RENCONTRE AVEC MELVIL POUPAUD POUR "COUP DE CHANCE "
De ses débuts dans les années 90 ( au moment même du début de ma cinéphilie) à aujourd'hui, Melvil Poupaud n’aura cessé de confirmer une filmographie exigeante et sans aucune fausse note; l
Et à 50 ans cette année , Melvil Poupaud n'a jamais été aussi sur de lui et de sa force et ses choix d'acteurs le montre à chaque fois.
Après "l'amour et forets" où il était formidable en amoureux fou qui va devenir d'un coup toxique et manipulateur on l'a rencontré pour "Coup de chance" , le nouveau film de Woody Allen, qui sort dans deux jours en salles, un film tourné en France et dans la langue de Molière.
Tour à tour inquiétant, charmant et burlesque en mari manipulateur aux côtés de Lou de Laâge, de Valérie Lemercier et de Niels Schneider, Melvil Poupaud nous ravit comme les échanges qu'on a eu avec lui à l'Institut Lumière dans le cadre de la promotion du film de Woody Allen l'ont montré :
L'INTERET DU PROJET
" Il y avait dans le scénario un équilibre absolu entre le tragique et le comique porté à un point paroxystique qui est la marque du génie de Woody Allen.
Dans ce film, à chaque plan, dans chaque choix de mise en scène, de montage, de musique, on trouve un équilibre permanent entre le pathétique et le drolatique, entre la menace et la légèreté, si bien qu’on rit et qu’on frissonne dans le même temps grâce à cette incroyable ambivalence.
La dimension vaudevillesque et farcesque rattachait le film à une certaine tradition du théâtre français, mais elle se mêlait à une dimension plus sombre, plus ambiguë, à travers mon personnage, à la fois monstrueux et charmant . Est-on réellement responsables de nos choix ? Il y a une vraie tragédie sous les allures vaudevillesques. C'est ce tragi-comique qui constitue le génie de Woody Allen. Il nous fait rire et nous émeut en même temps, à l'image de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin.
Sans évidemment trop spoiler la fin, disons que j’ai été surpris par le dénouement qui exprime la conception qu’a Woody Allen de l’existence, à savoir que la vie est un coup de dés et qu’on est tous à la merci du destin. La construction du scénario, dont la mécanique est implacable sous des dehors de conte, m’a rappelé Éric Rohmer ».
L'AMBIGUITE DU PERSONNAGE
« C’est un homme qui se croit tout puissant, comme les pervers narcissiques. Il est très amoureux de sa femme, il est doux et attentionné, et même si ce n’est pas un pervers narcissique destructeur, il ne supporte pas que son plan ne soit pas mené à bien et qu’il soit contrecarré par des événements extérieurs.
Il se sert de moyens presque mafieux pour y remédier : il a un côté psychopathe, il n’est animé d’aucune empathie pour les autres, et il est prêt à tuer quiconque vient interférer avec son plan ».
Woody m’avait dit au départ : « C’est un rôle complexe, charmant et trouble, menaçant et doux », et il avait ajouté « je serai là pour vous aider ». À travers ses propos, je sentais qu’il avait une proximité avec ce personnage et qu’il le comprenait de l’intérieur. Je pense que Jean a eu envie de fuir le monde : il a eu une enfance douloureuse et il a eu peur que les choses lui échappent. C’est ce côté enfantin et fragile qui le rend un peu attachant.
C’était un rôle magnifique à jouer car, dans la même scène, il peut être charmant et séduire tout le monde grâce à son charisme et, en une fraction de seconde, révéler une facette beaucoup plus diabolique ».
CE QUE REPRESENTE WOODY ALLEN
« Je suis fan de son travail depuis toujours. J'ai vu d'abord ses films en VHS ou à la télé avec ma mère, qui était une grande admiratrice. D'après moi, certains font partie des chefs-d'œuvre de l'histoire du cinéma. D'après moi, certains font partie des chefs-d'œuvre de l'histoire du cinéma.
Parmi les premiers, les plus comiques, je pense à Woody et les robots, à Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander, à Zelig ou, dans une veine plus dramatique, à Annie Hall, à Stardust Memories…
TOURNER AVEC WOODY
On m’avait prévenu qu’il ne parlait pas beaucoup et qu’il restait derrière le combo. En effet, au premier rendez-vous, il était assez taciturne et dès la deuxième fois, il était beaucoup plus volubile. Sur le plateau, au bout de trois ou quatre prises, il nous demandait si on voulait essayer autre chose.
Il était très attentif à notre jeu, à notre envie de proposer des choses. Il était très investi par la direction d’acteur et on sentait qu’il prenait beaucoup de plaisir comme quelqu’un qui s’épanouissait totalement pendant le temps du tournage. Et plus on avançait, plus je le sentais heureux et au sommet de sa forme car ce film lui tenait à cœur ».
La collaboration entre Woody Allen et Vittorio Storaro, ces deux maîtres d’un certain âge, était très belle à voir. Ils s’amusaient comme deux enfants avec une légèreté et un plaisir renouvelé.
Woody voulait que les scènes grimpent en intensité, en étant au plus près des acteurs, et Vittorio filmait beaucoup en plans-séquences. Chaque scène était construite comme un petit film à part entière, avec un début, un milieu et une fin ».
LA DIFFERENCE DE LANGUE, UN FAUX PROBLEME
Woody nous demandait d'essayer différentes choses. On m'avait dit qu'il donnait peu d'indications, qu'il ne faisait qu'une seule prise, qu'il était taciturne, mais je l'ai trouvé assez volubile, ouvert aux propositions.
C'est son premier film en langue française et nous lui avons dit que certains dialogues ne fonctionnaient pas.
Avec son accord, chacun a réécrit un peu sa partition. On a organisé des réunions, sans lui, pour remettre les dialogues au point et nous lui avons fait valider.
Il comprend le français et, comme il est musicien, il a une très bonne oreille et entend tout de suite si ça sonne bien ou non.
LES PARTENAIRES
« C’était un casting très judicieux car Woody sait plus que quiconque former des troupes. Le choix des trois acteurs principaux avec qui je joue le montre pleinement
Lou (de Laâge), je l'ai découverte avec ce tournage C' est une actrice extraordinaire qui révèle mille facettes, à la fois femme perdue et femme qui se reprend, tour à tour bourgeoise et plus bohème. Elle a une grande douceur, une vraie fragilité et un visage tellement expressif que même dans les plans larges on la sent passer d’une émotion à l’autre. Lou est exemplaire dans tout ce qu'elle a à jouer, de l'amoureuse qui retrouve le romantisme de la jeunesse à la grande bourgeoise mariée à un homme possessif, celui que j'incarne.
Je ne connaissais pas Valérie (Lemercier) Elle est spontanément drôle, mais Woody l’a dirigée dans une veine moins burlesque. Valérie Lemercier a un côté Diane Keaton ici, avec un zeste délectable de Miss Marple. On ne peut pas s’empêcher de rire quand elle fait ses mimiques, mais cette légèreté est tamisée par son inquiétude et sa volonté de mener l’enquête
Niels (Schneider) incarne le personnage allénien par excellence. C’est un grand romantique, avec ses beaux idéaux, son côté amoureux transi et bohème et une vraie virilité, si bien qu’on comprend pourquoi Fanny tombe amoureuse de lui Niels est un copain.
Niels a joué chez Xavier Dolan avant moi, nous avons des amis communs, j'ai suivi son évolution et je le trouve à maturité. Il a un physique très cinématographique, presque hollywoodien, teinté d'une douceur qu'il a donnée à ce personnage d'idéaliste. Le film le maintient dans une sorte d'ambivalence : est-il ridicule ?Est il Manipulateur?
ENCORE UN MANIPULATEUR A INCARNER…
C'est le hasard des propositions et du calendrier des sorties. Avant que ne sortent coup sur coup le film de Valérie Donzelli, celui de Woody et aussi le Jeanne du Barry de Maiwenn dans lequel mon personnage n'est pas non plus des plus sympathiques , j'avais enchaîné deux rôles d'amoureux avec Un beau matin et les Jeunes Amants.
Mais il est vrai que j'ai toujours aimé les rôles troubles. Et puis, chez Woody Allen, il y a en plus cette dimension comique qui m'attirait beaucoup. Etre comédien, c'est être polyvalent, c'est surtout ne pas se cantonner à un registre ou à un emploi.
Prochainement, vous me verrez en candidat à l'élection présidentielle dans une série politique de Pierre Schoeller pour France Télévisions. Un autre type de personnage qui va me faire travailler l'autorité, la prestance, la voix.
Merci à l'Institut Lumière, à Metropolitan film exports et à Fabrice SCHIFF pour les photos.