Rencontre cinéma : Monia Chokri et Magalie Lépine Blondeau pour "Simple comme Sylvain"
Dans Simple comme Sylvain, le troisième long métrage de Monia Chokri (après La femme de mon frère et Babysitter), Magalie Lépine-Blondeau se glisse dans la peau de Sophia, une professeure de philosophie à l’université du troisième âge qui vit en couple depuis 10 ans avec Xavier (Francis-William Rhéaume). On avait rencontré la réalisatrice et sa comédienne à Lyon lors du dernier festival Lumière.
Meilleurs extraits de cet échange entre deux québécoises aussi intelligentes que passionnées.
Monia Chokri
"Je trouve que les films romancent beaucoup la rencontre amoureuse, ignorent l’environnement social - c’est pourtant tellement fondateur de ce que va devenir un couple. J’ai moi-même eu plusieurs manières de vivre en couple et j’ai pu m’apercevoir de tous les paramètres qui vont au-delà des seuls individus. À un moment donné, tout ce qui est autour prend le pas sur la relation en elle-même. Les amis, la famille, le travail, le voisinage, tout cela pèse sur elle. Mais en fait, J’avais surtout envie de filmer une histoire d’amour. Il y a un sujet assez obsessionnel dans mon travail jusqu’à maintenant : l’impossibilité, l’empêchement de l’amour.
« Je n’ai jamais la volonté de faire une comédie, j’essaie juste d’écrire comme j’imagine la vie. Parfois, je la trouve drôle, parfois, je la trouve triste, et j’aime faire cohabiter ces univers-là parce que je trouve que ça ressemble à ce qu’on vit. Moi, je dis que c’est une comédie mélancolique parce que je trouve que ça me correspond bien. J’aime beaucoup l’humour, j’aime rire, mais j’ai cette profonde mélancolie en moi, alors j’essaie de les faire cohabiter dans mon écriture. »
« Quand on rencontre quelqu’un, on fantasme énormément, on plaque beaucoup de nos désirs sur ce qu’il est jusqu’au moment où il y a une déconstruction de cette personne. Quand on voit Sylvain pour la première fois, on ne voit que son ombre ; j’aimais l’idée qu’on ait une page blanche sur laquelle on peut projeter tout ce qu’on veut et que progressivement, on allait le rencontrer. Je découpe un peu les visages quand ils s’embrassent parce qu’il y avait cette idée d’interdit. Je voulais que les spectateurs aient envie de se pencher la tête pour mieux les voir. »
« Les scènes de sexe graphiques ne m’intéressent pas parce que ça me sort de l’histoire, je finis par juste regarder les corps. Je voulais faire un film où il y a de l’érotisme, mais sans rien dévoiler, que le personnage de Sophia soit un être désirant et non plus juste un être désiré, objectivé comme c’est souvent le cas à la télé et au cinéma. Il a fallu que je me déconstruise moi-même parce que je suis aussi prise dans le schéma voulant que le corps d’une femme soit plus sensuel. La scène du Mépris, c’est une image tellement probante de ce qu’est le problème. Je pense que les hommes ont aussi envie d’être autre chose que ce qu’on leur demande d’être. »
« Je lis beaucoup de philo et ça m’inspire énormément dans mes réflexions, Ce film-là, c’est un peu un hasard, c’est-à-dire qu’en réfléchissant sur l’amour, je me suis penchée sur ce que les philosophes en avaient dit. Les philosophes n’ont pas beaucoup traité d’amour parce que c’était un sujet qui était relégué à la littérature, mais ce qu’ils en ont dit est intéressant et m’a permis de structurer le film par rapport à ce que vit le personnage, en présentant la théorie, puis l’application.
" En fait, je me sens plus près de la pensée de la militante afro-américaine bell hooks, autrice d’À propos d’amour (All About Love). C’est un livre extraordinaire qui a changé ma perception de l’amour et de la manière de le vivre. Il est très réparateur et devrait être lu, enseigné. Elle y explique qu’on a oublié qu’aimer, c’est un verbe d’action. Les autres philosophes sont beaucoup dans la fatalité, comme Jankélévitch, qui dit que l’amour est quelque chose que l’on subit, ce qui veut dire qu’on doit accepter n’importe quel comportement à notre endroit parce qu’on est prisonniers de nos propres sentiments. Ce que je trouve beau, c’est que bell hooks dit que choisir d’aimer signifie qu’on mérite certaines choses dans l’amour et qu’on n’en accepte plus d’autres, que l’amour est domptable. Après tout, si on peut dompter la peur et la colère, pourquoi ne pourrait-on pas dompter l’amour?"
« Je voulais qu’on soit observateur de leur amour comme si on était dans un documentaire animalier. Je ne voulais pas qu’on ait accès à beaucoup de dialogues entre eux au départ afin qu’on reste dans une forme de fantasme de leur histoire. Leur rapport ne tient pas sur ce qu’ils se disent, mais sur l’attraction de leurs corps. J’ai l’impression que ç’aurait été difficile de les faire interagir au niveau du langage si ce n’était pas dans une formede sensualité. Je voulais laisser le spectateur dans une espèce de flou sur ce qui les lie vraiment. »
Magalie Lépine Blondeau
"Monia nous dirige comme elle aimerait l’être. Elle comprend la psyché de l’acteur et elle s’adapte. Elle ne dirige pas deux personnes de la même façon parce qu’elle sait qu’on a des sensibilités, des vulnérabilités, des façons de travailler et des egos différents. C’est une chance inouïe de collaborer avec elle."
"Ce qui est passionnant avec ce film c'est qu'il propose plusieurs amours. Il n’y a pas que la passion que partagent Sylvain et Sofia. Au début, elle vit une relation amoureuse avec son partenaire de toujours, et elle est heureuse. Il y a aussi l’amour entre sa belle-mère et son père qui perd la mémoire. Il y a Françoise et Philippe, qui sont parents et qui s’engueulent tout le temps, mais qui s’aiment et qui rient ensemble. À l’intérieur d’une même soirée, il y a de la tendresse, des insultes, des cris, du désir… Avec beaucoup de raffinement, Monia propose plusieurs modèles amoureux. Je crois que le film nous laisse aussi avec nos propres interrogations. Il fait une distinction entre le sentiment amoureux, le désir et la difficulté de les faire perdurer au sein du couple.
" Il faut savoir que Monia est ma meilleure amie. Ses personnages me touchent parce qu’ils lui ressemblent et je me retrouve aussi beaucoup en eux. On est très proches, je dis souvent qu’on est toutes les deux l’extension du cerveau de l’autre. Finalement, j’ai énormément de points communs avec Sofia, comme sa psyché, les difficultés qu’elle rencontre ou encore ses paradoxes. Je comprends ce moment de bascule qu’elle traverse dans sa vie. Je m’identifie beaucoup à elle."
« Souvent, pendant le tournage, Monia disait "Coupez", elle venait vers moi et je lui disais : "Je sais ce que tu vas me dire." On n’avait pas besoin d’échanger tant que cela. Il y avait une forme de symbiose entre nous. C’était très riche mais très sain aussi. »
« Dans le film, le couple devient une espèce de métaphore qu’on pourrait appliquer à plein d’autres choses dans notre société, Le film s’interroge sur comment on peut se retrouver, s’aimer et se respecter alors qu’on a des origines, des genres et des milieux sociaux différents. Dans ce cas-ci, ça se passe dans un contexte d’intimité, à l’intérieur d’un couple. Mais ça pourrait très bien s’appliquer à toutes les sociétés. "
" On a beaucoup répété, mais c’était toujours avec Monia. Ce que vous voyez à l’écran, c’est un duo, mais en réalité, c’était un trio. La réalisatrice est derrière chacune de ces scènes. Rien n’est laissé au hasard. Vu la teneur des scènes et l’intimité dans laquelle nous devions plonger, on a énormément discuté tous les trois avant le tournage. On a évidemment répété, mais cette alchimie est surtout le résultat de toutes ces discussions. Ça nous a permis d’éviter toute surprise sur le plateau. "