux.
Ode à la solidarité féminine mais aussi aux patisseries -les fameux Rziza, qui font tant envie et qu'on ne retrouve quasiment plus au Maroc faute de temps pour les préparer comme baume apaisant sur les cicatrices de l'âme ( on pense parfois aux Délices de Tokyo de Naomi Kawaze), Adam est également un sublime écrin pour son trio de comédiennes.
Les trois actrices sont assez formidables, que ce soit l'experimentée et toujours fomidable Lubna Azabal, la révélation Nisrin Erradi, et sa candeur brute ainsi que la toute jeune Douae Belkahouda, la petite fille du film qui comprend très vite les enjeux qui se déroulent autour d'elle.
Contrairement à une bonne partie des récents films nord africain qui fustige le patriarcat (Noura Rêve, Papicha, la jeune fille et la meute, ou encore Sofia , film le plus proche d'Adam dans sa thématique), Maryam Touzani - et sans doute son producteur Nabil Ayouch- livre un film féministe certes mais qui n'incrimine jamais totalement les hommes( beau personnage secondaire de Slimani), et prend bien garde à ne pas verser dans le manichéisme primaire.
Une oeuvre solaire, pudique et émouvante qui fait assurément partie des très bons films de ce début d'année 2020!