Interview de Stéphanie Pillonca réalisatrice du documentaire "C’est toi que j’attendais"
Le film devait sortir en salles la semaine passée, le mercredi 23 décembre avant de devoir se confiner , seconde vague oblige : C’est toi que j’attendais suit le quotidien de quatre familles.
Retrouvez notre critique du film ici même .
On a eu la chance d'échanger avec sa réalisatrice Stephanie Pillonca pour qu'elle nous explique la génèse de son long métrage.
On a donc commencé l'année avec une interview d'une cinéaste documentaire, et on finit l'année avec une autre interview d'une réalisatrice de documentaire, même si Stephanie aime aussi réaliser des fictions également ...
L'adoption, un sujet qui vous tient personnellement à coeur?
"L'adoption, je connaissais bien le problème car en fait, lorsque je suis devenue maman, plusieurs de mes amies sont devenues mamans, mais différemment.
Elles le sont devenues par le biais de la PMA, de l’adoption, de la GPA aussi, et je me suis vraiment interrogée sur la parentalité. Qu’est-ce que signifie pour un couple ce besoin, cette urgence de l’enfant, la nécessité de créer une famille , j'avais très envie d'aborder ce sujet là avec mon films ?
C'est ainsi que jai rencontré énormément de couples pour lesquels c’était vital. et que jai vu de nombreux couples vivre ce parcours. L’annonce d’abord : « vous n’êtes pas fertile ». Puis ensuite la longue attente, avec tout ce qui se cristallise en fantasmes, en doutes, en inquiétudes, avec la douleur de la PMA qui a éreinté le couple avant, et en particulier la femme."
L'adoption montrée sous toutes ses facettes
Mon film cela ne parle pas que de la procédure de l'adoption, mais aussi de l’avant et de l’après. Je ne voulais pas me limiter à un : « oh, formidable on accueille un enfant, il est là ».
Je voulais montrer ce que c’est que d’adopter aujourd’hui, en France, un pupille de la nation, ce que c’est aujourd’hui d’être un jeune couple qui ne peut pas avoir d’enfant, ce que c’est d’être un couple qui attend, qui attend depuis trop longtemps, et qui va avoir un enfant.
On a suivi toutes les démarches, toutes les instances, on a suivi cette petite fille qui vivait depuis deux mois et demi dans un foyer dans Paris, on a suivi la rencontre et le départ dans sa maison. Je ne pensais pas que j’arriverais à avoir ces moments, en vérité de déroulé. C’était fantastique.
Le vrai miracle du film, c’est qu’un bébé est arrivé pour l’un des deux couples que j’ai choisis après en avoir vu une centaine. C’était complètement inouï, parce qu’on a pu suivre leur histoire depuis un an et demi, jusqu’à l’arrivée du bébé à la maison.
J’ai entendu cet appel, lorsque la tutrice de Paris, mandatée par le Préfet, leur a dit : « On veut vous parler, on a pensé à vous pour vous confier un petit enfant de chez nous, est-ce que vous pouvez venir me voir ? "
Un film avec deux problématiques essentielles
Mon film, c'est tout simplement avant tout des gens qui arrivent à se retrouver, à savoir d’où ils viennent, parce que je me rends compte, à travers ce film, qu’il y a deux problématiques : avoir un enfant, être une famille, et savoir qui on est, d’où on vient.
Alors bien sûr on peut retrouver une femme qui n’a pas envie de nous retrouver, mais le fait de savoir dans quelles conditions on a été conçu, de quelle partie du monde on vient, de quel milieu, ça fait un bien fou."
Des histoires d'adoption mais dans les deux sens
"Parler de l'adoption c'est aussi montrer tous ces enfants qui sont retirés à leurs familles parce que maltraitantes, parce que dangereuses, du petit enfant qui vient de naître et est confié aux services sociaux parce que sa maman ne peut pas s’en occuper jusqu’à ceux qu’on retire pour un certain temps de leurs familles sous décision du juge. Tous ces enfants sont protégés, dans notre ville, et ça m’a beaucoup touchée, parce que l’enfance est vraiment quelque chose de particulier.
Quand j’ai filmé la petite fille née sous X, je me suis dit qu’elle allait grandir et devenir adulte. Et j’ai eu envie de suivre ça. Alors j’ai retrouvé 100 personnes nées sous X et j’ai choisi un garçon. Il s’appelle Sylvian, il cherche sa maman. Cela fait plusieurs années qu’il cherche, depuis la naissance de ses filles. Il existe aujourd’hui une grande banque de données, le CNAOP, qui détient les informations des femmes qui ont décidé d’accoucher sous X.
Elle est consultable par les nés sous X et alimentable par la fille qui a accouché sous X qui, toute sa vie, peut se dire qu’elle regrette, qu’elle aurait bien aimé laisser des informations, qu’elle peut maintenant en laisser à son enfant qui les trouvera si jamais il vient."
La force du collectif
"Ce qui est formidable, dans toutes ces histoires que je montre , c’est aussi de découvrir à quel point les gens sont fédérés. Il y a des associations, des généalogistes, des détectives privés, qui font des recherches pour le rapprochement des familles. Et, la grande révolution, ce sont les réseaux sociaux. Il y a un avant et un après Facebook pour les recherches des nés sous X. On le voit bien d'ailleurs dans le très beau film Pupille qui est un peu le versant fictionnel de mon film .
Dans mon film, je montre également le rôle des travailleurs sociaux, dans ce foyer dans lequel on a tourné à côté de la Gare du Nord. C’est beau, j’ai été très émue par leur travail.
à la recherche de son enfant accouché sous X
"J’ai eu la chance de suivre une anglaise, Alexandra, qui a accouché sous X en France à 16 ans. Elle était venue faire du ski à Méribel, c’était sa première fois, et dans cette première fois elle est devenue maman. Et tous, autour d’elle, famille, référents médicaux, se sont accordés à lui dire qu’il fallait pour sa vie personnelle le laisser, parce qu’il y aurait sûrement une famille très bien en France qui voudrait l’adopter.
Mais Alexandra a 45 ans aujourd’hui et il ne s’est pas passé un jour sans qu’elle ne pense à lui. Quand une fille décide d’accoucher sous X, elle a plusieurs possibilités : elle peut laisser son nom, son prénom, son identité complète, donner des raisons ou pas, laisser une lettre, un objet, un souvenir, raconter son histoire ou pas, ou mettre le grand secret. C’est une enveloppe ouverte que l’enfant pourra consulter avant ses 18 ans, ou une enveloppe fermée et dans ce cas l’enfant devra attendre ses 18 ans pour avoir des informations s’il le souhaite.
Alexandra, elle, avait laissé son nom, ses coordonnées, mais entre-temps, en 29 ans, elle a déménagé, elle a changé de nom, c'est fou cette histoire quand on y pense …"
Une critique de la politique française en matière d'adoption ?
"Incontestablement, La France a de gros progrès à faire, c’est le Maréchal Pétain qui a inventé l’accouchement sous X. Et, aujourd’hui, on est le seul pays au monde avec le Danemark à pratiquer encore l’accouchement sous secret comme cela, alors que la Cour européenne des Droits de l’Homme a reconnu le droit de connaître ses origines.
Je pense qu’une fille peut choisir de confier son enfant, qu’il faut trouver des moyens pour préserver l’équilibre et la sécurité d’une personne qui a décidé de ne pas se faire connaître, mais aussi essayer de faire en sorte que celui qui est né sous le secret puisse savoir qui il est et d’où il vient, parce que rester dans l’incertitude, le chaos, le néant, c’est terrible."
La sortie en salles de C’est toi que j’attendais prévue initialement au 23 décembre 2020 attendra la réouverture des salles lors du premier trimestre 2021 .