Evènement BD : Luz adapte Despentes :un alliage rock et désespéré
Contrairement au mois de mars et contrairement aux autres arts, le monde de l'édition ne s'est pas arrété de tourner en ce confinement phase 2 avec les clicks & collect mis en places dans les librairies et les sorties éditoriales qui sont pour la plupart maintenues en l'état.
C'est le cas notamment de l'évenement littéraire de cette semaine, l'adaptation par le dessinateur Luz, ancien de Charlie Hebdo de Vernon Subutex, la trilogie culte de Virginie Despentes.
Publiée aux éditions Albin Michel, qui crée cette année un département dédié au 9e art, ce "Vernon Subutex", qu'on a eu la chance de découvrir en avant première, ne déçoit absolument pas !
« Lancer un lynchage médiatique est plus facile que de faire décoller un buzz positif. Elle prétend qu’elle sait faire les deux, mais l’époque plébiscite la brutalité. Celui qui défonce est celui qu’on écoute – il faut toujours prendre un pseudonyme mâle pour malmener quelqu’un. Le seul son qui apaise les forcenés qui hantent les couloirs du Web, c’est celui du maton qui broie les os d’un codétenu. »
Vernon Subutex, bientôt la cinquantaine est viré de son appartement. Depuis deux ans sans ressources, il vivait grâce à la générosité d’Alex, un ami de jeunesse, devenu chanteur à succès.
Alex vient d’avoir la très mauvaise idée de mourir d’une overdose dans la salle de bain d’une chambre d’hôtel. Plus personne pour payer le loyer, Vernon se retrouve dehors avec son carnet d’adresse et une clé USB qui contient les confessions du chanteur, confessions qui vont attirer bien des convoitises mais en attendant Vernon doit trouver un toit ce soir.
Ouf c’est du lourd, Virginie Despentes revient et ça va faire mal. La romancière passe notre époque à la moulinette : que sont nos amis de vingt ans devenus ? Galerie de portraits d’une incroyable justesse, Despentes embrasse Paris et étreint ses personnages avec empathie.
De l’extrême droite à l’extrême gauche, bobos du Marais, SDF, motards de banlieue, Skins, Gays, Lesbiennes, Trans, bourgeoise de Passy, femmes battues, microcosme des Média, Facebook : Virginie Despentes affronte avec courage la France de ce début de XXI è siècle.
Phrases courtes et lapidaires, en peu de mots l’écrivaine croque un personnage, un univers, une situation, c’est un feu d’artifice d’images fortes et le lecteur est saisi par ce formidable savoir-faire. Mais bon sang !
Que le monde selon Virginie Despentes est sombre, glauque et sans espoir et qu’est-ce qu’on se met dans le pif et dans le gosier. Les enfants du rock ont bien mal vieillis, les rapports humains sont-ils devenus si inhumains ?
L’univers graphique Rock et désespéré de Luz et la prose Rock et désespérée de Despentes devait se rencontrer et donner forcément un objet..... Rock et désespéré...
Mise en page éclatée, dessin nerveux, la fièvre de Luz rejoint l'exaltation de Despentes, bref il ne pouvait pas y avoir plus formidable mise en image de ce roman déjà culte.
« Vernon Subutex. Tome I », de Virginie Despentes et Luz, Albin Michel, 304 p., 29,90 €, numérique 20 € (en librairie le 12 novembre).