Brooklyn Secret d'Isabel Sandoval : Amours clandestines
Brooklyn, quartier de New-York, infuse dans le cinéma américain indépendant avec une originalité toujours renouvelée, qu'il soit le théâtre de drames familiaux, ambiance mafieuse chez James Gray, de petites comédies dramatiques branchées ou d'études de mœurs sur la gentrification à l’œuvre dans le quartier (Brooklyn Village d'Ira Sachs, dernièrement) et de bien d'autres histoires.
Il s'en déroule à chaque coin de rue, sur le plus petit bout de trottoir de ce quartier parmi les plus cosmopolites du monde. Il suffit de tendre l'oreille et d'ouvrir les yeux.
C'est ce que fait Isabel Sandoval avec Brooklyn Secret, en nous donnant d'abord un aperçu des changements à l’œuvre dans le melting pot de Brooklyn, d'un extrême temporel à l'autre. La réalisatrice interprète Olivia, une jeune immigrée philippine sans papiers et transgenre, au service d'Olga, une femme âgée, d'origine russe.
Ce pont générationnel, jeté entre les communautés arrivées à différents moments de l'Histoire des États-Unis, permet d'apprécier le chemin parcouru par la communauté russe, parfaitement intégrée, et celui encore semé d'embûches au début duquel se trouve les Philippins, nouveaux venus dans la course au rêve américain.
Sur fond de discours xénophobes, éructés à la radio ou à la télévision par Donald Trump, Isabel Sandoval retranscrit frontalement l'état d'insécurité mental dans lequel se trouvent jeté les immigrés sans papiers, paralysés par l'angoisse.
Dans une course contre-la-montre étouffante, Olivia paie des hommes pour entretenir une vie de couple fictive avant un mariage blanc synonyme de libération et redoute chaque jour d'être repérée par l'administration.
À la pression d'une vie de peur s'ajoute celle de son entourage, dont le besoin d'argent se matérialise par des appels incessants auxquels Isabel ne peut couper.
Sa rencontre avec Alex, le petit-fils paumé d'Olga, est un appel d'air dans une existence en suspens. L'évidence de leurs sentiments, rapidement avoués, contrebalance la vie de mensonges dans laquelle Olivia était contrainte de se terrer. Seulement, sa transidentité dont Alex ne sait rien, est un autre enjeu.
De l'intime au social, Isabel Sandoval met en regard sexualité et citoyenneté, source d'aisance ou au contraire de précarité : clandestines pour Olivia, elles sont assumées et confortables pour Alex, citoyen américain depuis trois générations qui présente tous les atours de la virilité heureuse : dragueur, buveur et bagarreur.
Elle-même transgenre et résidant à New-York, réalisatrice, interprète et monteuse de son film, Isabel Sandoval donne tout ce qui la constitue au service de Brooklyn Secret, justement récompensé par le Grand Prix de la dernière édition (la 25eme du nom) du Festival Chéries-Chéris.
Un film d'une grande lucidité qui démontre que l'immigration n'est pas une affaire de chiffres, de fuites, de flots mais bien une histoire, propre à chaque individu, et que le statut de clandestin est d'abord une souffrance profondément intime.
Brooklyn Secret d'Isabel Sandoval, programmé au départ en salles le 18 mars sera visible dans les salles de cinéma ce 1er juillet distribué par JHR films.