" Une demi-page d'un écrit mineur de Freud a plus de valeur que des étagères entières de petits romans intimistes. On ne peut pas non plus affirmer qu'il s'agit d'une question de compétences, d'horizons culturels. Mais il existe une différence, et elle est probablement l'une des clefs les plus importantes de l'œuvre de Rocco, considérée dans son ensemble. La psychiatrie, qui est un modèle de connaissance dont le but est de formuler des diagnostics et d'établir des thérapies, doit, pour être efficace, faire abstraction, réduire la multiplicité des cas et des symptômes à des constantes, créer des définitions : hystérie, paranoïa, dépression, épisode maniaque ... La littérature, au contraire, puise sa propre raison d'être dans le refus de toute généralisation : elle est toujours l'histoire d'un individu " particulier ", muré dans son unicité, auteur et prisonnier de sa singularité. Par conséquent, lorsqu'elle parle d'une maladie, la littérature se contentera de la transformer en une " maladie sans nom ", la seule qu'on puisse proportionner dignement à cet unique entrelacement de destin et de caractère, de contingence et de nécessité, qui donne vie à un personnage. "
"Le vrai tombeau des morts c'est le cœur des vivants" Jean Cocteau..
Emanuele Trevi raconte des amis écrivains trop tôt disparus, Rocco Carbone (1962-2008) fauché dans un bête accident de scooter, et Pia Pera (1956-2016) emportée par la maladie de Charcot.
Des années de bohème puis de recherches littéraires avec deux amis non-conformistes, Pia la femme soleil, dévoreuse de vie et Rocco l'ombrageux bi-polaire que le narrateur écrivain fait revivre en tirant délicatement le fil des souvenirs.
Une précieuse broderie italienne se dessine et nous raconte la vie littéraire romaine.
Déclaration d'amour à deux écrivains qu'il a connu intimement, ce court récit d'Emanuele Trevi est aussi un laboratoire où s'exerce la littérature en action.
Un précipité de recherche littéraire doublé d'une balade romaine, un essai indispensable à tous les apprentis écrivains.
" J'ai une certitude : pendant que j'écris et tant que je continuerai à écrire ces lignes, Pia est ici, sa présence est aussi encombrante que la table à laquelle je suis assis, ou que la lampe. Mais quand je pense à Pia, il n'y a que moi qui pense à elle, elle est entièrement dans ma tête, et seule l'absence répond à l'autre bout du fil. Lorsque je rêve d'elle, c'est la même chose, c'est une autre partie de mon moi qui crée sa propre Pia. J'en déduis que l'écriture est un moyen singulièrement approprié pour évoquer les morts et je conseille à tous ceux qui ont la nostalgie d'un être cher de s'y exercer : ne pas penser à lui mais composer un écrit à son sujet ; on le constate vite, le défunt est attiré par l'écriture, il trouve toujours un moyen inattendu de surgir dans les mots que nous lui consacrons, il se manifeste de sa propre initiative; ce n'est pas nous qui pensons à lui, c'est vraiment lui, une fois pour toutes."
Editions Philippe Rey
Parution janvier 2023
Récit traduit de l'italien par Nathalie Bauer
Prix Strega 2021