Critique : Madre : le virage à 180 ° de Rodrigo Sorogoyen
Après deux thrillers particulièrement intense qui allaient 100 à l'heure et ne laissaient aucun répit à son spectateur - le terrifiant Que Dios Nos Perdone et l'ébouriffant El Reino, le réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen change de direction et déjoue les attentes des spectateurs avec Madre, son nouveau long métrage en salles ce mercredi, bien plus intimiste et contemplatif que ses deux précédents longs métrages.
Et le contrepied pris par Sorogoyen est d'autant plus étonnant que "Madre", le long métrage est en fait la prolongation d'un court métrage éponyme- justement réalisé entre "Que Dios Nos Perdone" et "El Reino" , qui constitue d'ailleurs le prologue du film et qui est un long plan séquence de 18 minutes qui voit une mère éplorée parler au téléphone avec son fils de six ans, totalement perdu seul dans une plage française alors qu'un homme menacant fait son apparition.
Après ce début particulièrement toninutrant qui marche sur les plates-bandes nerveuses d’El Reino et de Que Dios nos perdone, Sorogoyen change totalement de braquet et ose une élipse de 10 ans où l'on voit Elena, cette jeune mère qui a assisté à la disparition de son fils en direct de téléphonique, vivre un peu comme un zombie dans cette même plage des Landes française.
Un jour elle rencontre un jeune homme de 16 ans, Jean, qui semble lui faire penser à son fils.. C'est le début d'une relation entre ambiguité et apaisement qui pourrait tout autant faire renaitre Eléna que la faire plonger définitivement dans des abimes de détresse.
Loin de la haute tension du début, la naissance de cette relation est filmée par le metteur en scène espagnol avec énormément de douceur et une utilisation très prégnante du grand angle, soit des plans très large qui insistent sur le fait que son héroine se sent toute petite dans l'immensité du monde.
On pense parfois à du Terence Malik dans la façon dont les protagonistes sont filmés de haut, comme si un drone les captait un peu à leur insu et les mettait face à l'immensité de cet étonnant décor, à savoir ces plages landaises aussi majestueuses que terrifiantes.
Surtout, Sorogoyen et sa coscénariste Isabel Pena, qui ont toujours aimé sonder les affres de l'âme humaine - on se souvient des deux policiers particulièrement torturés de "Que Dios Nos Perdone"- vont encore plus dans la psyché de cette femme- à qui Marta Nieto, peu connue en France confère une palette de jeu, entre profondeur et retenue vraiment impressionnante.
Eléna est en effet constamment à la lisière d'une folie qui ne dira jamais son nom qui puise notamment sa source dans cette relation aussi transgressive que bienveillante entre cette mère paumée et ce jeune adolescent étreint par un désir incontrolable.
Si le film laisse beaucoup de zone d'ombre et peut parfois donner l'impression que son récit fait un peu de surplace, il reste un exercice de mise en scène particulièrement convaincant tant Rodrigo Sorogoyen s'amuse à rompre l'équilibre de cette réalisation très langoureuse et délicate, osant notamment un nouveau plan séquence de haute volée dans une voiture qui fait pas mal penser à celle du "fils de l'homme " d'Alfonso Cuaron.
Avec son dénouement plus optimiste- c'est l'histoire d'une résilience qui sera pleinement assumée , presque solaire que ses films précédents, et son approche très dramatique et psychologique, Madre tranche radicalement avec les deux précédents films de son réalisateur- il est visiblement plus proche dans l'esprit de son 1er long, "Stockholm ",thriller intimiste et amoureux hélas inédit en France
Il pourra à ce titre certainement déconcerter les amoureux fous- qui sont nombreux de ses deux thrillers politiques.
Il n'en reste pas moins un très beau film et le geste fort d'un réalisateur important qui ne cesse de se remettre en question.
Copyright Manolo Pavón