Rencontre avec Eric Besnard et Benjamin Laverhne pour Delicieux
Réalisateur de Délicieux,autour de l’invention du premier restaurant , Éric Besnard nous a raconté quelques jours avant la sortie du film 8 septembre, le comment il a mis en scène son film (voir chronique)
Le délicieux, symbole de la disgrace de Manceron
au XVIIIème siècle, le cuisinier est quelqu’un à qui on demande de reproduire des plats ; certainement pas d’en inventer.
Il n’a aucune initiative. Manceron désobéit donc en proposant une de ses créations, mais il commet un crime plus grave : celui d’avoir cuisiné des produits poussant sous terre, l’église considérant que tout ce qui en venait n’était non seulement pas mangeable mais se révélait en plus porteur de maladies telles que la lèpre. La pomme de terre et la truffe étaient considérées comme des produits du diable.
A cette époque, la noblesse et le clergé croient encore à une échelle céleste des aliments. Plus ils sont aériens, plus ils sont divins ; un pigeon, c’est parfait, une vache, plus proche du sol, est moins bien…
La pomme de terre, pourtant très nourrissante, va mettre cent ans à s’implanter en France. Et ce n’est qu’à une astuce de Parmentier, qui convainc le roi de faire garder des champs de pommes de terre pour faire comprendre leur valeur aux paysans, qu’elle parvient à rentrer dans les mœurs françaises.
La dimension de revanche sociale reste omniprésente en plus de la dimension historique…
filmer les saveurs de la cuisine
C’est Thierry Charrier, le chef des cuisines du Quai d’Orsay, qui a conçu les plats pour le film, à commencer par le Délicieux, pour que les plats soient aussi beaux que bons.
Je travaille depuis plusieurs films avec Jean-Marie Dreujou grand chef opérateur que j’avais découvert sur Les Caprices d’un fleuve de Bernard Giraudeau, qui était son premier film.
On a vraiment choisi ensemble de travailler autour de la peinture de genre de l’époque et particulièrement celle de Chardin, ce qui nous permettait d’éclairer la cuisine comme une véritable nature morte au sens pictural du terme.
Il faut savoir que Grégory Gadebois ne sait pas du tout cuisiner : le voir voler tout ce savoir-faire en faisant un stage d’une semaine comme marmiton chez Thierry Charrier et faire vivre tous ces gestes qui font vraiment le plaisir de cuisiner, c’était vraiment quelque chose d' extraordinaire.
Echange avec Benjamin LAVERHNE comédien du film
A la projection de « Délicieux » qui était organisée pour l’équipe, Eric a eu cette phrase assez jolie : « Je crois, nous a-t-il dit, que c’est une des premières fois où le film ressemble à celui que je voulais faire. »
Je l’ai senti heureux. Et je comprends qu’il soit particulièrement fier de ce film qui mêle si harmonieusement le fond et la forme. On en sort plein, intellectuellement autant que sensoriellement!
En découvrant le scénario de « Délicieux », j’étais assez content que ce soit si différent du « Goût des merveilles », dans lequel j’interprétais un autiste, et très heureux aussi qu’il s’agisse d’un film d’époque.
Cela nous entraîne ailleurs, dans un autre style de cinéma.
Le pari de filmer la grande histoire derrière la petite m’a séduit. Partir de ce restaurant pour arriver à la Révolution française, je trouvais ça gonflé. C’est très agréable de lire un scénario d’Eric. Il y intègre toujours des didascalies très précises qui participent à développer fort l’imaginaire dès la lecture.
Même si je sentais une rupture avec ses précédents longs métrages, je reconnaissais sa patte, son regard et la présence de thématiques récurrentes comme la dilatation du présent et l’éveil des sens.
J’ai adoré incarner cette figure, ce personnage ambigu, trouble. Pour moi, c’est presque un résistant face au monde qui se prépare devant lui. Il a aussi un côté un peu salaud qui ne me déplaisait pas. Et il a de très belles scènes, ce duc ; très importantes dans le déroulement de l’intrigue.
Lorsque l’évêque s’acharne sur les Délicieux qui n’étaient pas au menu, il se met à crier avec la meute.
C’est un homme plus complexe qu’il n’y paraît : il est très attaché à Manceron qui a servi sous son père, l’a vu grandir, s’est sans doute occupé de lui et a éduqué son palais.
Le fait qu’il doive céder à l’influence de l’évêque et retourner sa veste le rend malade. Mais il n’a pas le choix : ses invités, qui appartiennent tous à la cour, ajoutés à l’autorité de l’Eglise, sont trop puissants pour qu’il puisse agir autrement. Il sait qu’il va perdre son cuisinier et c’est véritablement un drame pour lui.
Son monde s’écroule, il perd un repère important et cette ambivalence était passionnante à jouer !!
crédit photos : Adrien ALFONSI.
Merci à Auvergne Rhône alpes cinéma, SND et Pathé Lyon