Baz'art  : Des films, des livres...
16 janvier 2023

Interview de Baya Kasmi pour le film "Youssef Salem a du succès"

Le 15 décembre dernier, la réalisatrice Baya Kasmi est venue sur Lyon présenter le film Youssef Salem a du succès, avant sa sortie officielle ce mercredi 18 janvier.  Un film qui nous a totalement enthousiasmés. 

Coscénariste des comédies Le Nom des gens et La Lutte des classes, la réalisatrice revient sur la genèse et la conception de son épatant Youssef Salem a du succès.  

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 Baz'art : Votre premier long-métrage "Je suis à vous tout de suite (2015)", racontait déjà l’histoire d’une famille maghrébine atypique. Pour votre second film, vous vous intéressez de nouveau à une famille maghrébine, mais sous un angle un peu différent, non?…

Baya Kasmi : Toutes les familles sont atypiques, mais quand elles sont d’origine immigrée, elles sont souvent censées répondre à certains critères qui seraient immuables, notamment pour les familles maghrébines.

Dans mon premier film, c’était encore plus le cas, puisqu’il y avait un couple mixte avec deux enfants tiraillés entre deux modèles extrêmement différents.

Là, j’avais envie d’une famille en apparence plus banale mais au fond drôle et bizarre, comme le sont beaucoup de foyers.

Qu'est qui est à la source de cette histoire ?

Baya Kasmi : Je voulais évoquer l’enjeu d’un livre autobiographique. J’avais l’impression qu’en France, plusieurs films avaient été faits sur ce sujet mais rien sur un écrivain d’origine immigrée et né en France.

Souvent, les écrivains francophones primés par des Goncourt ou autres sont nés ailleurs, racontent des histoires de leur pays natal et non de la vie en France.

Parallèlement, j’ai relu la série Zuckerman de Philip Roth, dans laquelle le héros est l’alter ego de l’auteur, un écrivain juif américain aux prises avec les conséquences de ses livres. 

La première chose que le père de Zuckerman lui demande quand il apprend que son fils a écrit un livre est « Est-ce que d’une façon ou d’une autre, Hitler aurait pu se réjouir de ce que tu as écrit ? ». 

Et c’est exactement ce que le père de Youssef pourrait demander à son fils ; « Est-ce que Le Pen pourrait se réjouir en lisant ton livre ? »

Je me suis dit qu’il fallait écrire cette histoire-là, dans la France d’aujourd’hui, avec un écrivain d’origine algérienne.

 

YSADS_PHOTO1┬®Stephanie Branchu

 

Tout à fait, et à ce sujet, votre film pose une question jamais ou très rarement racontée au cinéma :  est-ce qu’en France l’ecrivain d'origine arabe a droit au romanesque ?

Baya Kasmi : Oui bien sur : Est-ce qu’il a le droit à la tragédie, à une dimension mythique ou universelle, en dehors de son appartenance sociale et religieuse ? 

Dans la tête de plein de gens, le romanesque ne peut pas appartenir au domaine de l’immigration, des quartiers populaires, etc. Il reste assigné au monde politique et social.

Alors que mes modèles, ce sont plutôt Woody Allen et Philip Roth, qui racontent de manière autobiographique ce qui est dans mon film, mais eux au sein d’une famille juive américaine.

La question, toutefois, reste  la même : « Qu’est-ce que notre famille va en penser ? »

Le personnage central de votre film est obsédé par le succès inattendu de son livre, car il craint en effet la manière dont ses proches vont le recevoir. Avez vous été confrontée à cette angoisse à la suite de votre premier film ? Peut on parler d'effet miroir ?

Baya Kasmi :Cette situation s’est davantage présentée après la sortie de notre film Le Nom des gens, que j’ai coécrit avec Michel Leclerc (réalisateur lui aussi et son compagnon dans la vie, ndlr) : on n’avait pas du tout anticipé son succès et beaucoup se sont rendu compte que c’était en partie autobiographique et qu’on affichait nos familles.

J’ai mesuré à ce moment-là notre responsabilité.

Après, contrairement au personnage de Youssef, j’avais préparé le terrain pour chaque film.

Le plus difficile, c’est que dès qu’on est issu de l’immigration, on n’est plus une personne mais on représente une origine.

Tout cela vient de l’inspiration du vécu, car j’ai écrit pas mal de films à teneur autobiographique et j’avais envie de parler du processus d’écriture, de la complexité d’écrire sur ce que l’on connaît bien, et la famille est aussi un sujet qui me plaît et que j’explore beaucoup, mais pas trop, je l'espère (sourires) ..

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Comment s'est déroulé le moment de l'écriture avec Michel Leclerc que vous connaissez si bien?

Baya Kasmi : On a beaucoup ri à l’écrire, c’était très ludique et il fallait forcer le trait, aller loin. On fait passer plus de choses en riant et en décalant un peu.  

L’écriture a été très fluide, et mes producteurs, Stéphanie Bermann et Alexis Dulguerian lisaient, nous faisaient des retours critiques et c’était toujours un plaisir de se remettre à l’ouvrage.

La comédie, c’est comme de la dentelle,  il faut retravailler beaucoup et tout le temps : à l’écriture, sur le tournage, au montage. Sinon ça ne marche pas. 

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La famille de Youssef vit dans un quartier populaire de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), à une trentaine de kilomètres de Marseille, alors que ce dernier vit à Paris. Pourquoi ce choix ?

Baya Kasmi : Je suis toulousaine, originaire du quartier du Mirail, j’ai été moi-même une provinciale qui monte à Paris et je trouve toujours intéressante la vision qu’ont les Parisiens des autres villes et celle qu’ont les provinciaux de la capitale.

On s’imagine que quand on y monte, on y vit bien, alors qu’on y habite souvent dans de tout petits lieux.

L’éloignement géographique existe plus qu’on ne l’imagine, et il laisse aussi la possibilité de l’invention de sa propre vie à Paris. C’est une sorte de petite émigration de quitter la province.

Et il y a pour celui qui est parti, cet endroit natal qui, lui, n’a pas changé. 

Le tournage, en août-septembre 2021, s’est déroulé à Paris, Martigues, Marseille et Port-de-Bouc, et c’était bien agréable. 

Au passage, vous filmez le quartier où a été tourné Bac Nord  qui apparaît quand même bien différent dans votre film…

Baya Kasmi : Oui, mais je dois dire que la réalité ressemble beaucoup plus à mon film ( sourires).

Dans Bac Nord, ils ont recréé à Port-de-Bouc une version guerrière des quartiers Nord de Marseille.

Je raconte une autre histoire de la banlieue, une petite cité qui a ses problèmes mais qui est beaucoup plus tranquille que ce que l’on peut imaginer et qui plastiquement, avec la mer pas loin, est très belle tout en étant très pauvre.

Port-de-Bouc est une vraie ville ouvrière, fondée sur les gens qui travaillaient dans l’industrie autour de l’étang de Berre et sur l’immigration.

Toute l’intrigue tourne autour de petits mensonges ou d’arrangements avec la vérité, sur soi et sur les autres. Est-ce spécifique à tous les foyers ou y a-t-il une particularité culturelle ?

Baya Kasmi : Je pense que c’est propre à tout le monde

Et plus je présente le film lors de projections, plus je le découvre au fil des témoignages des spectateurs que je rencontre.

Les gens disent que ça leur fait du bien, qu’il y a de la bienveillance et de la tendresse par rapport à la famille »,  et comment on fait pour se libérer, pour trouver sa place sans trahir les siens .

Dans mon film, les personnages n'hésitent pas à s’envoyer tout ce qu’ils pensent à la figure, comme il y a de l’amour dans cette famille, il y a toujours un rattrapage fait par les liens entre eux.

La spécificité de la famille maghrébine, c’est le tabou autour du sexe, que des familles très cathos ou d’autres religions peuvent partager. dans ce nouveau film, c’est l’interdit qui crée l’envie pour Youssef cela,  je l’assume complètement. 

YSADS_PHOTO3┬®2022 DOMINO FILMS-FRANCE 2 CINEMA

Pourquoi avez-vous décidé de faire de nouveau appel à Ramzy  qui était déjà à l’affiche de votre premier opus ?

Baya Kasmi : C’était une évidence. Ramzy, j’ai écrit le personnage pour lui. En fait, ce film, je l’avais entamé il y a longtemps, dans la foulée du premier. Ramzy était partant, mais les producteurs n’ont pas voulu y aller.

Seulement quatre ans après, j’ai pu commencer à le monter.

Lorsque j’ai eu l’idée de cette histoire, j’avais besoin d’un alter ego pour incarner cet écrivain de l’intime. La logique aurait voulu que je propose ce rôle à une femme, mais Ramzy était une évidence.

Je voulais écrire un rôle à la mesure de sa grâce burlesque, de sa profondeur, de son charisme.

Ramzy est un grand acteur, toute la comédie tient sur la sincérité de sa partition dans le film. Je lui ai parlé de ce personnage, avec un simple pitch dès la sortie de Je suis à vous tout de suite.

Il a eu la générosité extrême de me dire qu’il ferait le film. Le scénario n’est arrivé que sept ans plus tard et il a tenu parole !

Même si je n’aime pas trop penser aux comédiens trop tôt, on ne sait jamais ce qui peut se passer, ça peut être très gênant  là j'ai dérogé à mes principes mais j'étais un peu obligée tant je ne voyais personne que Ramzy pour jouer Youssef ..

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Et Ramzy forme un duo irrésistible avec Noémie Lvovsky qui joue son éditrice et dont l’univers cinématographique est assez éloigné du sien

Baya Kasmi : J’adore les mélanges de genre et d’univers.

Même si en réalité leurs univers peuvent sembler éloignés, ils ne le sont pas tant que ça.

Ramzy vient de la comédie populaire mais il joue depuis longtemps des rôles plus sérieux dans des films d’auteurs.

Noémie vient du cinéma d’auteur, mais elle a souvent joué dans des comédies populaires.

Ils se respectent beaucoup en tant qu’acteurs et leur couple me semblait assez évident. 

Vous avez coécrit la plupart des films de Michel Leclerc, mais vous êtes plus rare derrière la caméra. C’est la vie qui a voulu ça ou c’est un choix ?

Baya Kasmi :Non, je fais tout pour réaliser, mais c’est long, c’est dur, c’est compliqué.

J’ai développé plein de projets en parallèle.

Entre-temps, j’ai fait une série pour M6, Le Grand Bazar.

J'aimerais vraiment réaliser beaucoup plus de films dans  les années à venir (sourires) . Et si vous voulez un petit scoop, normalement il devrait y avoir beaucoup moins de temps pour que le troisième sorte en salles, car j'ai signé avec les mêmes producteurs que pour le premier .

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Interview réalisée le 15 décembre 2022à Lyon avec Tandem films et le cinéma Pathé Lyon

Crédit photo: Fabrice SCHIFF

 

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